Anzhi Makhachkala : n’est pas qatari qui veut

8 Août 2013



L’Anzhi Makhachkala risque de réveiller l’ambiance du mercato. Le club russe de Samuel Eto’o a annoncé vouloir vendre ses stars et réduire considérablement ses dépenses. Les achats sans limites de son président milliardaire Suleyman Kerimov n’ont pas suffi à atteindre la Ligue des Champions.


DR
DR
Le défi était de taille : faire de Makhachkala un club attractif. Makhachkala, ville du Daguestan, région russe frontalière de la Tchétchénie située sur les bords de la mer Caspienne. Le Daguestan est surtout connu pour la pression exercée par l’État de Vladimir Poutine sur la communauté musulmane. Une région où des journalistes sont tués par balle, le dernier en date a été abattu le 9 juillet dernier.

Le club de football de Makhachkala, l’Anzhi, ne joue pas les matchs de Coupe d’Europe dans les infrastructures de la ville, pour des raisons évidentes de sécurité. Les joueurs vivent à Moscou, à 1 500 kilomètres au nord, et font sans cesse les déplacements. Il fallait donc beaucoup pour rendre ce club, qui n’avait rien pour plaire, attractif. Et surtout beaucoup d’argent. Suleyman Kerimov, devenu milliardaire grâce au pétrole (sa fortune est estimée à 7,8 milliards de dollars selon Forbes), a racheté le club en 2011. Il pratique alors le sport favori de ses compatriotes propriétaires d’équipes européennes : dépenser des millions.

En 2011, lorsque Samuel Eto’o, buteur mondialement reconnu, passé par Barcelone et l’Inter Milan, a rejoint l’Anzhi Makhachkala, c’est un peu comme si le football ne rimait plus à rien. Anzhi va devenir la future grande place du football européen, un club capable de payer un joueur 20 millions d’euros par an en plus des 27 dépensé pour son transfert (en comparaison, Zlatan Ibrahimovic touche 14 millions annuels au PSG). Pendant deux ans, le shopping continue. La liste comporte des dizaines de joueurs : Lacina Traoré acquis pour 18 millions, Christopher Samba pour 15, Willian acheté à 35… Près de 200 millions d’euros dépensés, sans compter les salaires exorbitants des joueurs.

L’action du milliardaire russe s’apparente alors à un jeu : investir de l’argent en masse dans un club inconnu, faire venir des stars à coup de millions et … gagner des titres sur le court terme ? Le jouet de Kerimov n’a pas été aussi distractif qu’il l’aurait voulu. Car non, l’Anzhi Makhachkala n’a pas tout raflé sur son passage. Il était certes en constante progression, passant de la huitième place du championnat russe en 2012 à la troisième place en 2013, tout en atteignant les huitièmes de finale de l’Europa League. Mais le mauvais début de saison (deux points en quatre matchs) était de trop. L’évolution n’était pas aussi rapide que l’avait souhaitée le mécène russe.

Le tweet du président Konstantin Remchokov est sans appel : «L'Anzhi va faire l'objet d'une réorganisation. Nombre de nos coûteuses vedettes vont partir, et le budget du club va baisser de 50-70 millions de dollars par an ». Vendre ses stars, une chose pas si aisée : quel club pourra assurer le salaire pharaonique d’Eto’o ? Moins d’un jour après cette annonce, l’Anzhi a déjà vendu trois joueurs au Dinamo Moscou, dont Aleksandr Kokorine, arrivé il y a seulement un mois.

Le sportif plus fort que le financier

Au final, le salaire était le seul attrait du projet. Volontairement surévalué pour attirer les joueurs, il représentait l’offre qui ne se refusait pas. Si la Chine, destination à la mode, pouvait également compter sur un cadre de vie attrayant, qui a convaincu Didier Drogba et Nicolas Anelka de rejoindre Shanghaï, le seul argument du Daguestan est purement financer. Pierre-Emeric Aubameyang, star de l’AS Saint-Étienne, s’est vu proposer un salaire de sept millions annuels (soit sept fois son salaire perçu dans le Forez), assorti d’une prime à la signature de dix millions d’euros.

L’offre qui ne se refuse pas ? Le joueur a pourtant choisi de signer avec le Borussia Dortmund, loin de lui proposer une telle rémunération, mais lui assurant d’évoluer, aux yeux de tous, dans un des meilleurs championnats du monde, et de découvrir la Ligue des Champions. Le football marque un point face à l’argent.

Quand elles acceptent de venir, empiler les vedettes n’est pas synonyme de victoire assurée. Le parcours des clubs rachetés par un magnat de l’hydrocarbure montre que l’argent est loin de tout faire dans le football. Chelsea, club précurseur avec l’arrivée de Roman Abramovitch en 2003, a dû attendre dix ans pour remporter la Ligue des Champions, et ne domine pas à lui tout seul, l’Europe. S’il a remporté le championnat d’Angleterre dès 2005, le club londonien n’écrase pas la concurrence (3 titres en 10 ans) et possédait déjà un passé de club solide de première division, notamment dans les années 1990.

Quant à Manchester City, racheté en 2008, il ne s’est toujours pas imposé comme leader du football en Europe. Malgré des investissements colossaux, City n’a obtenu sa qualification en Ligue des Champions qu’à la fin de la troisième saison sous présidence abu dhabienne. Le club a été incapable de franchir la phase de groupes de la compétition reine du Vieux Continent lors de ses deux premières participations. Les Citizens n’ont remporté leur premier championnat d’Angleterre qu’en 2012 et plus de 350 millions d’euros dépensés lors des transferts. Si les durées évoquées peuvent paraître faibles (cinq ans ne sont que poussière dans l’histoire d’un club centenaire), la crainte des observateurs d’une mainmise totale de ces clubs jouant au Monopoly sur les titres en jeu ne s’est finalement pas réalisée.

La victoire de la formation

La meilleure équipe européenne du moment, le Bayern Munich, restant sur le triplé Championnat-Coupe Nationale-Ligue des Champions, applique une stratégie bien différente. Une formation composée de joueurs issus de son centre de formation (Schweinsteiger, Lahm, Muller, Badstuber), couplés au recrutement de stars médiatiques (Gotze, Robben, Neuer), certes onéreuses, mais payées uniquement avec l’argent du merchandising et des recettes du stade.

La mise en place de la stratégie économique allemande – à la période même la refonde de la formation germanique a commencé à porter ses fruits - a débuté la même année que l'arrivée d’Abramovitch à Chelsea, permettant d’effectuer une comparaison intéressante au niveau du palmarès : trois finales européennes pour Chelsea (C1 2008, 2012, C3 2013), 3 titres de champion (2005, 2006, 2010) ; trois finales européennes pour le Bayern (C1 2010, 2012, 2013), cinq titres de champion (2005, 2006, 2008, 2010, 2013). Sur la même période, le club anglais a dépensé près de 800 millions d’euros en achats de joueurs, contre 450 millions au club allemand, dont 40% de cette somme a été utilisée lors des mercatos des trois dernières saisons, correspondant à la période prospère du club.

Pour un palmarès semblable sur une décennie, le différentiel de dépenses parait démesuré. Avec cet argent économisé, Munich s’est doté d’un stade ultra moderne et à forte rentabilité, assurant sa pérennité financière, au contraire de Chelsea, endetté, et survivant seulement grâce aux renflouements des caisses de son donateur. Il est à noter que le Bayern a toujours été historiquement un club dominant, mais Chelsea ne partait pas non plus de zéro, l’écart entre les deux clubs n’était pas immense il y a dix ans de ça.

L’Anzhi Makhachkala était peut-être un défi semé de nombreuses embûches pour Kerimov, mais avec ses dépenses pharamineuses, nul doute qu’il aurait réussi dans quelques années. L’arrivée des milliardaires dans le monde du football a certes effacé la notion d’argent dans ce sport, mais n’a pas galvaudé l’essence même du ballon rond. Ceci pour prouver qu’avec n’importe quelle somme engagée, l’argent n’achète pas les automatismes entre les joueurs. Une liasse de billets n’achète pas non plus l’expérience nécessaire pour gagner, ni l’osmose d’un groupe ni même le facteur chance indispensable. Si l’argent participe grandement au développement d’un club, il ne permet pas de lui faire survoler la compétition. Il lui permettra seulement de lui faire gagner quelques années face à un club proposant une politique de finances saine, ou de formation.

Notez