Cameroun : « Monsieur le pédé, tu ne pourras jamais gagner »

David Wanedam, à Douala (Cameroun)
13 Avril 2013



Alors qu'en France la question du « Mariage pour tous » est toujours débattue et fait l'objet de nombreuses manifestations, au Cameroun, on assiste au réveil de l'homophobie populaire. Selon les conclusions d'une étude menée par diverses ONG présentées le 23 mars 2013, le Cameroun est le pays qui condamne et traque avec le plus de fermeté, les relations consenties entre personnes de même sexe. Une homophobie très présente, tempérée par le président Paul Biya.


Me Alice Nkom, célèbre au Cameroun pour son activisme en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité | Crédits photos — Bertrand Gaudillère
Me Alice Nkom, célèbre au Cameroun pour son activisme en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité | Crédits photos — Bertrand Gaudillère
« Monsieur le pédé, tu vois que vous ne pourrez jamais gagner. Es-tu au courant du verdict d'aujourd’hui? Fais en sorte que tout le reste se passe ainsi et tout ira pour le mieux pour toi et ta famille. Abandonne cette folie ou alors tu iras à un deuil la semaine qui précède chaque procès. L'une de tes filles s'appelle bien Edouarda? Oublie le 21 décembre prochain [2012, NDLR], sinon nous allons la retrouver et nous occuper d'elle ». Le message que vient de recevoir Michel Togue, expert consultant en Droits de l'Homme et avocat au barreau du Cameroun est sans équivoque. A la veille d’un procès de deux jeunes hommes accusés d’homosexualité, l’avocat peine à se concentrer pour les défendre.

Même chose pour sa collègue, Me Alice Nkom, devenue très célèbre au Cameroun pour son activisme en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité. « Bonsoir la Pute, nous espérons que vous avez bien réfléchi. Le 21 décembre c'est pour bientôt. Êtes-vous prête à franchir le cap et à abandonner? Fais ton choix. Dans le cas contraire, prépare-toi à payer le prix fort. Que vaut ta sécurité, la paix, ton calme à côté des personnes qui n'ont plus rien d'humains ? », indique le texto qu’elle a soigneusement gardé, et signé de l'adresse courriel pasdepedeaucameroun@gmail.com .

Depuis son cabinet du quartier Bonandjo à Douala, elle affiche un optimisme à nul autre pareil, en même temps qu’elle regrette les violences que subissent les homosexuels. L’une des affaires encore sur son bureau est celle du jeune Jean-Claude Roger Mbédé, ce Camerounais qui a passé deux nouvelles années en prison pour avoir envoyé « Je suis très amoureux de toi » par texto à un ami. Si les deux jeunes hommes ont été acquittés, ils expliquent avoir fait l’objet de toutes sortes d’insultes, et même d’attaques physiques. « Ils sont violentés, et subissent toutes les formes de sévisses. L’an dernier, nous avons retrouvé l’un de nos jeunes que nous suivons, poignardé au couteau, dans sa chambre. Il avait reçu plusieurs menaces », explique une responsable d’une ONG basée à Yaoundé.

Au Cameroun, les homosexuels, tout comme leurs avocats, font l’objet de violentes agressions, tant verbales que physiques. Selon Human Rights Watch et trois organisations camerounaises de défense des Droits humains (Alternatives-Cameroun, ADEFHO et CAMFAIDS) qui ont présenté un rapport, le 23 mars 2013, le Cameroun poursuit des personnes en justice pour relations consenties entre personnes du même sexe avec plus d'ardeur que presque tout autre pays dans le monde.

« Si nous-mêmes, les défenseurs des droits fondamentaux, nous subissons chaque fois ce type de menaces, imaginez un peu ce que peuvent vivre les jeunes que nous défendons », explique Me Togue, qui a ainsi été contraint d’exiler sa famille, menacée, vers les États-Unis, avant de revenir au pays pour continuer la lutte.

« Nous avons appris que des gens détenus pour homosexualité ont été libérés. Donc il y a une évolution des esprits. Il ne faut pas désespérer », a indiqué le président du Cameroun, Paul Biya, en janvier dernier lors d’une visite en France. « Il y a discussion. Les esprits peuvent évoluer dans un sens ou dans un autre mais actuellement c’est un délit », a-t-il souligné.

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