Colombie : Bye Bye Petro !

27 Mars 2014



Le mercredi 19 mars, la décision du président Santos est tombée : le maire de Bogota, Gustavo Petro, est officiellement limogé et inéligible pour une durée de 15 ans, malgré l’intervention de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) pour que soit suspendue sa destitution.


En décembre dernier, le Journal International avait déjà publié un article annonçant la révocation du maire par le procureur général Alejandro Ordóñez. Depuis, le maire de Bogota a déposé un recourt en seconde instance pour que sa destitution soit  reconsidérée. Cependant, le mercredi 19 mars, Gustavo Petro a été officiellement démis de ses fonctions par le président Juan Manuel Santos.

ET FINALEMENT, PETRO S’EN VA…

Par le passé avec le « Pôle Démocratique Alternatif » et actuellement avec le « Mouvement Progressiste » (centre-gauche), Gustavo Petro est connu comme étant une figure de l’opposition en Colombie. Durant le second mandat d’Álvaro Uribe, Petro fut notamment à l’origine de profonds débats au Sénat visant à mettre en évidence les liens d’Uribe et de son parti avec les paramilitaires. Gustavo Petro se présenta comme candidat à la Présidence lors de l’élection de 2010, mais fut vaincu dès le premier tour. Il fut, par la suite, élu maire de la capitale en 2012.

© Semana
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Colombie - L’affaire « Petro » fait maintenant partie de l’actualité en Colombie depuis plus d’un an. Elu en octobre 2011, le maire de centre-gauche de la capitale, Gustavo Petro, fait l’objet depuis janvier 2013 d’une mesure de destitution pour « erreurs administratives », ce que l’intéressé considère comme un « complot ».

La « revocatoria » (le processus de destitution) est un mécanisme de participation citoyenne visant à exercer un certain contrôle sur les politiques des fonctionnaires de l’Etat. Dans le cas de Gustavo Petro, la demande de destitution fut déposée par Miguel Gómez Martínez, représentant à la Chambre du parti de l’actuel président (« Parti de la U »). Cette demande fut justifiée, entre autres, par la mauvaise gestion des services d’assainissement et les défauts des services de transport de la capitale, après un an de mandat du maire (minimum requis par la Constitution colombienne pour présenter un tel recours). Effectivement, Petro changea le système de récolte des ordures, dès son accession à la mairie de Bogota, ouvrant le marché à de nouvelles entreprises dans le but de rompre avec les monopoles privés, présents depuis des années. Néanmoins, en décembre 2012, ce système fut à l’origine d’un véritable chaos dans la capitale qui, durant trois jours, fut privée de ramassage des ordures.

Le 9 décembre 2013, il fut destitué par le procureur ultra-conservateur Alejandro Ordóñez, ce qui déclencha dans la capitale une importante vague de protestations animées par le célèbre slogan « Petro no se va ! » (« Petro ne part pas ! »).  Comme mentionné précédemment, un recours fut posé par le maire de Bogota mais son limogeage fut confirmé en seconde instance. Néanmoins, sa destitution fut suspendue provisoirement - courant janvier - le temps que soit approfondie à nouveau l’étude de son cas.
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La CIDH, organe interne de l’Organisation des Etats Américains (OEA), fut sollicitée sur le sujet et demanda le 18 mars dernier que soit considérées des « mesures de précaution » en faveur de Gustavo Petro, afin qu’il puisse terminer l’exercice de son mandat. Cependant, le lendemain, le président Juan Manuel Santos décida de refuser ces « mesures de précaution », tout en précisant que « la justice colombienne agit de manière transparente, efficace et opportune », et ratifia officiellement le renvoi du maire de Bogota. Dans la foulée, Juan Manuel Santos désigna l’actuel ministre du travail, Rafael Pardo, comme maire par intérim de la capitale.

Impuissant face à la signature de son licenciement par le président Santos, Petro s’est exprimé le soir même du balcon de l’Hôtel de Ville, face 1 500 sympathisants : « Si ce gouvernement n’est pas capable d’accepter les décisions du peuple, ni les décisions de la justice (…), le peuple colombien doit se diriger vers une grève générale pour une Assemblée Constituante et la paix en Colombie. Là, nous serons à vos côtés pour que la Colombie se respecte et que Bogota se respecte, que la démocratie et la paix en Colombie soient respectées et que nous les fassions respecter ».

QUID DE LA DEMOCRATIE ?

Petro et sa famille au balcon de l’Hôtel de Ville de Bogota, s’adressant à ses sympathisants  © AFP
Petro et sa famille au balcon de l’Hôtel de Ville de Bogota, s’adressant à ses sympathisants © AFP
L’affaire Petro fait scandale en Colombie et inquiète au niveau international car elle est l’incarnation de la fragilité de la démocratie dans le pays. Gustavo Petro fut élu de manière démocratique pour un mandat de 2012 à 2015 par les électeurs bogotanais.  Son éviction - bien qu’elle fut signée par un autre représentant élu, l’actuel président de la République – fut  dans un premier temps ratifié par un fonctionnaire non élu, le procureur Ordóñez. Pour de nombreux sympathisants de Petro, le principe même de la « revocatoria » remet directement en cause la liberté des habitants de la capitale de choisir leur représentant politique. Comme le commenta le journal colombien El Espectador, la destitution de Petro fut une réponse totalement disproportionnée par rapport aux faits qui lui étaient reprochés, avant tout motivée par les intérêts politiques des plus hautes sphères de l’Etat.

                Le scandale fut si important dans le pays et à l’international que la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme fut appelée à statuer sur le sujet. Sa réponse fut un soutien au maire Petro et la proposition de « mesures de précaution », telles que la restriction des pouvoirs du procureur général. Néanmoins, ces mesures furent catégoriquement rejetées par l’Etat colombien dont les représentants ont déclaré que la Constitution nationale prévalait sur l’ensemble des traités internationaux. Les décisions de la CIDH sont, effectivement, de simples recommandations, auxquelles les Etats n’ont aucune obligation de se soumettre. Néanmoins, la Colombie se place actuellement dans une situation délicate en refusant d’écouter les recommandations d’un organisme continental si important. De plus, la décision de Santos consiste en une vraie prise de risque politique d’autant plus qu’il se présente à la réélection lors des prochaines présidentielles en mai 2014.
 

Bien que la grande majorité des colombiens semble à présent résignée à la destitution du maire, après des mois de lutte et de manifestations, une minorité continue néanmoins à se mobiliser afin que triomphent leurs droits et la démocratie dans le pays. Selon un jeune sympathisant de Petro présent lors des manifestations cette semaine, Carlos Alejandro Rincón Bustos, le limogeage du maire de la ville est à l’origine d’une désillusion collective des sympathisants de la gauche en Colombie : « Depuis des années en Colombie, nous sommes face à une fausse démocratie dans laquelle, comme l’a souligné Petro le 19 mars dernier, le vote a perdu toute sa signification. Dans notre pays, malheureusement, le pouvoir sert - encore de nos jours - les intérêts d’une minorité d’individus. Les manifestations sont maintenant l’un des seuls moyens que nous avons pour montrer notre opposition à la décision du président Santos. Mais nous restons réalistes, seule une intervention d’un organisme international comme la CIDH permettra à présent une évolution de la situation ». 

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MARGOT BAUCHE
Un coeur partagé entre l'Europe et l'Amérique latine. En savoir plus sur cet auteur