Ces villes devenues capitales

Jean Baptiste Goin et Clara Mazuir
29 Mars 2013



Centre névralgique et décisionnel essentiel à l’unité territoriale d’un Etat, la capitale demeure également le symbole et la personnification des décisions politiques. Emblème historique et culturel des Nations les plus anciennes, elle peut aussi s’avérer être le fruit de l’évolution sociétale d’un pays. Petit tour d'horizon de ces capitales dont le statut n’est pas lié à l’histoire de la ville mais à une convergence de décisions politiques.


Mosquée nationale d'Abuja
Mosquée nationale d'Abuja
Abuja : Capitale du Nigéria depuis 1991, en remplacement de Lagos, cette ville tire son statut essentiellement grâce à sa situation géographique. Tiraillée par des tensions interethniques qui mettait en péril l’unité de la Nation nigériane, la décision est prise en 1976 d’y transférer les centres de décisions politiques et autres institutions étatiques pour ne favoriser aucun groupe sur un autre. La méthode de sélection est pour le moins originale : le président au pouvoir à l’époque, Murtala Mohammed, décide de tracer un « X » sur la carte du pays pour être le plus équitable possible. Ce faisant, il tombe donc sur une région encore peu développée et peu peuplée, idéale dans l’idée de réunir le peuple nigérian autour d’une capitale « neutre ». Quelques années ont cependant été nécessaires pour faire de cette ville nouvelle le centre décisionnel, le Parlement n’y sera transféré qu’en 1987. Malheureusement, comme la plupart des villes dont le statut a été construit plus légalement qu’historiquement, Abuja souffre encore de la proéminence, essentiellement culturelle, de l’ancienne capitale Lagos, plus grande ville du pays.

Brasilia : Située dans le centre-ouest du Brésil, cette « ville nouvelle » a été construite au début des années 60 sous l’impulsion du président de l’époque, Juscelino Kubitschek. Née de la volonté de répartir l’activité économique et politique sur l’ensemble du territoire brésilien et non plus que sur les côtes. Ce projet pharaonique, dirigé par deux architectes de renom, Oscar Niemeyer et Lucio Costa, destiné à accueillir 500 000 personnes à l’origine, sortira de terre seulement 1 000 jours après le début des travaux grâce à une politique de construction particulièrement autoritaire. Pouvoir exécutif, législatif, judiciaire et même le siège de l’armée se trouve dans cette « ville nouvelle » qui compte aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants. Revers de la médaille, l’activité économique tourne essentiellement autour des services administratifs, les entreprises privées représentant moins de 10% de cette activité (les industries lourdes et polluantes y étant interdites) ce qui limite grandement les capacités de développement démographique et entrepreneuriale de la capitale.

Montréal, Toronto, Québec et Kingston, toutes sont lauréates pour incarner la capitale du Canada. La reine d'Angleterre Victoria, en tant que souveraine du Canada, pour calmer les tensions, n'en choisira aucune. Le 31 décembre 1857, elle nomme Ottawa, qui signifie « marchants », comme capitale de la Province du Canada. Anciennement « Bytown », située sur la frontière entre le Haut-Canada et le Bas-Canada, la reine ne prend ainsi position ni pour les anglophones, ni pour les francophones. Mais ce choix vient appuyer une stratégie : Ottawa, éloignée de la frontière américaine, est ainsi protégée d'une éventuelle attaque du voisin américain. A caractère très rural et éloignée des villes, le choix de la reine fut profondément critiqué. Aujourd'hui encore, certains la qualifie de « capitale indigne ». Si ce choix était censé apaiser les rivalités, il n'en est rien. Les politiciens rejettent la décision de Sa Majesté, et le Parlement ne cesse de parcourir les villes, sans calmer les jalousies des candidates rivales.

Canberra, ou le compromis entre Melbourne et Sydney, vu comme un territoire neutre pour ne pas prendre parti. Canberra désigne  "lieu de rencontre" en ngunawal, langue aborigène locale. Si elle est nommée capitale en 1908, elle est partie de rien. Son plan de construction et de conception, des plus considérables, ne débutera pas avant 1913, suite à un concours international remporté par un couple d'architectes américains. La ville est dotée de vastes zones de végétation naturelles, et se voit octroyer les surnoms de « ville verte », ou encore « capitale du bush ». Si les deux Guerres mondiales ont freiné la croissance de la ville touchée par la Grande Dépression, le Premier ministre Robert Menzies la relancera grâce à la création de la National Capital Development Commission (Commission pour le développement de la capitale nationale). En tant que capitale, Canberra incarne le siège du gouvernement australien, et abrite le Parlement et la Haute Cour.

Washington : Symbole d’une Amérique unifiée et démocratique, désirant laisser derrière elle les rivalités entre Nord et Sud, le pays a choisi d’installer sa capitale en terrain neutre, suivant la volonté de Georges Washington. Créée officiellement après l’adoption de la Constitution des Etats-Unis en 1787, la ville, appelée à l’origine « Cité fédérale » de par son statut, prendra le nom du premier président des Etats-Unis après sa mort en décembre 1799. Preuve du statut unique de cette capitale, elle dépend administrativement de l’Etat fédéral américain, le Congrès y définissant directement la loi. Autre particularité exceptionnelle, les habitants n'ont le droit de vote à l'élection présidentielle que depuis 1961, ce qui démontre la volonté passée de laisser la capitale et ses habitants en-dehors de toute pression politique quotidienne et partisane, liée aux particularismes de chaque Etat.

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