Le flou qui persiste autour du triple assassinat de trois militantes kurdes le 9 janvier à Paris, est une aubaine pour les différents protagonistes du conflit kurdo-turc, qui se sont empressés d’instrumentaliser l’événement et de le mobiliser dans leur lutte politique. Imputation, dénonciation et réactivation de clivages, voici les réactions des différents acteurs politiques de la scène turque et leurs interprétations.
La tentative de légitimation du processus de négociation par l’AKP
Les exécutions de la rue Lafayette, qui ont fait la une des journaux en Turquie, sont l’occasion pour le pouvoir de légitimer le processus de négociation, présenté comme nécessaire : le conflit continue de faire des victimes, et cela même à l’extérieur du territoire turc.
Le Premier ministre turc, Recep Tayip Erdogan, s’est empressé d’avancer l’hypothèse d’une provocation de la part de ceux qui s’opposent à l’émergence d’une solution au conflit. Il visait alors soit les membres d’un courant minoritaire de l’organisation PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) attaché à la lutte armée, soit un groupuscule nationaliste opposé à la négociation.
Après l’échec des précédents pourparlers en 2009, l’AKP (Parti pour la justice et le développement), parti au pouvoir depuis 2002, joue une partie de sa crédibilité et de son avenir politique dans son rapprochement en cours avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan, dont l’objectif est le désarmement des militants kurdes. Ces négociations représentent un enjeu significatif, car un deuxième échec pourrait sérieusement remettre en cause les espoirs de victoire de la majorité aux élections présidentielles de 2014.
Si les membres dirigeants du PKK et du BDP (Parti pour la paix et la démocratie – parti politique kurde légal) semblent également en faveur de la négociation, les événements parisiens sont tout de même l’occasion d’intensifier de façon symbolique l’opposition entre Turcs et Kurdes.
Le clivage turquo-kurde mobilisé par les partisans du PKK
Le rôle des services secrets de l’Etat est pointé du doigt par la plupart des militants du PKK et du BDP. Cette dénonciation permet de réactiver et d’intensifier le clivage kurdo-turc en présentant l’Etat comme un acteur unitaire, opposé dans son ensemble à la résolution du conflit (sans aborder les divergences au sein de la scène politique turque, entre partisans de la négociation et opposants).
Ce clivage est également au cœur du discours du MHP (Parti d’action nationaliste – nationalistes turcs) mais dans le sens inverse : le MHP souligne le rôle des extrémistes kurdes dans la mort des trois militantes.
La condamnation du terrorisme kurde par les nationalistes turcs
L’opposition nationaliste, troisième force politique du pays, retient la piste du conflit interne au PKK. Présentés par le MHP comme majoritairement favorables à la lutte armée et à la formation d’un Etat indépendant, les militants kurdes auraient voulu affirmer leur position en s’attaquant à des femmes kurdes modérées (c'est-à-dire pro-négociation). Cette action légitimerait dès lors la position du parti nationaliste vis-à-vis des discussions turquo-kurdes et favoriserait le « tout-représsif » qu’il prône à l’égard du PKK.
Le CHP (Parti républicain du peuple – sociaux-démocrates), par l’intermédiaire de son président, a affirmé quant à lui son soutien aux discussions entre Ankara et PKK. Le deuxième parti du pays ne devrait profiter que très peu d’un retour de la question kurde au cœur du débat politique. Au contraire, semble-t-il, du parti nationaliste.