« Maman je pars en Norvège... Seul, pendant un mois et en autonomie. » Comment justifier une déclaration si radicale ? Par le besoin de se lancer un défi ? Par l'influence exacerbé de la biographie de Christopher McCandless dans le film Into the wild ? Ou par l'envie de découvrir un ailleurs ? Un condensé de tout ça peut-être.
Mais comme le relate Jean-Christophe Ruffin dans son Immortelle randonnée, « comment expliquer à ceux qui ne l'ont pas vécu que le chemin a pour effet sinon pour vertu de faire oublier les raisons qui ont amené à s'y engager ? On est partis, voilà tout. » C'est ainsi que, mes partiels terminés, je m’envole pour Bergen. Ici commence une aventure qui se terminera 2700 km plus loin, bien au-dessus du cercle polaire arctique, à Tromso, célèbre pour son université prestigieuse. Mais que de chemin parcouru et de rencontres pour arriver là...
Sacré Viking !
26 mai, sac de 21kg sur le dos comprenant l'indispensable pour mon autonomie : tente, sac de couchage, 4 kg de riz, 3 kg de pâtes, réchaud... L'aventure commence enfin. Il est communément admis qu'un voyage ne s'improvise pas. Il nécessite une lourde préparation en amont. Tracer l'itinéraire, lister le matériel nécessaire, assurer la logistique, fixer un budget, tout doit être rigoureusement défini pour assurer le bon déroulement du voyage. Cependant, j'ai très vite pris conscience qu'il était impossible de tout contrôler et que, dans une telle entreprise, les prévisions s'avéraient plus contraignantes que salutaires. Il fallait se résoudre au hasard et à la débrouille. Cette réalité m'est apparue dès le premier jour et m'a sérieusement déstabilisé.
L'objectif de la journée était d'atteindre Voss, un village plein de charme à une centaine de bornes à l'est de Bergen. Je commence à faire de l'auto stop. Une heure, deux heures, trois heures s'écoulent, infructueuses. Les gens me regardent d'un air hagard, presque avec mépris. Une femme, ayant pris pitié, vient me voir pour stopper l'hécatombe et par la même occasion, anéantir tous les espoirs que j'avais en ce voyage : « l'auto-stop en Norvège, c'est peine perdue » me dit-elle. Face à cette frustration, je dois prendre un train et dépenser une part conséquente de mon budget.
Alors la Norvège soit disant pays des « gens heureux » serait individualiste ? Contradictoire puisqu'elle possède l'Etat providence le plus généreux au monde. J'ai donc laissé mes a priori fumeux de côté, pour découvrir au fil du temps la personnalité déroutante des Norvégiens. Ayant les Vikings pour ancêtres, ils ont hérité d'un certain nombre de leurs traits de caractère. A l'image de leur climat, ils paraissent aux premiers abords rudes et froids, c'est lorsque l'on gagne leur confiance et faisons connaissance avec eux – et seulement dans ces cas-là – qu'ils paraissent davantage cléments. Les fondements même de leur système social, économique et politique reposent sur la confiance mutuelle et le partage. Vous ne serez pas étonné de voir des bibliothèques dont le principe est d'échanger tout bonnement un livre contre un autre en totale liberté. La mentalité française voudrait que je laisse mon petit guide du routard et reparte avec un roman de mille pages de Tolstoï. Hum, pas très équitable la transaction. Non, les Norvégiens eux essayent de faire au plus juste. D'où une certaine animosité à l'égard des étrangers qu'ils savent plus opportunistes. Mais cette méfiance a l'égard des étrangers pris une tournure davantage dramatique le 22 juillet 2011. En effet, Anders Breivik orchestra l'attentat de l'île d'Utoya faisant 77 morts. Il visait un camp de la ligue des jeunes du Parti travailliste norvégien au nom du conservatisme culturel. La Norvège, le pays le plus sûr au monde, venait d'être touchée en son cœur. La faiblesse de sa sécurité et de sa justice prise au dépourvu par cet événement rare et inopiné apparaissait au grand jour.
Le pétrole bienfaiteur et le tourisme salvateur
Si la Norvège fait figure d’exception dans sa réussite économique et peut se targuer d'avoir l'indice de développement humain le plus élevé, ce n'est pas seulement grâce à son système mieux pensé. C'est aussi et surtout grâce aux secteurs pétrolier et gazier offshore qui représentent à eux seuls près d'un tiers de la croissance norvégienne. Grâce au revenu du baril de Brent exploité en Mer du Nord, la Norvège a constitué le premier fond d'Etat au monde, ce qui lui a permis de rembourser la totalité de sa dette. Une première dans l'histoire économique !
Pour le reste, les Norvégiens vivent essentiellement du tourisme et je leur en suis ô combien reconnaissant. Mon voyage étant tributaire du bon vouloir des automobilistes à me prendre en stop, je ne serais pas aller bien loin avec les seuls Norvégiens à quelques rares exceptions près. Heureusement, la Norvège attire par ses fjords, ses îles, ses aurores boréales, ses routes et la liste est encore longue pour celui qui l'a arpentée. De facto, certaines régions grouillent de touristes et de vagabonds en tout genre. C'est une opportunité pour faire de bonnes rencontres et voyager quelque temps avec eux. C'est aussi une bénédiction pour moi qui n'a pas de moyen de transport et peu de sous en poche. Car oui, la Norvège pour un budget d'étudiant c'est plutôt osé, mais le paysage en vaut la peine.
Les îles Lofoten sont l'attraction Norvégienne par excellence. Entre ciel et terre vous y trouvez de quoi satisfaire inlassablement votre âme. C'est un bon compromis pour résoudre le dilemme de la destination pour les vacances en famille : mer ou montagne ? Ici, les montagnes enneigées se mêlent aux eaux turquoises et aux plages de sable blanc. J'y ai débarqué par le ferry, que vous prenez de Bodo jusqu'à Moskenes. La traversée dure 3 heures. Avis aux amateurs de photo, c'est le bon moment pour contempler la faune marine : dauphins et phoques sont à votre portée. A bord, c'est aussi l'occasion de trouver un compagnon de voyage. Pour ma part, j'ai rencontré un Français en Erasmus à Goteborg dans le cadre de ses études en école de commerce. Nous avons jalonné les îles quelques jours ensemble avant que nos chemins se séparent pour continuer vers nos but respectifs. Pour lui, ce sera le Cap Nord ! Dans ce genre de cadre, les rencontres sont plus fortes, plus intenses. Chacun donne tout ce qu'il a à donner à l'autre de manière désintéressée. Ces rencontres font le charme du voyage et vous laisse des souvenirs immuables.
En dehors des sentiers battus
Un voyage sous le signe du vétuste : pas d’hôtel, pas de restaurant, pas d'ordinateur. « Ô fou » crierait notre société matérialiste. Sale et mal rasé, j'ai pris l'habitude qu'on me dévisage tel un sauvage. Une manière de contempler avec un mélange de crainte et d'admiration l'espèce en voie d'extinction qui ne rentre pas dans la norme. C'est donc sans regret que je laisse derrière moi les villes pour accueillir les grandes étendues sauvages. Geiranger est un petit village paisible en apparence, mais le Geirangerfjord – nom donné au fjord élu comme la plus belle destination touristique par le National Geographic – fait de ce village une station de villégiature très prisée. Avec 3 à 4 bateaux de croisière y faisant escale chaque jour dont le célèbre express côtier Hurtigruten, Geiranger se laisse envahir par la foule et s'y promener devient vite insupportable. Pour couronner le tout, le va et vient incessant des bateaux touristiques et de croisières finit par recouvrir le ciel d'un nuage de pollution stagnant au-dessus du fjord et vient ternir un peu plus le charme de cet endroit qui mériterait mieux.
Pour savourer plus amplement ce lieu de prestige, je trouve une alternative aux visites très touristiques et onéreuses que représentent les balades en bateau et bus proposées par l'office du tourisme. Par un chemin de randonnée longeant le fjord, je décide de rejoindre la ferme Skajefla. La démarche est davantage éprouvante, certes, mais quelle satisfaction lorsque vous débouchez sur la prairie de cette ferme. Ce n'est pas par hasard si le roi et la reine de Norvège ont célébré ici leur anniversaire de mariage en 1993. Elle surplombe le fjord et donne un point de vue privilégié sur la cascade des Sept Sœurs, principale attraction du fjord. De plus, je suis seul ! C'est sur cette herbe fraîche et avec ce panorama à couper le souffle que je passerai une nuit 5 étoiles. Sur le chemin du retour je profite d'une rivière pour faire un brin de toilette et une lessive qui se faisait longuement désirer. Des touristes me surprennent dans ma besogne. Trouvant la situation saugrenue, je les vois me prendre discrètement en photo avec comme arrière plan mon étendage improvisé. Il ne s'attendait certainement pas à tomber sur une telle scène en pareil endroit.
Voyager ou l'art de vivre l'instant présent
A rebours d'un quotidien stressant, le voyage est une immersion totale dans le moment présent. Il remet en cause nos schèmes et notre routine coutumière. Ici chaque geste entrepris est nécessaire et plein de sens. Chaque action doit être réfléchie et minutieuse au risque d'en payer le prix plus tard. Je pense à la façon de remplir le sac, de se faire à manger, de planter la tente, etc. Tout doit être fait correctement, peu importe le temps que cela doit prendre. D'habitude bordélique et impatient, il m'a fallu beaucoup de temps pour être méthodique et développer des facultés de concentrations optimales pour ne rien omettre. Dans de telles conditions, je me suis surpris à être libéré du temps. Se garantir une condition de vie décente, voilà ce qui compte dans ces moments-là.
Tel un pèlerin, j’osais espérer que la solitude et la beauté des paysages propices à la réflexion, me donnerait l'occasion de méditer sur des concepts philosophiques. En fait, je n'en eut pas besoin. L'introspection se fait de soi-même. Parce que la nourriture était en quantité limité, j'ai appris à la savourer. Parce que la beauté de la nature était si délectable, j'ai appris à la contempler. C'est cette manière de vivre dans l'instant présent, de profiter des choses qui s'offrent à nous que j'essaye désormais d'appliquer dans ma vie de tous les jours. Mais je m’aperçois qu'il m'est impossible d'appliquer la doctrine "carpe diem" entre les souvenirs de ce périple qui refont surface, et l’attente des futurs voyages...