Argentine: un an après la tragédie de Once

22 Février 2013



Le 22 février 2012, à 8h30, un accident de train en plein cœur de Buenos Aires faisait 51 morts et 703 blessés. Un an après, alors qu’un procès est en cours d’instruction pour comprendre ce qui s’est passé, corruption et assassinat de témoins sèment le doute.


Argentine: un an après la tragédie de Once
Buenos Aires était en fête: c’était la semaine du carnaval. Le mercredi matin, après deux jours fériés, les Porteños retournaient au travail. L’accident survint en pleine heure de pointe, au cœur de la capitale sur la ligne d’un train de banlieue. En arrivant à la station, le train ne décéléra pas suffisamment, et atteignit le quai à une vitesse de 20 km/h. Les premiers wagons, les plus bondés, ont été littéralement aplatis par le choc. La surcharge et la difficulté d’accès des wagons déformés expliquent un bilan humain si lourd, malgré la rapidité des interventions sanitaires. La 51ème victime n’a été retrouvée que deux jours après le drame. L’événement a suscité l’émotion dans tout le pays, et la présidente Cristina Kirchner et le maire de Buenos Aires Mauricio Macri ont décrété deux jours de deuil national.

Un an après, le souvenir demeure vif alors que les causes de l’accident restent encore assez floues. L’enquête devait déterminer si l’accident est dû à une faille du système de frein ou à une erreur humaine. Les premiers mois, TBA, l’entreprise de transport responsable de la ligne, a mis en cause la négligence du machiniste qui conduisait le train, rescapé de l’accident. Mais il semble qu’il ne soit pas le seul responsable. Le juge Claudio Bonadío, en charge du procès, a déclaré l’enquête terminée et appelle les parties à comparaître. Sur le banc des accusés, il y aura de nombreux responsables de TBA, la société de transports, ainsi que plusieurs ex-fonctionnaires, dont les deux derniers ministres des transports accusés de n’avoir pas entretenu le réseau ferroviaire dont ils étaient co-responsables.

Privatisation, corruption, exécution ?

L’état du réseau ferroviaire argentin est mis en cause. Accidents routiers et ferroviaires sont malheureusement le pain quotidien des journaux locaux. Le journal La Nación a publié un rapport montrant que la Tragédie de Once n’est qu’un exemple frappant parmi tant d’autres, représentant 7% des victimes d’accidents ferroviaires depuis 2004. La faute, selon beaucoup, à la privatisation du secteur en 1996 sous le gouvernement Menem. TBA, par exemple, a la concession d’une partie des lignes ferroviaires de la province; il doit entretenir le réseau qui appartient à l’Etat. Ce dernier se doit de lui faire tenir ses engagements. Or, la compagnie est accusée d’avoir encaissé les revenus des lignes sans investir dans son entretien. Les gouvernements sont accusés d’avoir laissé faire, sans rien dire. Des réseaux de corruption entre fonctionnaires et entreprises ont été mis au jour lors de l’enquête sur l’accident apportant le discrédit sur le secteur politique et économique en charge de la sécurité des usagers. Les bons rapports qu’entretiennent la présidente Kirchner et les frères Cirigliano, PDG de TBA, inquiètent. La colère monte et l’association « Justicia para los 51 », rassemblant les familles de victimes, réclame que les responsables soient jugés. « TBA mata » (NDLA : TBA tue), peut-on lire tagué sur quelques wagons alors que manifestations et blogs de soutien se multiplient.

Une mort suspecte survenue la semaine dernière, au commencement du procès, vient assombrir l’affaire. Leonardo Andreda, l’avant dernier machiniste du train accidenté, qui devait témoigner au procès, a été tué de quatre balles dans le dos à un arrêt de bus. Les malfaiteurs ont pris son téléphone mais pas son argent. Andreda avait notamment signalé au juge qu’il avait averti ses supérieurs d’un dysfonctionnement sur les freins. Les médias et les familles de victimes ont immédiatement fait le lien avec l’accident de train et réclament une information judiciaire rapide. Bien que rien n’ait été confirmé, le syndicat ferroviaire a demandé une surveillance accrue des témoins. Un an après, il semblerait donc que l’accident ait mis en lumière une grave affaire de corruption, et que le bon déroulement du procès soit menacé.

Une affaire révélatrice de la crise politique

Depuis un an, la tragédie du 22 février a cristallisé les contestations contre le gouvernement et sa présidente, Cristina Kirchner. On lui a reproché son silence face aux événements. Quand au cours de l’été, le gouvernement a déclaré vouloir se porter partie civile au procès, cela a suscité un tollé de la part des familles des victimes et des opposants au régime qui estiment que le gouvernement est le premier responsable de l’accident. Les dédommagements proposés par le gouvernement à TBA ont aussi provoqué la fureur. Les analystes argentins estiment que la Tragédie de Once est révélatrice de la crise que traverse l’Argentine actuelle. Alors que la peur d’une rechute économique grandit, les spectres des années Menem ressurgissent : corruption, dégradation du service public, désengagement de la classe politique. La tournure que prennent les événements un an après l’accident ne fait que fragiliser un pouvoir politique de plus en plus contesté.

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Manon Duret
Rédactrice pour le Journal International, passionnée d'histoires et de géographie, je suis... En savoir plus sur cet auteur