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Autant le cinéma kazakhstanais n’est pas encore particulièrement compétitif sur le marché des biens culturels, autant il revient assez régulièrement vers le cinéma d’art et d’essai. Même s'il espère emporter un jour l'adhésion du public, il reste avant tout un cinéma d'auteur, peu commercial, très artistique, ancré dans la réalité sociale, plein de sens et réfléchi.
Dans son film, le réalisateur Emir Baïgazin transmet l'authentique et interminable tristesse d'un village isolé. Son réalisme frappe même le spectateur originaire du pays. Cette réalité sociale est aussi méconnue à l'étranger qu'à Astana, la capitale du Kazakhstan, ou Almaty, le centre économique et culturel du pays. Le film raconte l’histoire d’Aslan, un adolescent de 13 ans, qui vit avec sa grand-mère dans un petit village kazakh dont le nom reste un mystère.
Aslan « ne sourit jamais »
Aslan traverse une période difficile. Au collège, il est victime de harcèlement. Lors d'une visite médicale scolaire, la remarque anodine de l'infirmière sur sa force physique déclenche la jalousie du caïd de la classe, Bolat. Jaloux, il conseille à Aslan de boire un verre d’eau dans lequel tous les garçons ont trempé leur sexe.
Mais le jaloux reste insatisfait. Dorénavant, plus aucun élève de la classe ne sera autorisé à lui parler sous peine de représailles. Aslan reste seul face aux conséquences de cette humiliation. Il ressent une sorte de trouble obsessionnel lié à la propreté de son corps, se lave parfois à plusieurs reprises avant de se coucher, et change ses vêtements deux fois par jour. Compulsivement, il attrape des cafards avec des gants et les rassemble dans un bocal.
« Il ne sourit jamais. Il a l’air préoccupé » confie sa grand-mère à un guérisseur. De nature, Aslan n’est pas un bavard, mais l’atmosphère en classe ne l’aide pas à s’ouvrir. Fragilisé, isolé, il s'enferme dans un mutisme à l’école et à la maison.
Un autre thème important abordé dans le film est le racket à l’école. Bolat, l'ennemi juré d’Aslan, détrousse ses camarades de classe au profit des chefs de bandes mafieuses dans l'espoir de leur succéder. Le racket est malheureusement une réalité au Kazakhstan, en province comme dans les universités des grandes métropoles.
« Le défi est de pardonner ou continuer à se battre »
Une jolie fille qui se voile délibérément pour que Dieu la protège des regards masculins. Un garçon dont la jambe devra être amputée, car ses agresseurs ont décidé que lui prendre ses baskets n'était pas assez. Aslan qui décide de se venger. Et sa vengeance sera fatale. Implicitement, sans chercher à choquer davantage la sensibilité du spectateur, le réalisateur parvient à accabler avec les mots, les soupirs, les regards. Même le silence des objets est expressif. Il devient alors évident que le film méritait amplement le prix de la meilleure image à Berlin. Tout est pesé, étudié, pour intensifier la sirène d’alerte émise par le film.
Emir Baïgazin réussit à plonger le spectateur dans un quotidien où la violence est devenue ordinaire. La banalité des situations, familières à tous, l’école, les cours, les relations difficiles avec les camarades de classe, un premier amour, prennent ici un tournant exceptionnellement virulent.
Dans un entretien avec la journaliste Morgan Pokée de la revue « Répliques », Emir Baïgazin présente les Leçons d’harmonie comme « un film sur un système de violence qui est inhérent à la nature humaine. 'Leçons d’harmonie' ne raconte pas une guerre entre des personnes mais raconte la guerre intérieure qui ravage une seule et même personne. Pour chacun d’entre nous, le défi est de pardonner ou continuer à se battre ».