Brésil : les manifestations contre la Coupe du monde s'enchaînent

Andressa Pellanda, correspondante au Brésil
21 Février 2014



Depuis juin dernier, le Brésil et la Coupe du monde font les Unes de tous les journaux. L'enjeu central concerne la vague de manifestations qui secoue le pays et les mesures de répression prises par l'État. Le Journal International s’est rendu au cœur des protestations.


© AFP
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Dimanche 16 juin au soir, plusieurs manifestants brésiliens ont été arrêtés et emmenés vers des postes de la police militaire, d'autres, y compris des journalistes, ont été blessés ou effrayés. Les jets de gaz lacrymogène, les sprays de piment, et les balles de caoutchouc utilisés par la police ont accueillis aux manifestants.

Une analyse plus profonde de la conjoncture sociale et historique du Brésil montre une nation marquée par la colonisation. Quelque part les traces de la ségrégation sociale et les inégalités sont encore visibles. Dans les rues, le reflet d'une société qui « se réveille » qui s’offre à nous. Selon l’ex-président, Lula, « ils en veulent plus, parce qu'il en ont plus ». Les slogans sur les affiches dans la rue demandent plus d'investissements publics en transport, éducation, santé, et dans d’autres services sociaux. Certains avaient déjà donné le signal d’alarme en expliquant que si les manifestations se sont propagées si vite dans le pays en 2013, « imaginez ce qu’il en sera lors la Coupe du Monde ».

Depuis l’an dernier, les demandes n’ont pas changé et ne semblent pas avoir été entendues par l’exécutif. Dilma Rousseff a annoncé la mise en place d’un plan avec trois points essentiels pour améliorer la société : éducation, santé et réforme politique. Aucun d’eux n’a été réformé depuis. Les changements du système politique, lancés par la présidente au Parlement, – n’ont pas non plus abouti. Aujourd’hui, la situation est différente. La Coupe du monde approche, amenant avec délogements forcés, dépenses exorbitantes, et impositions arbitraires de la Fédération Internationale de Football Association.

Les personnages principaux en premier plan

« Les groupes de manifestants ont des revendications différentes. Il y a des anarchistes, des black blocs, des membres de partis, et même des gens qui veulent le retour des militaires au sein du gouvernement. Malgré les contrastes, tout le monde marche ensemble », nous raconte F.M.*, étudiant en sciences politiques et l’un des organisateurs des manifestations à São Paulo. Il explique que les diverses réclamations se sont mélangées dans la foule avec les affiches contre la Coupe du monde au Brésil. Leur slogan principal ? « Si les droits ne sont pas garantis, il n’y aura pas de Coupe du monde » (“Se não tiver direitos, não vai ter Copa », en portugais) - résume bien leurs revendications.

Certains journaux comme Die Zeit ont remercié les Brésiliens pour ces manifestations, précisant que cela « aurait dû être fait il y a des années ». « L’héritage du Mondial n’est pas un héritage sportif ou d’une vie meilleure pour la société qui le reçoit. C’est un héritage de sponsors, c’est un héritage industriel. La Coupe du monde n’a pas été créée pour laisser des héritages », a commenté F.M., expliquant que les dépenses publiques pour les travaux de la Coupe du monde n’ont pas été destinées entièrement pour des réformes d'infrastructure urbaine, mais aussi pour des travaux dans les stades.

Le monologue de la FIFA, l’antagoniste

Les déterminations dites « arbitraires » de la FIFA font partie des réclamations des manifestants. « On ne peut plus porter des drapeaux ou des affiches dans le stade - une tradition aux matchs de foot au Brésil. La FIFA passe au-dessus des lois constituées dans le pays et impose ses propres lois », s’est il-plaint faisant référence à l’autorisation accordée aux entreprises qui produisent de la bière de vendre des boissons alcooliques dans les stades, chose qui était interdite par le Statut du Supporter, législation brésilienne qui réglemente les droits et devoirs des supporters dans les lieux de jeux sportifs.

« On veut un Mondial où les chefs d’Etat payent, eux aussi, leurs entrées pour les matchs. On veut un Mondial avec du acarajé », a plaisanté F.M. L’acarajé est un plat typique de l’Etat de la Bahia, au nord-est du pays, fait avec des haricots et des crevettes enroulées dans une pâte frite dans l’huile de Dendê, fruit d’un palmier brésilien. Récemment la FIFA a décidé d’interdire les « baianas » - femmes qui vendent le Acarajé, habillées en vêtements typiques aux alentours du stade.

Gouvernement, police militaire et médias entrent en scène

Lundi 10 février, Santiago Andrade, cinégraphiste pour une grande chaîne de télévision brésilienne, Band, est mort suite à une frappe d’explosif la semaine précédente à Rio de Janeiro. La police militaire a été appelée par le gouvernement pour repousser les manifestants. La prochaine manifestation est prévue pour demain (22 février, ndlr) place de la République, à São Paulo. Les manifestants ont rebaptisé l’événement « 22F », faisant référence aux Indignés de Madrid. « Internet a globalisé l’activisme. Les manifestations envers la Coupe du monde au Brésil ressemblent aux manifestations contre les réunions du G8, du G20 », a conclu F.M.

« Ce lieu a été choisit car c’est un grand lieu de passage. Notre présence ici aura un impact sur les médias. Les manifestations dans les périphéries ne sont pas annoncées et tournent plutôt mal », a-t-il expliqué. F.M nous raconte qu’un manifestant a déjà été poursuivi par la police. Il a reçu deux balles : une sur les parties génitales et un autre sur la poitrine. « Un tir sur la poitrine n’est pas un tir de dispersion ou de défense, c’est un tir d’exécution », a affirmé F.M.

La victime a été emmenée à l’hôpital et n’a pas succombé à ses blessures. Son avocat - membre de l’organisation Avocats Activistes - et sa famille n’ont pas été autorisés à lui rendre visite dans l’unité de soins intensifs. Selon son avocat, il serait encore en convalescence et était sous les effets de morphine quand deux officiers de police lui ont rendu une visite pour recueillir son témoignage. L’avocat, qui était dans sa voiture devant l’hôpital, a été abordé par les policiers à la sortie « Arrêtez de défendre les manifestants », ont-ils conclu avant de partir.

La population a totalement perdu confiance en Dilma Rousseff. Cette dernière n’hésite pas à réaffirmer que la Coupe du monde au Brésil sera une merveille et un vrai tournant dans l’histoire du pays et des mondiaux. Pour leur défense, les pro Coupe du monde ont lancé un nouveau #VaiTerCopa. L’expression est tout simplement l’opposé du slogan des manifestants. La guerre est déclarée. F.M. en est convaincu que « la Coupe du Monde ne sera plus jamais la même ».

* Le nom a été modifié 

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