Bosnie : la face cachée des accords de Dayton

Ronan Pezzini
24 Janvier 2016



« 40% de chômage », « berceau des salafistes » ou encore « pays divisé et instable », sont des expressions qui résonnent lorsqu'on évoque la Bosnie-Herzégovine. À l’heure du vingtième anniversaire des accords de Dayton, il est temps de dresser le bilan, voire de lever le voile.


Photo libre de droits
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Comment un pays au centre des attentions il y a vingt ans a-t-il à peine eu le temps de prendre une bouffée d’air avant de replonger dans une succession de crises ? La réponse se trouve en partie dans la question. Les accords de Dayton se révèlent être à double tranchant et leurs contradictions frappent de plein fouet la Bosnie-Herzégovine.

Un pays divisé

En 1992, la Bosnie-Herzégovine a déclaré son indépendance. La réaction ne s’est pas faite attendre et la Serbie a déclaré la guerre à ce pays qui deviendra le théâtre du conflit inter-ethnique le plus violent de la seconde moitié du XXe siècle. Pendant plus de trois ans, les populations serbes, croates et bosniaques, se sont affrontées pour des raisons nationalistes, chacun voulant un morceau du territoire. Le résultat a été un tableau macabre de plus de 100 000 morts et 2,4 millions de personnes déplacées. En mettant fin à cette tuerie en 1995, les accords de Dayton ont été un franc succès. Cependant, leurs ratifications se basent sur des compromis qui sont à la source de contradictions. La condition pour avoir la paix a alors été d’assouvir les besoins nationalistes des trois peuples. C’est ainsi que la Bosnie-Herzégovine a été divisée en deux régions autonomes : la Fédération croato-musulmane et la République serbe de Bosnie (Republika Srpska).

De cette scission, le gouvernement a perdu 80 % de ses compétences institutionnelles. L’autorité du pays se fait, depuis, à échelle locale notamment car la présidence bosniaque est devenue tricéphale. Chaque population élit son propre président, ce qui a rendu impossible toutes formes de communication ou d’action politique. Le pays plonge dans l’instabilité politique et les actions publiques n’ont que peu d’impact. Le revers de la médaille des accords de Dayton a donc été brutal et la Bosnie-Herzégovine reçoit le titre du pays le plus bureaucratisé d’Europe ! On compte, pour moins de 4 millions d’habitants, 600 parlementaires et plus de 200 ministres. Dans cette structure complexe, nul ne sait qui doit s’occuper de quoi. L’ancien président macédonien a dit lors d’une récente visite à Sarajevo : « J’ai eu l’occasion de rencontrer des représentants des autorités à tous les niveaux. Et, je dois l’avouer, je n’ai jamais compris qui est responsable de quoi. ».

Entre discrimination et arbitraire, une Constitution

La communauté de Dayton a également imposé à la Bosnie-Herzégovine une Constitution encore en vigueur aujourd’hui. Alors que l’idée était d’imposer une démocratie, ce texte fondamental se révèle discriminatoire à maintes reprises. En 2007, la candidature de Jakob Finci à la présidence avait été annulée en raison de sa confession juive. Déterminé à modifier le texte de loi, ce dernier accompagné de Dervo Sejdic – figure politique reconnue, issue de la minorité rom – ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme. En décembre 2009, l’institution strasbourgeoise rend son verdict et reconnaît l’existence de caractères discriminatoires dans la Constitution bosnienne. Malgré ces avertissements, la Constitution est resté inchangée jusqu’à aujourd’hui.

Par ailleurs, outre un caractère discriminatoire, le texte de loi se révèle antidémocratique. En creusant dans les annexes de la Constitution, on retrouve ainsi l’existence d’un « haut représentant européen » avec des pouvoirs considérables. Celui-ci détient les « pouvoirs de Bonn » et peut abroger des lois votées par l’un des Parlements, en imposer sans recourir à ces institutions ou encore destituer des élus. Initialement mis en place pour assurer la paix entre les dirigeants, son rôle a évolué et permet de consolider l’édifice institutionnel du pays en accélérant les réformes et la prise de décision dans un pays découpé politiquement. Pour autant, sa présence illégitime est controversée. Alors que le poste devait être supprimé en 2007, il a été prolongé jusqu’à maintenant, décrédibilisant le gouvernement bosniaque aux yeux de la communauté internationale. Les accords de Dayton ont finalement certes réussi à mettre en place une démocratie, mais celle-ci est limitée car arbitraire.

Des conséquences économiques mettant en péril l’avenir du pays

Dans la lignée des instabilités politiques, la Bosnie-Herzégovine connaît également des difficultés économiques. La transition prévue en 1995 n’a pas eu lieu et a abouti à la crise actuelle. Le pays est miné par une bureaucratie qui pèse lourd sur les dépenses publiques, un fort taux de chômage ou encore un taux de pauvreté important. La multiplication des institutions instaurées par la communauté de Dayton a rendu la relance économique de l’après-guerre inefficace. Alors que la division du pays complexifiait le commerce entre les trois peuples, la prépondérance du secteur public a littéralement grevé le budget de l’État. Le pays s’en est retrouvé davantage affaibli et le bilan actuel est sans appel. Le chômage a atteint 27 % en 2015 selon le FMI et plus de 62 % chez les 15-24 ans ! Cette génération de Dayton s'affirme lors des émeutes de 2014 à Sarajevo en réclamant de nouveaux emplois et en dénonçant une politique gangrenée par la corruption. Naturellement, le taux de pauvreté ne cesse de croître. Environ 15 % de la population bosnienne vit actuellement sous le seuil de pauvreté. À titre indicatif, le PIB par habitant en Bosnie-Herzégovine est de 4 300 $ alors qu’en France, il s’élève à 38 500 $.

Finalement, il semblerait que le point d’orgue pour que la Bosnie-Herzégovine retrouve un équilibre soit le même qu’il y a vingt ans. Alors que les partis nationalistes sont de nouveau en hausse, le pays doit plus que jamais s’atteler à l’impensable tâche d’unifier Serbes, Croates et Bosniaques – certainement le dernier moyen de retrouver un mécanisme étatique efficient. Cela suppose que ces trois peuples mettent fin à leur crainte mutuelle et tirent un trait sur les rancœurs du passé…

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