Chine : une loi pour sauver la morale

Justine Jankowski
12 Juillet 2013



En Chine, une nouvelle loi impose aux enfants de rendre régulièrement visite à leurs parents âgés d'au moins 60 ans. Une mesure qui en dit long sur la confusion des valeurs traditionnelles, dans un pays qui, jadis, sacralisait les anciens.


Crédit photo -- Charles Carrard / simaosavait.com
Crédit photo -- Charles Carrard / simaosavait.com
En 2001, le film « Tanguy » opposait la dislocation des liens filiaux français au cocon bien soudé de la famille traditionnelle chinoise. Douze ans plus tard, ce schéma n'est plus qu'une image d'Épinal. Depuis le 1er janvier 2013, une loi oblige tous les enfants à rendre régulièrement visite à leurs parents âgés d'au moins 60 ans, ou du moins à rester en contact avec ces derniers, sans préciser la fréquence. Les fraudeurs peuvent même être poursuivis par leurs propres parents, entraînant une amende, voire la prison. Cette loi vient s'ajouter à celle qui assurait déjà aux personnes âgées une sécurité financière, ainsi que la liberté de s'unir sans l'intervention des enfants. Elle s'accompagne d'un autre amendement, qui oblige les patrons d'entreprise à « garantir la possibilité aux employés de prendre des congés pour rendre visite à leurs parents ».

Une loi de circonstance ?

Ce texte amendé intervient à la suite de plusieurs scandales de négligence qui ont choqué la population chinoise. Dans la province du Jiangsu, une nonagénaire s'est fait battre puis expulsée de chez elle par sa belle-fille, après lui avoir quémandé un bol de porridge. Une tragédie qui s'ajoute au cas d'un agriculteur, qui enfermait sa mère de cent ans dans une porcherie. Autant de drames qui confortent la Chine à la troisième place du  classement du taux de suicide des seniors dans le monde.

Ces tragédies à répétition sont d'autant plus surprenantes qu'elles se déroulent dans un pays qui a élevé la famille au rang de valeur suprême. La société chinoise traditionnelle, influencée par la philosophie confucéenne, accorde un rôle prépondérant au système familial dans le gouvernement de la société. La piété filiale est l'une des vertus cardinales de l'ordre confucianiste. Traditionnellement, chaque cellule familiale est régie par l'autorité du père sur l'enfant, et il est fréquent de voir plusieurs générations sous le même toit. Cette construction classique offre surtout aux ancêtres la place la plus importante au sein de la famille. Ainsi, les grands-parents bénéficient de plus d'attention. Leurs descendants leur doivent honneur et respect. Une déférence qui se traduit d'ailleurs dans le langage : en chinois, « lao » signifie « vieux », mais aussi « honorable ».

Dérèglements démographiques

Si les petits Chinois récitent toujours par cœur les vingt-quatre règles de piété filiale, selon les textes de la dynastie Yuan du XIIIe siècle, force est de constater que le schéma familial traditionnel a du plomb dans l'aile. Le relâchement des liens familiaux date de la libéralisation de la société, amorcée dans les années 1980. La principale cause de ce morcellement de la famille est l'urbanisation croissante du pays, accompagnée d'un phénomène d'exode rural qui ne se dément pas. D'un côté, les jeunes Chinois partent de plus en plus loin pour chercher du travail en ville. Cette nouvelle main d’œuvre quitte sa campagne natale pour venir grossir les rangs des 400 millions de travailleurs migrants. Car grandes villes riment avec opportunités de travail, salaires plus hauts et avenir prometteur. De l'autre côté, les grands-parents sont contraints de s'installer dans des immeubles neufs, dans lesquels ils s'isolent peu à peu. Selon un sondage réalisé en juillet 2012 par la Chinal Central Television, 11,9 % des Chinois interrogés ont avoué ne pas avoir rendu visite à leurs parents depuis plusieurs années, et 33,4 %, ne rentrer chez eux qu'une fois par an.

Confusion des valeurs

Ce mouvement d'urbanisation croissante se fond dans un phénomène plus large, induit par l'ouverture de l'économie chinoise, enclenchée depuis trois décennies. La hausse brutale du niveau de vie a conduit à ériger l'individualisme au rang de valeur absolue, brisant les vieilles coutumes familiales. La confusion des valeurs et le manque d'éthique dont souffre la Chine contemporaine est, d'après l'écrivain Yu Hua, dans son ouvrage La Chine en dix mots, « une des séquelles induites par le développement unilatéral de la société chinoise au cours des trente dernières années ». 

Aujourd'hui, la loi se permet de rappeler la morale. Et le temps presse, la Chine est désormais confrontée au même enjeu que celui de n'importe quel pays développé : le vieillissement de sa population. Actuellement, le pays compte environ 185 millions de personnes de plus de soixante ans, un chiffre qui devrait atteindre 490 millions d'ici 2050, soit 35 % de la population. Si le phénomène est, en partie, dû à l'augmentation de l'espérance de vie, il a aussi pour cause la politique de l'enfant unique, qui a inversé la pyramide des âges. Dans de telles circonstances, cette nouvelle loi témoigne de l'appréhension des pouvoirs publics face à ce vieillissement continu, dans un pays qui peine à réformer son système de retraite. 

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