Collectif Pushka : du squat à Beyrouth

Marilène Karam, à Beyrouth, Liban
26 Juillet 2013



Comment passer des squats lyonnais au Liban ? Trois membres du collectif Pushka s’y sont essayé. Pour Volant Neli, l’expérience a tourné au questionnement sur l’art et sur soi. Il dévoile une certaine image du Liban, peu connue des habitants. Rencontre.


Collectif Pushka : du squat à Beyrouth
Le collectif Pushka, créé en 2010 à Lyon, est né de la volonté de quelques jeunes artistes de faire un art à la fois libre et engagé. « Ça peut paraître paradoxal de dire libre et engagé, mais on est indépendants, et on défend l’idée que l’art sert notre engagement social ». Le collectif Pushka a commencé dans des squats, en collaboration avec d’autres artistes. Ils organisent des soirées artistiques, comme au Koucounido, en juin 2012. « Le but a toujours été de proposer un lieu de partage et d’expression autour de la musique, du cinéma, du théâtre, etc. En même temps, on emploie nos connaissances et nos ressources pour soutenir chaque membre du collectif dans ses projets artistiques » explique Volant Neli.

De l’art du squat

Cette conception de l’art et cette manière de le présenter sont tout à fait étrangères au Liban, où les manifestations artistiques s’adressent à une petite élite. Lorsque je m’étonne de voir trois membres du collectif Pushka venus faire cette expérience artistique et sociale au Liban, Volant précise : « On a atterri ici dans le cadre d’un échange universitaire avec l’université Saint-Esprit de Kaslik, et ça nous a permis de nous plonger dans l’ambiance locale. Le projet du collectif était de tourner des chroniques du Liban. On voulait sortir des perceptions orientalistes sur le pays. Peut-être qu’on a manqué de préparation, et qu’on s’est pris certaines réalités dans la figure, mais les chroniques ont évolué en même temps que notre perception de la réalité libanaise. » Des extraits des chroniques, accessible sur le site du collectif, montrent des images hachées du Liban, entre Achoura sanglant, scènes de montagne, d’ouvriers syriens. La caméra capte d’une manière froide et objective les diverses réalités du pays, en contraste avec la plupart des reportages sentimentalistes ou caricaturaux produits sur le Liban. Les images, brutes, semblent parfois sortir du contrôle des jeunes réalisateurs, comme si la réalité était trop écrasante. Les Chroniques gardent un aspect décousu.

Une expérience en demi-teinte

Tout n'est pas positif. Ils cherchent à faire du squat un lieu d’échanges artistique, mais se heurtent à une culture totalement différente, où l’existence même du squat surprend. Après quelques déboires, ils ont réussi à organiser une soirée dans un immeuble inhabité de Gemmayze, un quartier branché de Beyrouth. Le propriétaire refusa à la dernière minute. « Ca ne rentre pas vraiment dans les habitudes locales, se justifie Volant, puis ici, les initiatives artistiques de ce genre s’adressent plutôt à une élite qui fréquente les quartiers branchés de Hamra, Gemmayze ou Mar Mikhaël. Ce n’est pas forcément à eux qu’on cherche à s’adresser. »
À défaut de squat, Volant, Yacine et Marie, les trois membres du collectif présents au Liban, nouent des liens avec les étudiants de la faculté où ils sont en échange. Ils se désolent des rêves des jeunes artistes libanais, enterrés avant même la fin des études.
« Il y a des gens doués, qui réalisent des courts-métrages intéressants, et pourtant, ils sont déjà résignés à tourner des spots publicitaires et des programmes télévisés commerciaux et sans grand intérêt, en échange d’un salaire ridicule. » Le collectif Pushka veut les encourager .Ils veulent leur montrer qu’ils peuvent espérer plus et ne pas s’arrêter au montage d’une vidéo de mariage. Comment procéder ? « Ca peut paraître tout simple, mais on prévoit une soirée en septembre à Lyon, où leurs courts-métrages seront présentés à un public d’avertis, et des discussions pourront se créer autour des projections. » Faute de politiques culturelles ou de scènes artistiques conséquentes, les artistes libanais ont du mal à percer s’ils ne quittent pas leur pays. Redonner de l’espoir, c’est faire comprendre à ces étudiants aux débouchés restreints que leur art peut dépasser les frontières du Liban et qu’il ne se borne pas à un public local, qui, de toute façon, ne les entend pas.

« Charnières », retrouver la voix

Pour Volant, qui y réalise un court-métrage, le pays est une exploration artistique personnelle. Le film raconte l’expérience d’un jeune musicien, Erion, arrivé à Beyrouth pour fuir le manque d’inspiration et la frustration ressentie en France. Au contraire des jeunes Français, qui viennent découvrir un monde totalement différent, la réalité libanaise ne surprend pas Erion, qui y voit de grandes similitudes avec la réalité des Balkans. D’ailleurs, il est régulièrement pris pour un Libanais. Volant ne cache pas que le film est en grande partie inspiré de sa propre expérience. « Avant de partir pour le Liban, j’avais atteint un point où j’étais dans l’incapacité totale de m’exprimer. Étranger à ma langue maternelle, l’albanais, je ne me sentais pas plus à l’aise dans ma langue d’emprunt, le français. Partir au Liban était une fuite, et en même temps, un espoir de retrouver une forme d’expression par le cinéma. »

Sur le terrain, Volant travaille avec de petits moyens, aidé d’acteurs amateurs. Certains jouent leur propre rôle, « comme le patron d’un bar où j’ai travaillé, et avec lequel j’avais eu un démêlé… Quand je lui ai proposé de jouer son propre rôle, il a accepté avec plaisir ! » Les partenaires libanais se montrent assez compréhensifs « A Radio Beyrouth, bar et une station radio de Mar Mikhael, on nous a laissé tourner alors que l’émission radio était sur le point de commencer. » Le film est tourné sans décors, en temps réel, et cela accentue le côté documentaire. Sans compter qu’il permet de travailler avec des artistes de la région, comme le rappeur Hicham Ibrahim, alias Sotusura, dont on retrouvera la musique dans la bande originale du film. « Il y a de bons artistes dans la région, des Djs, des rappeurs. Ils sont parfois peu connus, même des Libanais, mais je souhaite aussi les faire venir à Lyon, en septembre ! »

A noter que le film Charnières est actuellement présenté sur la plate-forme de financement collectif Ki sskissbankbank


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