Des noms de famille mal orthographiés, des informations erronées, un format peu solide et peu pratique : les cartes d'électeurs de ces législatives déçoivent. Selon la loi, elles doivent être délivrées au moins deux semaines avant le vote. Cette année, elles se sont fait attendre. Leur distribution a été retardée jusqu'au lundi 20 avril, déclaré jour férié spécialement pour permettre aux Béninois d'aller retirer le document. Les électeurs s'étonnent de tant de complications, d'autant plus que les listes ont été réalisées via le Cos-Lepi , la Liste électorale informatisée provisoire, un programme coûteux pour le gouvernement qui peine à faire ses preuves. D'après leur site officiel, les organisateurs du programme ont néanmoins lancé deux appels pour un audit participatif, exhortant les citoyens à vérifier leur présence sur les listes d'électeurs et l'exactitude des informations avant l'édition des cartes électorales. La situation confuse de ce début de campagne résulterait-elle d'un manque de communication de la part du gouvernement ou d'un désintérêt des citoyens ? Dans les deux cas, elle témoigne d'un réel décalage entre les enjeux politiques de ces élections et l'indifférence croissante de la population.
Un président indétrônable
Le Docteur Thomas Boni Yayi est arrivé au pouvoir en 2006. Réélu en 2011, il achèvera son second mandat l'an prochain. D'après la Constitution du 11 décembre 1990, un président ne peut pas cumuler plus de deux mandats consécutifs, mais c'est précisément cette loi que Boni Yayi souhaite amender à son avantage. Si son parti, le Force Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE), remporte au moins 50 des 83 sièges à l'Assemblée nationale, il pourra prolonger cette limite dans l'espoir d'être réélu en 2016.
C'est la raison pour laquelle une vague de démissions a récemment déferlé sur le FCBE. Le 16 avril, des élus de la localité d'Abomey-Calavi ont annoncé qu'ils rejoignaient l'opposition. Georgy Adounvo, Emmanuel Koï, Claude Djankaki et Félix Dansou Dossa ont déclaré quitter le parti du président dont ils critiquent la « mauvaise gouvernance » et la « mauvaise expérience ». Ils rejoignent alors l'alliance Renaissance du Bénin-Réveil Patriotique (RB-RP), un des principaux opposants du pouvoir en place.
La guerre des clans
À l'échelle nationale, les principaux partis de l'opposition ont tous le même but : remporter assez de sièges pour empêcher Boni Yayi de s'attribuer un mandat supplémentaire. L'Union fait la Nation (UN) de Bruni Amoussou, le Parti du Renouveau Démocratique (PRD) d'Adrien Houngbédji, et l'Alliance du Bénin Triomphant (ABT) redoublent d'efforts dans cette campagne électorale pour contrer le président. En réponse à ces attaques, Boni Yayi vise spécifiquement certaines personnalités qu'il juge dangereuses pour ses projets, comme l'expliquait son opposant Candide Azannaï de l'UN à la Nouvelle Tribune. Les enjeux des législatives sont purement stratégiques en vue des prochaines élections présidentielles, et les revendications politiques des partis sont donc reléguées au second plan.
Une affaire d'argent
Les Béninois demeurent conscients des agissements intéressés de leurs politiciens. Ils parviennent même à tirer profit des efforts financiers déployés dans cette campagne. Les rues sont envahies d'affiches et certains partis, comme l'ABT, vont même jusqu'à payer les électeurs pour qu'ils assistent à leurs meetings. D'un point de vue politique, les citoyens n'entretiennent aucune illusion, se sentent délaissés de manière générale. Le pays traverse une crise difficile et le chômage des jeunes atteint un niveau élevé, de presque 30 %. Lorsque les différents partis leur offrent une rétribution généreuse pour coller des affiches, il n'est donc pas question de refuser. Comme ils l'affirment eux-mêmes, il ne s'agit pas d'être impliqué politiquement mais de « bouffer à tous les râteliers ».
En théorie, la campagne est réglementée et ces agissements proches de la corruption sont interdits. La réalité est toute autre : la veille des élections, des démarcheurs se déplacent dans toutes les habitations dont les occupants sont susceptibles de voter pour leur parti, pour s'assurer de leurs faveurs. Les policiers patrouillent dans les rues pour empêcher cette pratique illégale, mais la tradition perdure sous le regard à la fois amusé et sceptique des citoyens. Dimanche, ils voteront pour le parti qui aura su les séduire financièrement, à défaut d'avoir un parti qui défend leurs intérêts.