Allemagne : la légalité du néonazisme

1 Avril 2013



Le gouvernement allemand a renoncé en mars à interdire le NPD (Parti national-démocrate d’Allemagne), parti d’extrême-droite. Dilemme démocratique dans un pays rongé par son passé.


@GABRIEL BOUYS, AFP
@GABRIEL BOUYS, AFP
Le NPD, Parti national-démocrate d’Allemagne, est-il dangereux pour la démocratie ? Ce parti, qui entretient des rapports avec les milieux néo-nazis, est toujours légal outre-Rhin. Le gouvernement, bien qu’il souhaite son interdiction, tergiverse sur la stratégie à mettre en œuvre, et a annoncé le 20 mars renoncer à lancer une procédure auprès de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Tandis que 77% des Allemands se déclarent pour l’interdiction du parti, cette mesure reste délicate à mettre en œuvre. 

Une procédure dangereuse pour le gouvernement

Le gouvernement de Merkel craint d’être déstabilisé en cas d’échec, comme cela avait été le cas après un premier rejet de sa demande par la Cour constitutionnelle. Celle-ci a en effet révélé en 2003 que les agents des services de renseignements infiltrés au NPD empêchaient de distinguer les déclarations venant du parti nationaliste des déclarations de ces agents. Elle avait ainsi rejeté la triple demande d’interdiction lancée par le gouvernement, le Bundestag (chambre basse du Parlement) et le Bundesrat (chambre haute) en 2001. Les agents infiltrés ont depuis été démobilisés.
 
Les partis au gouvernement ne veulent pas renforcer le NPD, qui semble profiter de ces menaces d’interdiction pour se poser en victime. Le parti a ainsi publié sur son site internet un résumé de 136 pages d’un rapport confidentiel du ministère de l’Intérieur listant les raisons pour lesquelles il devait être interdit. Le parti national-démocrate ne manquait pas de railler les explications du gouvernement.

Un parti pour mieux contrôler les néo-nazis

Les partis au pouvoir justifient leur renoncement par des arguments stratégiques. Le FDP (le Parti libéral-démocrate), en coalition avec la CDU d’Angela Merkel,affirme qu’il est plus facile de contrôler les extrémistes de droite s’ils sont dans un parti que s’ils sont dans la clandestinité. Le nombre de militants aujourd’hui est estimé à environ 5 800 par la Verfassungsschutz, le service de renseignement interne allemand, et le nombre de sympathisants à 25 000.
 
Créé en 1964 par des militants d’extrême-droite, le NPD a bénéficié de la réunification, notamment à l’Est, partie du pays dans laquelle il est le mieux ancré. Il s’est dès lors rapproché des Freie Kameradschaften, skinheads faisant usage de la violence. Le territoire de l’ex-RDA, qui se présentait comme un régime permettant de lutter contre les fascismes, a muselé l’extrême-droite, illégale pendant quarante ans. Celle-ci s’en est en conséquence donné à cœur joie à la réunification.
 
Exemple parmi d’autres : le 1er novembre 1996, neuf néonazis arboraient fièrement des costumes SS dans le camp de Buchenwald, en ex-Allemagne de l’Est. Uwe Mundlos, Uwe Böhnhardt et Beate Zschäpe faisaient partie d’entre eux. Ils ont formé quelques années plus tard le NSU (National-Socialisme souterrain). Egalement appelé « cellule de Zwickau », ce groupe terroriste est à l’origine des « Döner-Morder », les meurtres racistes de commerçants turcs et grecs. Leur suicide en 2011 a permis de mettre à jour les meurtres qu’ils avaient commis. La découverte de ce terrorisme néo-nazi a effrayé les Allemands et a relancé le débat sur l’interdiction du NPD. 

Une idéologie anti-démocratique

Ouvertement nostalgique du IIIème Reich, le NPD fait de la famille la valeur centrale de la société allemande. Un de ses slogans, « Arbeit, Familie, Vaterland » (Travail, Famille, Patrie) n’est pas sans rappeler de sombres années européennes. À tendance révisionniste, le NPD s’oppose à la « culture de la culpabilité » et s’efforce de minimiser l’extermination des Juifs d’Europe. Il a même proposé la candidature de Rudolf Hess, dignitaire nazi, comme prix Nobel de la Paix. En outre, en 2004, un de ses dirigeants était condamné pour avoir qualifié Hitler de « grand homme d’Etat ». Nombre de ses militants considèrent la République fédérale comme illégitime, et souhaitent en conséquence la renverser. Une raison suffisante pour interdire le parti ?
 
Le Bundestag doit décider en avril s’il lance une demande d’interdiction. Des méthodes moins directes pourraient également être employées afin de museler le parti, affaibli financièrement. Le NPD ayant refusé de payer une amende de 1,27 million d’euros pour de faux bilans comptables, le Bundestag lui a coupé les subventions en février dernier. La cour de Karlsruhe a également rejeté début mars une requête du NPD qui souhaitait voir reconnue sa conformité à la Constitution, afin de prouver que les attaques le visant portaient atteinte à ses droits. La Cour a considéré que le NPD pouvait y répondre dans le cadre du débat politique.
 
S’il n’a jamais réussi à dépasser la barre symbolique des 5% des voix permettant d’entrer au Bundestag (il n’a recueilli qu’1,5% des voix aux dernières élections), le NPD pourrait s’appuyer sur son opposition à l’euro et sur sa volonté de lutter contre l’immigration pour « protéger l’essence du peuple », afin de gagner de nombreuses voix aux élections fédérales de septembre prochain. Le NPD siège déjà dans deux Parlements régionaux : en Saxe depuis 2004 et en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale depuis 2006.

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Laurène Perrussel-Morin
Ex-correspondante du Journal International à Berlin puis à Istanbul. Etudiante à Sciences Po Lyon... En savoir plus sur cet auteur