Autriche : une fête nationale entre neutralité et fierté

29 Octobre 2013



En commémoration de la date du vote sur sa neutralité perpétuelle en 1955, l'Autriche célèbre sa fête nationale le 26 octobre. Samedi dernier, de très nombreuses manifestations ont été organisées à Vienne comme dans toutes les régions. Au programme : cérémonie militaire en présence du président fédéral, journée porte-ouverte dans différents ministères et messe en l'honneur de la nation. Reportage sur ce marathon.


Crédits Photo -- Service de presse de la Présidence fédérale de la République d'Autriche
Crédits Photo -- Service de presse de la Présidence fédérale de la République d'Autriche
Diplomatiquement, le passé et le présent de l'Autriche sont passionnants : jadis l'un des États les plus vastes et les plus puissants d'Europe, aujourd'hui neutre et semble-t-il sans prétention à s'immiscer en première ligne dans les affaires du monde. Depuis le 26 octobre 1955, ce pays – qui a accueilli parmi les conventions et congrès les plus fondamentaux des derniers siècles – s'est doté d'une neutralité militaire permanente.

Ce statut lui permet d'être de nos jours l'hôte de nombreuses organisations internationales comme l'Organisation des nations unies (et plusieurs de ses départements comme l'Agence internationale de l'énergie atomique), l'Organisation des pays exportateurs de pétrole ou bien encore l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Par ailleurs, et les élections du 29 septembre 2013 dernier l'ont montré avec le poids qu'elles ont attribué aux partis à tendances nationalistes, le pays vit un intense questionnement quand à son identité. C'est dans ce contexte qu'interviennent les manifestations à l'occasion de la fête nationale (Nationalfeiertag), quarante-neuvième du genre depuis son introduction.

Dix heures : honneurs militaires sur le Heldenplatz

Au centre de Vienne, entre l'arrière du Graben, la monumentale façade de la bibliothèque nationale et le jardin du peuple (Volksgarten), se situe la place des héros. Depuis lundi après-midi, six hélicoptères dont deux Black Hawks ont atterri sur le Heldenplatz pour la dix-huitième année. Les soldats ont été accueillis par le ministre de la défense, Gerald Klug. Un bateau, un drone d'observation et d'autres pièces de l'industrie du char sont également présentées au public.

Lors de la "journée des écoles", l'armée fédérale a fait fort en réalisant un record du monde de bungee-jumping. Concrètement, c'est une forme de saut à l'élastique effectué par un soldat du haut d'une grue de 192 mètres, avec 3,2 secondes de chute libre et une vitesse maximale de 120 km/h. L'objectif est de fêter les cinquante ans du commando de chasse : ainsi, l'auteur de l'exploit restera anonyme.

Samedi, à partir de 9 heures, le président puis le gouvernement et enfin des associations de victimes déposent des couronnes et des gerbes dans la crypte. Une heure plus tard, une imposante cérémonie met en scène la prestation de serment de plus d'un millier recrues devant le chef de l'État, constitutionnellement commandant des forces armées. Toute la journée, on peut assister à divers exercices de manœuvres, ateliers dynamiques, discussions libres avec des officiers. Selon la télévision publique, 800 000 personnes environ se seront rassemblées en ce lieu magnifique entre le 25 et le 27.

Les nombreuses petites expositions sont particulièrement visitées. Animées par 500 militaires, elles abordent les thèmes suivants : contribution à la sécurité dans le cadre de l'UE, communauté autrichienne de l'airborne, interventions internationales, protection et assistance à l'intérieur du pays, technologie militaire, faire carrière dans l'armée, la place du sport au sein de l'armée, la milice, le soldat et l'environnement, logistique sanitaire. L'ensemble est rediffusé en direct sur internet, où la communication a été très efficace ces dernières semaines, notamment avec la publication d'un tract-programme.

L'on peut s'intéresser un instant à l'armée autrichienne. Le pays est neutre mais a pour le moment conservé, comme son voisin suisse, le système de la conscription masculine. Un référendum en vue d'éventuellement supprimer le service militaire et de mettre en place une armée de métier réduite mais plus performante a échoué le 20 janvier 2013. Lors de cette consultation populaire, 59,7 % des électeurs se sont prononcés en faveur du maintien du mode de fonctionnement actuel d'une durée de 6 mois (depuis le raccourcissement de 2005). Une majorité claire qui ne doit pas nécessairement être interprétée comme le signe d'un attachement des Autrichiens à la conscription : le taux de participation n'était que de 52,4 %, une partie considérable des jeunes préfère en réalité effectuer un service civil – parfois même à l'étranger – plutôt que de s'engager dans l'armée. À ce jour, le Bundesheer comporte environ 30 000 membres permanents, autant de mobilisables et un million de "préparés".
Crédits Photo -- Service de presse de la Présidence fédérale de la République d'Autriche
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Trois visites au sommet : chancellerie, présidence, cathédrale

Quelques centaines de mètres plus loin, au sein du quartier gouvernemental, dans un espace concentré proche de la mairie (Rathaus), de l'université, du fameux Burgtheater, des musées les plus prestigieux et du Parlement, se trouvent notamment les ministères de l'intérieur, des affaires européennes et internationales, de l'enseignement, la culture et l'art. Un grand nombre d'entre eux ouvre aujourd'hui ses portes.

Mais c'est la chancellerie qui attire le plus de curieux. L'importance du service de sécurité est inhabituelle dans cette ville d'ordinaire si calme où les bâtiments du gouvernement ne sont gardés que par un policier ou deux. Le public peut notamment admirer de près la salle qui accueillit les principales sessions du Congrès de Vienne en 1815, le salon de marbre abritant des tableaux à l'huile sur le Traité d'État (Staatsvertrag) signé en 1955 avec les Alliés et les Soviétiques, la salle du conseil des ministres, le bureau personnel du chef du gouvernement, le bureau où travaillèrent de précédents chanceliers et enfin l'exposition sur la "bulle dorée" de l'Empereur Charles IV. Par ailleurs, de nombreux stands d'information ont été mis en place, ainsi que des lectures publiques de textes de Artmann, Busch, Franz et Schnitzler par des comédiens du Burgtheater ainsi que des intermèdes musicaux de Steinberg et Havlicek et enfin un atelier sur la sécurité des téléphones portables.

De l’autre coté de la rue, le premier personnage de la République est installé dans un grand complexe de bâtiments : le Hofburg, qui symbolise la puissance de l'Empire de naguère. La construction des parties les plus anciennes du palais remonte au XIIème siècle et reflète des styles architecturaux très variés. On y trouve aujourd'hui en outre le musée Sissi, une église, la Bibliothèque nationale, l'école d'équitation espagnole. La visite est assurée par des collaborateurs de la présidence. J'ai eu comme chacun le souhaitant la possibilité de lui serrer la main et d'échanger quelques paroles aimables.

Le président fédéral (Bundespräsident) exerce ses fonctions dans le cadre d'un régime parlementaire assez classique en Europe. Élu au suffrage universel direct – une originalité toutefois –, celui-ci doit veiller à se tenir au-dessus des clivages entre les partis. C'est lui qui lance formellement la procédure de mise en place du gouvernement après les élections : Dr. Heinz Fischer a chargé le chancelier Werner Faymann de mener les négociations en vue de composer un nouveau gouvernement de grande coalition d'ici à décembre 2013. Ainsi, le poste du président fédéral est honorifique et correspond à une autorité morale dont on respecte les prises de parole.

Une note religieuse pour clore cette belle journée avec une messe pour la patrie (Gottesdienst für Heimat und Vaterland). Présidée en la cathédrale Saint-Étienne (Stephansdom) par Mag. Christian Werner, évêque militaire d'Autriche, elle rappelle la mémoire des héros nationaux civils et militaires et honore particulièrement la Vierge Marie, protectrice du pays. Moments forts, la litanie, la récitation du rosaire, la procession aux cierges et enfin la Missa solemnis de Wolfgang Amadeus Mozart et le Magnificat de Franz Schubert.

Fière de son passé historique, l'Autriche a mis en avant pour cette fête nationale les plus beaux bâtiments de sa capitale, sa tradition catholique ainsi que l'engagement de son armée – neutre – dans des missions d'aide humanitaire, de maintien de la paix et d'assistance civile intérieure.

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Benoît Rinnert
Ancien rédacteur-en-chef du magazine trilingue "Le Parvenu" (http://www.leparvenu.net), je suis... En savoir plus sur cet auteur