Christiania : l’utopie à l’épreuve des faits

26 Octobre 2012



Le quartier autogéré de Christiania, en plein centre de Copenhague, est une expérience libertaire unique en Europe du Nord. Une communauté menacée par les pressions du marché et du gouvernement.


Christiania : l’utopie à l’épreuve des faits
Là où se trouvait autrefois une caserne militaire, un panneau porté par deux bouts de bois annonce « Christiania ». Les touristes se pressent devant les étals qui proposent des tee-shirts souvenirs et des bangs, symbole de l’exotisme supposé du quartier. Mais quelques pas plus loin, le touriste lambda ne peut s’empêcher de s’étonner du nouveau mode de vie qui lui est donné à voir. Car Christiania, réputée pour ses activités culturelles, n’est pas un quartier de Copenhague comme les autres.

Autoproclamée « ville libre » en 1971, la commune a été créée sous l’impulsion de Jakob Ludvigsen, journaliste au journal underground Hovedbladet. La charte appelait alors à un nouveau mode de vie : « L’objectif de Christiania est de créer une société autogérée dans laquelle chaque individu se sent responsable du bien-être de la communauté entière. Notre société doit être économiquement autonome et nous ne devons jamais dévier de notre conviction que la misère physique et psychologique peut être évitée. »

Des objectifs atteints uniquement de manière symbolique. Le quartier a créé son propre drapeau, sur lequel se détachent les trois « i » de Christiania. Il s’est également doté de sa monnaie, de ses timbres-postes, de sa marque de bière et de son service de nettoyage, pays nordique oblige. Dans une veine libertaire, Christiania a adopté pour hymne I kan ikke slå os ihjel (Vous ne pouvez pas nous tuer), une chanson engagée du groupe de rock Bilfrost. Des règles qui peuvent sembler étonnantes ont été instaurées : il est notamment interdit de courir, le but étant de dissuader les voleurs.

Christiania : l’utopie à l’épreuve des faits
L’unité de la communauté est fragile. Dès que l’on s’enfonce un peu dans le quartier, les étals touristiques sont remplacés par le trafic de drogue à ciel ouvert sur Pusher Street. Les photos sont bien sûr interdites, et l’ambiance bon enfant semble laisser place à une atmosphère mafieuse. Des débats houleux sur ce sujet ont agité Christiania, et les vendeurs de drogues dures ont été expulsés du quartier dès 1979 au cours de la « JunkBlokaden ». Dix morts avaient été causées par overdose l’année précédente.

Ces tensions sont ravivées par les tentatives de fermeture du quartier souhaitée par le pouvoir en place. La commune et le gouvernement danois ont conclu un accord le 21 juin 2011, mais la plupart des militants de la première heure n’en sont pas satisfaits : les Christianites ont en effet dû racheter leur maison en juillet 2012. Fin ou transformation d’une expérience libertaire unique en Europe, l’histoire nous le dira.

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Laurène Perrussel-Morin
Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon... En savoir plus sur cet auteur