La Belgique ne devrait pas subir de grève générale le 12 mai prochain. Le comité fédéral de la Fédération générale du travail de Belgique a considéré cette grève « prématurée ». Il s’agit de la première accalmie syndicale après huit mois de contestations face au gouvernement en place. Depuis que le nouveau gouvernement belge a été formé, on estime qu’un travailleur sur deux a participé à au moins deux mouvements de grèves. La période sociale est particulièrement agitée. « La manifestation du 6 novembre dernier a réunit 120 000 personnes à Bruxelles », souligne la FGTB, « on avait plus vu ça depuis une vingtaine d’années ».
De l’aveu même de nombreux syndicats, le gouvernement dirigé par le libéral Charles Michel menacerait bien plus les acquis sociaux des travailleurs ou des allocataires sociaux que ses prédécesseurs. Il faut dire que la coalition au pouvoir a une identité politique plus que singulière.
Charles Michel et la « Suédoise »
Toute nouvelle coalition au pouvoir en Belgique est affublée d’un surnom. La coalition formée au mois d’octobre passé a hérité de celui « Suédoise ». Une référence directe aux couleurs et à la forme du drapeau de Suède. Le bleu découle des deux formations libérales du pays, le Mouvement réformateur francophone et son cousin flamand de l'Open Vlaamse Liberalen en Democraten. Le jaune provient de la Nieuw-Vlaamse Alliantie, parti libéral et régionaliste du nord du pays. La croix est héritée du parti Christen-Democratisch en Vlaams, chrétiens-démocrates flamands. Pour la première fois depuis 1987, le Parti socialiste n’est pas de la partie au gouvernement fédéral. Pourtant la formation socialiste est la première force politique côté francophone.
Sans le PS à bord, la Suédoise se distingue par son inclinaison nette de centre-droit. « C’est la première fois depuis longtemps que la Belgique vit avec un gouvernement qui assume clairement une bipolarisation de la vie politique », analyse Jean-Benoit Pilet, président du département de science politique de l’université libre de Bruxelles. « C’est un gouvernement qui joue sur cette identité-là. C’est ce qui entraîne le conflit social qu’on vit depuis maintenant un an », poursuit-il.
L’accord de gouvernement annonçait la couleur : l’objectif de retourner à l’équilibre budgétaire d’ici 2018 demande de sérieuses restrictions budgétaires. Le gouvernement Michel compte réduire les dépenses à hauteur de huit milliards d’euros, il table notamment sur des baisses des charges pour les entreprises ainsi que sur des réductions du nombre de fonctionnaires.
Parmi les réformes les plus marquantes annoncées par la nouvelle équipe gouvernementale, on retiendra l’allongement de l’âge de retraite à 67 ans d’ici 2030, ou le gel temporaire des salaires. Ce gel des salaires, appelé « saut d’index », a été décrit comme une « déclaration de guerre » par les syndicats. L’identité politique plus affirmée de ce gouvernement, le pousse à moins s’insérer dans le compromis que ses prédécesseurs. Les syndicats ont régulièrement dénoncé des décisions « trop unilatérales » de la part de la Suédoise.
La Suédoise, bien que marquée au centre-droit voire même à droite, a pourtant été tempérée par les démocrates chrétiens du CD&V. « On se rend compte que le CD&V est freiné par sa base de centre-gauche, sa base proche de la CSC [syndicat catholique, ndlr] », analyse M. Pilet. « Le CD&V est sans doute le parti qui veut le plus maintenir ce volet consensuel, qui insiste sur la concertation sociale », conclut-il. Une volonté de consensus aussi reflétée par l’attitude du syndicat catholique quant à une éventuelle remobilisation le 12 mai prochain.
Jugeant une grève générale le 12 mai prématurée, la CSC aurait voulu éviter de mettre en difficulté le parti CD&V au gouvernement. Mais un autre membre de la Suédoise a aussi une importance capitale. Le premier parti côté flamand, la N-VA, est présent pour la première fois au gouvernement fédéral. Le parti régionaliste et libéral, semble pourtant avoir freiné certaines de ses aspirations pour le moment.
Economie d’abord ?
Pour certains membres de la N-VA, le communautaire devrait ressurgir à l’aune des élections de 2019. Le gouvernement actuel semble d’abord décidé à proposer des réformes de nature économique. Une tendance qui correspond aussi aux aspirations des électeurs. Une tendance où les questions communautaires sont en net recul, par rapport à l’économie. Cela peut toucher l’emploi des langues dans les administrations publiques, tout comme les compétences en matières scolaire ou de sécurité sociale.
D’après une étude récente de l'université catholique de Louvain, seuls 5,4 % des étudiants souhaitaient une Flandre indépendante au moment des dernières élections. Ils étaient 11,9 % en 2010. Les préoccupations de l’électorat flamand sont d’abord économiques : l’emploi, les soins de santé et les pensions. L’accord de gouvernement de la Suédoise en est le reflet. Un « calme » communautaire qui s’explique aussi par la nouvelle réforme de l’État, adoptée lors de la dernière législature. Cette réforme, la sixième du genre en Belgique, a rendu beaucoup de pouvoirs aux entités fédérées. Néanmoins, cette réforme doit encore être mise en œuvre. Certains transferts doivent encore être effectués entre l’État fédéral et les entités fédérées.
Pourtant les questions socio-économiques pourraient faire le lit communautaire et faire le jeu de la N-VA. Selon M. Pilet « le discours des partis qui jouent du communautaire est un discours qui essaie d'allier le communautaire et l'économique », pour qu’au final « les deux clivages se superposent ». Pour le politologue cette idée pourrait se résumer par : « si vous voulez une politique de droite, une politique pas paralysée par le socialisme, il faut le faire en donnant plus d'autonomie à la Flandre ».
C'est un sentiment régionaliste qui par ailleurs n’existe pas dans la partie francophone du pays, d’après le politologue, ce qui n’empêchera pas les syndicats de poursuivre leurs actions. La FGTB a déjà souligné un « maintien de la pression à travers d’autres activités », et conservera « l’arme de grève pour d’autres moments ».