Allemagne : quel avenir pour le nouveau couple de la « Grosse Koalition » ?

Marine Denis, correspondante à Berlin
6 Décembre 2013



Mercredi 27 novembre, à Berlin, les négociations politiques entre CDU-CSU et SPD prenaient fin, deux mois après la victoire sans majorité absolue d’Angela Merkel aux élections législatives. Retour sur ces derniers mois politiques intenses durant lesquels la chancelière s’est illustrée par sa capacité à faire des compromis.


Sigmar Gabriel, leader du SPD, et Angela Merkel |  Crédits Photo --  AFP
Sigmar Gabriel, leader du SPD, et Angela Merkel | Crédits Photo -- AFP
Si l’accord conclu par Angela Merkel avec le parti social-démocrate symbolise un premier pas vers un gouvernement de « grande coalition », il devra être encore approuvé par les militants du SPD allemands entre le 6 et le 12 décembre.

Un stand by politique de deux mois

Le 22 septembre 2013, le CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) remporte nettement les élections législatives à 42,5% des voix loin devant le parti social démocrate. Bien que reconduite pour un troisième mandat de chancelière pour 4 ans, Angela Merkel ne remporte pas le suffrage à la majorité absolue et se trouve donc dans la nécessité de former une coalition afin d’obtenir une majorité au parlement et de former un gouvernement stable.

Le parti libéral FDP éliminé lors des élections législatives avec 4,9% des voix, la recherche d’un partenaire s’est faite naturellement vers la gauche. Toute alliance avec le parti d’extrême gauche allemand Die Linke ou le parti écologiste die Grünen aurait suscité la fureur des dirigeants conservateurs CSU, aussi Angela Merkel a entrepris d’ouvrir le bal des négociations avec le chef du SPD, Sigmar Gabriel. Pourtant ce dernier affirme dès le 23 septembre dans son discours qu’il n’y a « aucune obligation [pour son parti] de former une grande coalition ». Le ton est donné, les négociations avec Merkel nécessiteront du temps, de la stratégie et une sacrée volonté de compromission.

Cette posture défensive adoptée par le leader du SPD fait écho à la débâche du parti social démocrate en 2009 lorsque Merkel rompt la coalition avec ce dernier pour en établir une nouvelle avec son allié libéral FDP. La perspective de gouverner avec les conservateurs ne suscite guère l’enthousiasme des militants et les dirigeants du SPD mettent immédiatement sur la table leurs exigences, refusant de céder sur de nombreux points de leur programme de campagne électorale. La marche de manœuvre d’Angela Merkel est donc mince, d’autant qu’elle doit également composer au sein de son propre parti avec la CSU, dirigée par Horst Seehofer qui n’entend pas laisser le SPD s’imposer dans les négociations. Durant deux mois le paysage politique allemand est marqué par un « hin und zurück » entre compromissions et immobilisme alors que 66% des Allemands se déclarent en faveur d’une « Grosse Koalition » entre SPD et CDU.

Concessions et compromis pour un accord de coalition

Les compromis politiques, économiques et sociaux de cet accord illustrent la volonté d’Angela Merkel de composer avec le SPD. L’accord conclu mercredi 27 novembre s’est fait aux termes de plusieurs concessions majeures d’Angela Merkel à l’égard du SPD. La création d’un salaire minimum en Allemagne de 8,50 euros de l’heure, mesure phare du programme électoral du SPD mais surtout condition nécessaire à tout accord de coalition, a été finalement obtenu. Il sera mis en place dès le 1er Janvier 2015 mais devrait s’appliquer à l’ensemble des branches professionnelles en 2017 seulement. Cette mesure fait notamment écho aux récentes critiques de la Commission Européenne et du FMI face à l’excédent commercial de l’Allemagne qui pourrait amener à un déséquilibre dans la zone-euro.

Sur le plan économique, CDU-CSU et SPD ont été unanimes quant à la sortie de l’Allemagne du nucléaire civil au plus tard en 2022 et à l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la production électrique. Le SPD n’étant pas Die Grünen, les centrales au gaz et au charbon vont être maintenues, faisant grincer des dents les militants verts. Enfin, la CSU a obtenu satisfaction quant à la mise en place d’un paiement aux péages des autoroutes allemandes à destination des étrangers.

Au-delà du domaine économique, plusieurs mesures ont été adoptées sur le plan social bien que les accords entre CDU et SPD furent difficiles à trouver. Le débat sur la retraite fut houleux, illustrant les différends idéologiques nombreux entre la CDU et le SPD sur les sujets sociaux et sociétaux.

A terme chacun a pu trouver satisfaction : les sociaux démocrates ont obtenu le départ à la retraite dès 63 ans à destination des allemands ayant cotisés 45 ans tandis que la CDU-CSU a pu imposer une revalorisation de la retraite accordée aux mères de famille ayant eu un enfant avant 1992. Autre sujet sensible, celui de la double nationalité. Alors que jusque là les enfants nés en Allemagne de parents non ressortissants de l’Union Européenne devaient choisir à 23 ans entre la nationalité allemande et celle de leurs parents, ils pourront désormais obtenir la double nationalité.

Des réactions en demi-teinte à l’annonce de l’accord CDU-SPD

Un récent sondage dans un quotidien allemand révèle que 52% des citoyens allemands sont satisfaits de l’issue des négociations entre CDU et SPD et 78% des militants SPD se prononcent en faveur de cet accord. Après deux mois de « vide politique », la mise en place de la « Grosse Koalition » est un soulagement mais surtout le signe que la vie politique allemande peut redémarrer.

La confédération allemande des syndicats a accueilli avec enthousiasme l’accord conclu entre les deux partis politiques, en particulier la mise en place prochaine d’un salaire minimum. Toutefois c’est avec plus de méfiance qu’il a été reçu dans les sphères du business et des finances allemandes. Plusieurs économistes allemands influents le considèrent comme étant une « mesure nuisible à la croissance et à l’emploi », leitmotiv repris par des experts de la Deutsche Bank qui voient dans l’accord entre SPD et CDU « la nécessité d’aller vers le compromis plutôt que l’ambition pour l’avenir de l’Allemagne ». Une réticence qui amène parfois à des raccourcis, comme le témoignent les propos de Reiner Haseloff chef du gouvernement de Saxe-Anhalt « Le salaire minimum fixe a ruiné l'Allemagne de l'Est nous ne devons pas refaire la même erreur ».

Les doutes ne viennent pas seulement de la droite économique et politique allemande. « Le SPD est un parti qui risque d’oublier ses valeurs » souligne Hofreiter, député vert allemand. Les accords conclus sur les énergies renouvelables et l’industrie allemande ne sont pas suffisants selon les responsables du parti écologiste allemand. Le député d’extrême gauche Dietmar Bartsch se joint à la critique dans son interview auprès du journal Die Welt « J’avais espéré que la coalition CDU-SPD s’attaquerait à de vrais problèmes ». La nouvelle leader du parti écologiste Simone Peter évoquait ùercredi à Berlin avoir de nombreux doutes quant à l’efficacité de long terme de cette coalition.

Si les militants du SPD ont jusqu’au 12 décembre pour renverser la tendance en votant contre l’accord SPD-CDU, il semblerait bien que Noël 2013 se fasse sous les couleurs rouge et noire. C’est un nouveau défi pour Angela Merkel qui en plus d’assurer son autorité sur la scène européenne, devra à présent maintenir la sienne au sein de son propre gouvernement.

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