Les députés conservateurs Maurice Vellacott, Leon Benoit, et Wladyslaw Lizon, ont ainsi envoyé une lettre à cet effet au commissaire Robert Paulson de la GRC, en date du 23 janvier 2013 (consultable ici ). Cette lettre demande expressément l'ouverture de plusieurs enquêtes sur l’ensemble des avortements faits à plus de 20 semaines de grossesse, car ils constituent, selon eux, des « homicides ». Les députés mettent en avant les 491 cas d'avortement « tardif » recensés entre 2000 et 2009 par le blogue pro-life Run with Life. Pour eux, « ces meurtres semblent être le résultat de tentatives d'avortement, mais les bébés sont nés vivants, et morts par la suite », c'est pourquoi « les meurtres d'enfants canadiens pourraient continuer à augmenter si ces crimes apparents ne font pas l'objet d'une enquête », concluent les députés dans leur lettre à la GRC.
La question du droit à l'avortement revient au cœur du débat politique de manière régulière au sein de la Chambre des communes canadiennes. Il y a un quart de siècle, le 28 janvier 1988, au terme de plusieurs années de bataille juridique, une décision majeure de la Cour suprême du Canada - abrogeant la loi canadienne qui criminalisait l'avortement - donnait aux femmes du pays le droit d'interrompre librement leur grossesse. Sans surprise, les organismes de défense du droit à l'interruption de grossesse s'attachent à célébrer 25 ans de décriminalisation de l'avortement. Pour l'occasion, la Coalition pour le droit à l'avortement au Canada met même en ligne un site web anniversaire – morgentaler25years.ca - pour souligner cette victoire et pour se féliciter de la liberté des femmes à disposer de leurs corps.
Service des communications de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) - Michel Giroux
Reste que ce droit à l'avortement reste flou sur le plan juridique au Canada. Criminalisée depuis le XVIIe siècle au Canada, la pratique de l'avortement a été rendue possible de façon restreinte en 1969. L'article 251 de la loi criminalisait tout avortement provoqué, à moins qu'il ne soit autorisé par un comité d'avortement thérapeutique seul juge du bien-fondé d'un avortement et de la stricte nécessité de celui-ci. Contrevenir à cette loi pouvait valoir, dans les textes, deux ans de prison pour la « femme avortée » et la perpétuité pour « l’avorteur »… Il faudra attendre 1988 et l'arrêt Morgentaler pour que le droit à l'avortement soit promulgué par un jeu d'opposition entre la Charte canadienne des droits et libertés et le Code criminel canadien.
25 ans depuis l'affaire Morgentaler
Pour ce faire, il a fallu une interminable et rude affaire de poursuite judiciaire à l’encontre des docteurs Henry Morgentaler, Leslie Frank Smoling et Robert Scott inculpés et en partie condamnés - Henry Morgentaler restera 10 mois derrière les barreaux – pour avoir illégalement pratiqué des avortements en violation de l'article 251 du code. Le 28 janvier 1988, après plus de cinq ans de procédure, la Cour suprême - nouvellement armée de la Charte des droits et libertés - avait invalidé les parties du Code criminel condamnant les prévenues, validant ainsi le droit d’avortement. Dans un jugement majoritaire, la Cour suprême décidait que l’article 251 de la loi portait une atteinte injustifiée et obsolète aux droits de la femme, garantis par l'article 7 de la Charte, celui qui stipule que « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale ».
Dans un jugement historique le juge en chef Brian Dickson au nom des 5 juges majoritaires, énoncer que « forcer une femme sous la menace de la sanction criminelle, à mener un fœtus à terme à moins qu'elle satisfasse à des critères sans rapport avec ses propres priorités et aspirations, est une ingérence grave à l'égard de son corps et donc une violation de la sécurité de la personne. […] Non seulement en privant les femmes du pouvoir de décision, on les menace physiquement, en outre, l'incertitude qui plane quant à savoir si l'avortement sera accordé inflige une tension émotionnelle. L'article 251 porte clairement atteinte à l'intégrité corporelle, tant physique qu'émotionnelle d'une femme ».
L'arrêt Morgentaler reconnaissait ainsi l'intérêt légitime de l'État à protéger le fœtus, sans cependant se prononcer directement sur son statut juridique, celui-ci n’ayant aucun droit reconnu en droit canadien. Par la suite, le Parlement n’a jamais réussi par la suite à encadrer cette pratique, qui n’est, au Canada, soumise à aucune limite. C’est-à-dire que techniquement, le Canada n’a eu aucune restriction à l’avortement qui est légal pendant les neuf mois de la grossesse jusqu’à la naissance - au grand dam du mouvement pro-life. En réalité, il existe une entente tacite établie par l'Association canadienne des obstétriciens, qui stipule qu'on ne fait plus d'avortements au pays lorsque le fœtus est « viable ». Cette entende fait que les avortements tardifs sont pratiqués jusqu'à la 23e semaine de grossesse. Au-delà de cette période, les femmes sont envoyées aux États-Unis pour y subir une intervention. Actuellement, plus de 105 000 avortements par année sont pratiqués au Canada, qui reste un des rares pays occidentaux qui n’a aucune restriction légale sur la question.
Toutes les initiatives parlementaires pro-life - notamment celle visant à sanctionner doublement un crime sur une femme enceinte, celle visant à protéger le droit du personnel médical à refuser de prend part à une intervention contraire à ses croyances, et celle visant à criminaliser les avortements pratiqués après la 20e semaine de gestation – ont échouées. Malgré tout, la pression conservatrice visant à réduire le droit à l’avortement, reste constante et ne semble pas faiblir depuis 25 ans.
« À quel moment un foetus peut être qualifié d'être humain ? »
Avant le récent remous causé par « la lettre à la GRC », il a eu le dépôt de mention de Stephen Woodworth en septembre dernier. Celle-ci avait pour but la création d'un comité parlementaire spécial pour déterminer à quel moment un foetus peut être qualifié d'être humain. Selon le député, la Chambre des communes a la responsabilité d'examiner les lois qui ne protègent pas « les droits fondamentaux des enfants lors des derniers stades de la gestation »,
mettant ainsi le doigt où perdure un flou juridique autour des lois qui entourent le droit à l’avortement. La motion a été battue par 203 voix contre 91 à la chambre des Communes le 26 septembre 2012. Reste que durant ce vote on constate que la moitié du caucus conservateur était en faveur de la motion…
Le débat sur l’avortement reste donc très largement ouvert, et même si celui-ci fut décriminalisé il y a maintenant plus de 25 ans, cette avancée reste fragile. Pour preuve, le premier ministre conservateur Stephen Harper ne cesse de devoir réaffirmer qu'il n'avait pas l'intention de rouvrir le débat sur l'avortement et de revenir sur les droits acquis.