Chine : gouvernement cherche donneurs d'organes, prisonniers s'abstenir

Justine Jankowski
17 Février 2015



Le gouvernement chinois a annoncé la fin du prélèvement d’organes sur les prisonniers à partir de janvier 2015. Mais le don d’organes n’est pas une pratique diffusée en Chine. Les pouvoirs publics vont devoir trouver de nouveaux donneurs.


Crédit RTBF
Crédit RTBF
Deux tiers des organes greffés en Chine proviennent actuellement d’un condamné à mort, selon les estimations officielles. S'il n'est pas prélevé sur un condamné, il le serait neuf fois sur dix sur un prisonnier. Depuis une réglementation de 1984 en Chine, le prélèvement d’organes sur des criminels exécutés est officiellement légal, avec le consentement du condamné ou l’autorisation écrite de ses proches. Pourtant, les ONG dénoncent les abus des autorités chinoises, qui, la majorité du temps, ne prennent pas la peine de demander l’avis du prisonnier ou celui de sa famille.  

Justine Jankowski
Justine Jankowski
Une pratique révolue ? En novembre dernier, le gouvernement chinois a affirmé mettre fin aux prélèvements d’organes sur des condamnés à mort, à partir du 1er janvier 2015. Pourtant, l’utilisation des organes des détenus répond à une demande énorme : on estime que 300 000 patients seraient en attente de greffe de rein ou du cœur chaque année. Dans les faits, seules 10 000 transplantations sont réalisées, d'après l'agence Chine Nouvelle. Le pays faisait déjà face à un manque criant de donneurs. 

Une pratique peu répandue en Chine

L’origine de ce manque ? Dans l’empire du Milieu, le don d’organes est très peu répandu. Liyou Zhang, étudiante chinoise à Sciences Po Paris, explique : « selon la tradition chinoise, il est important de garder le corps des défunts entier, afin qu’il soit intact dans leur vie future. C’est pourquoi les corps doivent être enterrés et non brûlés ». D’après l’étudiante, « les jeunes chinois sont peut-être plus ouverts aujourd'hui au don d’organes. La difficulté sera de convaincre leurs parents »

Cette défiance à l’égard du don d’organes trouve sa source dans les écrits confucéens, qui ont abreuvé la culture chinoise. Dans le Livre de la piété filiale, Confucius écrit : « Notre corps, nos cheveux, notre peau proviennent des parents, ils ne doivent pas être endommagés - c’est le point de départ de la piété filiale ». Le corps doit être et demeurer « un et indivisible »

Retour en 2015 : l'année dernière, seuls 3000 malades ont pu être sauvés. D'après Huang Jiefu, directeur du Comité des dons d'organes en Chine et ancien vice-ministre de la santé, 1300 Chinois ont fait don de leurs organes à titre posthume cette même année. Un chiffre en augmentation, mais qui reste bien en deçà de la demande. Comment les autorités chinoises comptent-elles pallier cette carence ?

Les injonctions publiques se multiplient

Liyou Zhang a remarqué que depuis quelques années, les médias racontent de plus en plus d’histoires sur le don d’organes : un patient au bord de la mort sauvé par un donneur, un cancéreux qui autorise son médecin à donner ses organes après son décès… Des histoires qui « donnent du sens à la vie », analyse-t-elle. Et qui, dictées par le pouvoir politique, pourraient bien inciter les populations à changer d’avis sur le don d’organes. Mais pour l’instant, les chiffres sont encore catastrophiques : sur dix millions de Chinois, seuls six seraient prêts à devenir donneur. D’après le Comité chinois du don d’organes, ce ratio est 62 fois plus important qu’en Espagne. 

Hôpital universitaire de Wuhan. Crédit Wiki commons
Hôpital universitaire de Wuhan. Crédit Wiki commons
A Wuhan, l’hôpital universitaire construit en partenariat avec le CHU de Nancy se développe de plus en plus sur le modèle de son cousin français. Il a été désigné pour être au cœur de l'activité de greffes d'organes. En 2009, il a ouvert un « laboratoire d'ingénierie cellulaire et tissulaire, applicable en médecine régénérative ». Le but ? Développer des cellules souches compatibles avec des greffes de foie ou de cœur artificiels. Grâce à la ligne grande vitesse inaugurée en 2011, Wuhan n'est plus qu'à trois heures de Canton, l’une des plus grosses mégalopoles du pays avec 8.5 millions d'habitants. Surtout, Canton a vu se mettre en place un système de don d’organes, initié par la Croix-Rouge chinoise depuis mars 2011. Le projet s’est répandu dans 38 hôpitaux chinois, ce qui a permis de récolter 465 dons. Mais le gros des donneurs provient de Canton, où une centaine d’organes ont été prélevés.

Technologie et communication de masse, voilà les deux atouts dont les pouvoirs publics ont besoin dans ce combat contre les chiffres. La diffusion d'un message à l'échelle nationale n'a jamais été un problème pour la République populaire, et le pays sera bientôt à la pointe de la technologie en matière de greffe. Reste à voir la courbe des dons se redresser. 

Notez