Cameroun : tranche de vie avec des réfugiés centrafricains dans l’Adamaoua

Aboubakar Dewa
13 Juin 2016



Partis de chez eux dans l’effroi, ils réapprennent à vivre, dans la peine et la promiscuité dans des camps de fortune, loin de ce qui les a fait jusqu’ici. Pour autant, la vie n’est pas mal en terre camerounaise, leur pays d’accueil. Reportage sur les sentiers d’une nouvelle vie des réfugiés centrafricains.


Camps des réfugiés de Borgop, dans la région de l'Adamaoua. Crédits : Aboubakar Dewa
Camps des réfugiés de Borgop, dans la région de l'Adamaoua. Crédits : Aboubakar Dewa
Debout devant un point d’eau, une sandale usée au pied droit, Moussa Yaya attend son tour. La mine triste, un bidon de 20 litres entre les mains, ce jeune de 15 ans est venu comme tous les autres s’approvisionner en eau potable. De temps à autre, il retire son petit bonnet blanc sur sa tête, pour se nettoyer le visage. La sueur qui coule sur son visage, témoigne de la peine qu’il se fait pour mériter quelques litres d’eau. « Respectez les rangs ! », lance une voix monocorde qu’on peine à attribuer à l’un des porteurs d’eau. « J’espère qu’elle ne va pas changer de couleur avant que je ne me serve », lâche un voisin de Moussa. Il se démène lui aussi à respecter la longue file d’attente. Comme Moussa, ce jeune homme a fui son pays, la République centrafricaine. Les anti-Balaka ont exterminé toute sa famille. Depuis cette rude épreuve, il tente de refaire sa vie. Loin de sa mère patrie, avec d’autres compatriotes, ils cravachent afin de se refaire une nouvelle vie au Cameroun, leur pays d’accueil.

« Nous discutions un jeudi du mois de septembre dans notre maison à Kentzou, lorsque des rebelles anti-balaka ont fait irruption. Ils ont commencé à tirer des coups de feu en l’air. Ils étaient dix », se souvient encore Moussa. « L’un d’eux a pointé son arme sur mon père et lui a tiré dessus. Pendant ce temps, les autres rebelles se sont mis à saccager les meubles dans la maison. Ma sœur ainée Zeinab qui rentrait du marigot a été violée devant mes deux petits frères et moi », poursuit le jeune homme que la nostalgie hante une fois la nuit tombée. Les yeux fermés, il se prend la tête entre les mains. Ses petits frères, Bello Haman, Bachirou Haman ont tenté l’aventure du Cameroun, mort dans l’âme. Le cœur meurtri par les affres de la guerre, au bout de plusieurs jours de marche, ils en viennent à destination : Borgop, une bourgade de la région de l’Adamaoua. Au péril de leur vie, ils ont arpenté les forêts, évitant de croiser sur leur chemin les bandes armées. « Je ne les quitte presque jamais des yeux depuis que nous sommes arrivé ici », argue Moussa.

Surpopulation

A l’image de cette famille désormais réduite à trois de ses membres, plusieurs milliers de réfugiés centrafricains ont élu domicile dans la région de l’Adamaoua qui compte deux camps des réfugiés  : Ngham et Borgop. Celui de Borgop est situé dans l’arrondissement de Djohong, département du Mbéré, région de l’Adamaoua. Ici, on compte plus de 11 705 réfugiés centrafricains arrivés au Cameroun depuis le début des conflits armées dans leur pays, en 2013. L’afflux des ressortissants centrafricains est considérable dans les différents camps. A Borgop par exemple, il ne se passe pas une semaine sans que des Centrafricains arrivent en grand nombre. Chaque jour, le camp se peuple de nouvelles victimes de la guerre. Hommes, femmes et enfants en bas âge habitent dans des tentes de fortune mises à leur disposition par le Haut-commissariat des réfugiés (HCR). Les plus chanceux ont bénéficié de logements dans les centres urbains des villes du département du Mbéré. Face à la surpopulation des camps de réfugiés le HCR veut créer d’autres centres d’hébergement dans la ville de Meiganga. Le Haut-commissariat des Nations-Unis pour les Réfugiés espère sur le retour de la paix en RCA viendra changer la donne. Certains de ces réfugiés ont réussis à s’intégrer dans les communautés d’accueil.

Des efforts notables, mais…

Camps des réfugiés de Borgop, dans la région de l'Adamaoua. Crédits : Aboubakar Dewa
Camps des réfugiés de Borgop, dans la région de l'Adamaoua. Crédits : Aboubakar Dewa
Selon les responsables des organisations humanitaires au chevet de ces milliers de réfugiés, les chantiers sont énormes. Les priorités de l’heure passent par l’établissement de la protection physique contre le conflit armé : assurer l'accès à l'aide essentielle ; améliorer l'état de santé des populations réfugiées ; assurer l'accès à l'éducation et accroître ou maintenir l'approvisionnement en eau, en particulier pour les réfugiés vivant au sein de communautés d'accueil. Une attention particulière sera accordée au renforcement de la lutte contre la violence sexuelle et sexiste dans ces sites. Le HCR et ses partenaires projettent d’accélérer leurs efforts pour développer les activités génératrices de revenus et renforcer les moyens de subsistance, afin de faciliter l'intégration des réfugiés dans leurs communautés d'accueil. Pour réduire les risques de conflit au sujet du contrôle des ressources naturelles et pour renforcer la cohésion sociale, des solutions destinées à atténuer l'impact d'un afflux massif seront élaborées et mises en œuvre. Les régions où sont accueillies les réfugiés comptent parmi les plus pauvres du pays. Elles manquent d'infrastructures essentielles, notamment d'écoles, de centres de santé et de points d'eau ; ainsi, des investissements importants seront nécessaires.

…beaucoup reste à faire

Ce qui frappe le visiteur du camp des réfugiés de Borgop, c’est d’abord la précarité dans laquelle vivent ces milliers de déplacés. La population croît à un rythme effréné. Les moyens d’accompagnement sont insuffisants. L’une des difficultés auxquelles font face le camp des réfugiés de Borgop, est celle liée à l’accès à de l’eau potable, indique un responsable du HCR. « Les abris et l’adduction en eau potable sont insuffisants. Les tentes sont en nombre inférieur. Les réfugiés sont pour la plus part des cas entassés sous ces tentes. L’accès à l’eau potable demeure encore un luxe pour ces personnes démunies », explique-t-il. Et d’ajouter, « les toilettes sont submergées. Certaines sont même bouchées et hors d’usage ». « Les enfants font leurs besoins derrière les tentes. Les hommes vont le faire en brousse, loin là-bas », raconte pour sa part Aminatou, âgé de 37 ans. Les enfants ont besoin des centres de santé pour se soigner au regard des cas de maladie devenus légion dans ces camps de fortune. Les organisations humanitaires qui s’occupent de ces populations sont obligées de se rendre dans la ville de Meiganga pour établir des actes de naissances aux nouveaux nés. Au fil du temps, la nécessité des salles des classes s’impose. « Nos enfants ont été contraints d’abandonner l’école pour sauver leur vie. J’ai deux enfants qui devaient présenter leur examen l’année dernière, mais la guerre les en a empêché », regrette, Hannatou, mère de trois enfants. « Ils ont brisé le rêve de mes enfants. Ils le payeront un jour », achève la jeune mère.

Le bulletin de l’espoir

Le 30 décembre  2015, les réfugiés centrafricains installés au Cameroun se sont joints à ceux de leurs compatriotes restés au pays pour accomplir leur devoir de citoyens. Ils sont allés en grand nombre voter pour le double scrutin législatif et présidentiel. Ils espèrent contribuer par cet acte au rétablissement de la situation dans leur pays d’origine. « Nous avons besoin d’un Président capable d’unir le peuple centrafricain tout entier. Nous devons tourner le dos aux démons de la division. Ces échéances électorales sont très importantes pour l’avenir de notre pays, longtemps déchirée par des conflits armées », se convainc Amadou, qui affirme avoir voté pour Anicet Georges Dologuéle. 

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