Belgique : le cœur de l’Europe troublé

13 Novembre 2014



Directement impliquée dans la construction politique européenne, la Belgique s'est retrouvée sans gouvernement durant 541 jours entre 2010 et 2011. Les élections législatives de mai 2014 ont conduit le nouveau Premier ministre à former une coalition. Mais les Belges ont exprimé leur mécontentement le 6 novembre dernier face à la politique menée par ce nouveau gouvernement.


Crédit RTBF
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La Belgique est un État fédéral dont le pouvoir exécutif est assuré par le roi et ses ministres. Elle est composée des communautés flamande, française et germanophone, réparties sur les régions flamande, Bruxelles-capitale et wallonne. Le système fédéral est couplé à une monarchie constitutionnelle et parlementaire. Le roi, symbole de l'unité du pays, signe les lois du parlement mais joue surtout le rôle de médiateur. 

Des crises politiques récurrentes

Suite aux élections législatives de 2007, le pays est resté 194 jours sans gouvernement. Il a fallu attendre le 20 mars 2008 pour que le pays soit gouverné. Le même problème est survenu en 2010, de façon encore plus grave : 541 jours sans direction. Dans les deux cas, la composition d’un gouvernement s’est avérée très complexe, dû notamment aux obligations de coalitions.

Le gouvernement fédéral actuel, en place depuis le 25 mai 2014, est constitué d'un Premier ministre socialiste et d'une majorité parlementaire de droite. Ce sont les premières élections législatives depuis 2007 qui n’ont pas créé de crise politique. Mais un mois après les élections, le Premier ministre n'avait pas réussi à former une coalition. Le peuple craignait donc une nouvelle crise politique, qui a pu finalement être évitée grâce à la nomination d'un nouveau Premier ministre, cette fois-ci issu du Mouvement réformateur. Un nouveau souci se pose donc : le mécontentement d’une partie du peuple face aux mesures du gouvernement, désormais majoritairement de droite.
 

La plus grande manifestation de travailleurs depuis 1986

En 1986, 200 000 personnes ont marché dans les rues de Bruxelles pour manifester contre les mesures d’austérité. Ce jeudi 6 novembre, ils étaient 100 000 selon la police, 120 000 selon les manifestants. Trente ans plus tard, les raisons sont les mêmes. Ce sont surtout les syndicats qui ont défilé, mais aussi des étudiants et des organisations féministes. Parmi les plus nombreux, on peut noter la Centrale Générale des Services Publics et la Fédération des Services Publics du Syndicat Socialiste.

Le responsable de ce dernier, Gilbert Lieben, nous explique la volonté des manifestants
 « Nous voulons que le gouvernement fédéral change sa politique. Constitué depuis quelques semaines, son programme est franchement à droite : suppression de l’index de liaison des salaires à l’évolution des prix, report d’âge de la pension de 65 à 67 ans, diminution des services au public, augmentation des taxes à la consommation…» Il affirme que la plupart de ces mesures consistent en un durcissement des politiques annoncées lors des campagnes électorales. 

Pour Fabien Houlmont, commissaire membre de la CGSP, « la démocratie ne se résume pas à une démocratie parlementaire. [] Une société sereine et harmonieuse se bâtit sur le dialogue et la concertation.» Il veut donc « veiller à ce que le gouvernement belge envisage des mesures plus équilibrées, [surtout] en matière de financement des pensions et de la sécurité sociale. » Pour lui, c’était la revendication principale de la manifestation. 

Les deux manifestants nous ont expliqué dans leurs témoignages que le gouvernement avait durci les propositions de base. De la même façon, M. Houlmont a voulu fortement accentuer l’importance de la démocratie sociale. Cependant, d’autres personnes ne sont pas du même avis. C’est le cas pour Sylvain, un militant du Mouvement réformateur, qui a dit être contre la manifestation « pour plusieurs raisons : certaines revendications n’avaient pas lieu d’être, par exemple, le non-remplacement dun fonctionnaire sur cinq, qui est une mesure du gouvernement wallon, et puis je trouve que les manifestants ne laissent pas sa chance au nouveau gouvernement. [] Je peux comprendre que le PS soit déçu de ne plus être au gouvernement, mais il joue sur les peurs des gens et ce n’est pas normal. » Il relativise également quant au nombre de manifestants, qui ne représentent pas 1% de la population belge, en donnant l’exemple de la marche blanche, 20 ans auparavant, qui a rassemblé plus de 300 000 personnes. 

Une opposition qui tient sa place

Le gouvernement, de son côté, déclare que « les syndicats n’ont aucune alternative: ils veulent que nous copions la France, mais ce pays est dans une situation bien pire» Il affirme ainsi qu’il n’y a pas d’alternative à leur politique, et qu’il ne répondra donc pas aux revendications faites lors de la manifestation.

M. Denis Ducarme, député MR au Parlement, a précisé lors d'une interview que le parti ne faisait que suivre la ligne directrice du gouvernement. Il affirme que ce sont des mesures nécessaires pour rétablir le pays et faire face aux pressions de l’Union européenne, et que cela ne devrait en aucun cas être surprenant. Il nuance tout de même en disant que les manifestations sont normales face à des réformes qui ne plaisent pas à tout le monde, et que le ministère est prêt à discuter avec les syndicats, puisque le passage par la concertation est une nécessité dans les accords du gouvernement. 

Une violence qui décrédibilise les revendications

Crédit AFP
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Les images diffusées montrent une manifestation violente. Des camions qui brûlent, des canons à eau, la police tentant de disperser la foule à grand renfort de matraque : les scènes typiques d’une manifestation qui a dégénéré. Il y a eu cent-onze victimes, treize arrestations et un homme sous mandat d’arrêt. Onze véhicules ont été incendiés et soixante-deux endommagés. 
 

Cependant, ce ne sont pas des personnes ayant participé à la manifestation qui ont causé cela. M. Lieben l’affirme « Malheureusement, la présence de quelques éléments qui cherchaient les incidents et la consommation de boissons alcoolisées pour certains ont donné des incidents inacceptables. » M. Houlmont nous explique également que « pour les policiers qui assuraient le service dordre, en particulier à la gare du Midi, ce fut un calvaire Faire face à pareille violence, cest particulièrement difficile et frustrant… »

Il est intéressant de voir que les opposants se positionnent de la même façon : Sylvain, le militant MR affirme « qu'il y a souvent des casseurs dans les manifs, donc je ne suis pas spécialement outré quil y en ait eu cette fois-ci. Détruire les biens dautrui et les biens publics est dégoûtant, mais ce nest pas spécialement la faute des organisateurs» Pour lui, il ne faut pas associer les casseurs aux manifestants. M. Ducarme, de son côté, nous explique que c’est une « minorité excessive qui crée des violences. Certains membres du gouvernement projettent sur lensemble de la manifestation une image négative. Il y a une violence tout de même très sérieuse, douze policiers blessés. Mais il serait tout à fait ridicule et de courte vue de projeter ces actes de violence sur lensemble de la manifestation, la majorité ayant eu une démarche citoyenne. »

Plusieurs témoins ont vu des "casseurs" insulter des immigrés ou des personnes s’apparentant à ceux-ci lors de la manifestation. L'hypothèse la plus probable est que ces "casseurs" appartenaient à des groupes d’extrême droite, présents pour décrédibiliser la manifestation. Fabien Houlmont explique « Lextrême gauche aime parfois en découdre avec la police, mais ne sen prend jamais aux immigrés. Donc, je suis pratiquement certain que ces fous furieux étaient des extrémistes de droite. »

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Carolina Duarte de Jesus
Arrivée en France il y a quatre ans, j'ai entamé des études de Science-Politique. Les relations... En savoir plus sur cet auteur