Allemagne : contre l'infanticide, les « boites à bébé »

29 Mai 2013



À l’heure où l’Allemagne discute une nouvelle loi sur l’accouchement confidentiel, Theresa v. Tiedemann de l’association Sterni Park, et Urs Tabbert, porte-parole du SPD (parti social-démocrate) dans le « Hamburgische Bürgerschaft » (le parlement du « Land » Hambourg), nous donnent quelques éléments de réponse quant au débat sur les « boites à bébés ». Jusqu’à présent, l’Allemagne en dénombre une centaine, ce qui fait l’objet d’une controverse.


Allemagne : contre l'infanticide, les « boites à bébé »
En 2000, l’association allemande Steni Park a décidé d'ouvrir des « babyklappe » (« boite à bébés ») pour permettre aux mères en détresse d’abandonner leur bébé dans l’anonymat avec la certitude que sa progéniture sera prise en charge.

Ce principe de lieu sécurisé d'abandon de bébé vient en écho à une pratique largement répandue depuis longtemps. Le premier véritable « lieu de dépot » fut inventé à Hambourg. En 1709, un marchand néerlandais y a installé un tour d’abandon nommée « Dreahladen » dans un orphelinat. Il s’agissait d’un tonneau en bois tournant, encastré dans le mur, où les mères pouvaient déposer leurs nouveau-nés en tout anonymat. 

Les tours d’abandons disparaissent au début du XXe siècle pour finalement réapparaitre à l’aube du XXIe siècle d’une façon plus moderne. L'initiative de 2000 a marqué le renouveau du principe.

À la suite d’une série de bébés abandonnés morts d’hypothermie en 1999, l’association lance le « Projekt Findelbaby ». Outre les « boites à bébés », il prévoit la mise en place d’un numéro d’urgence pour donner des conseils et la possibilité pour les femmes d’accoucher anonymement. « Le but du projet est de trouver une solution pour éviter l’adoption de l’enfant. Nous avons des familles prêtes à s’occuper du bébé en attendant que la jeune maman soit fixée sur ce qu’elle veut faire. Pendant 8 semaines, nous travaillons avec elle pour trouver un moyen de leur permettre de vivre avec leurs bébés. Si elles souhaitent faire adopter leurs enfants, nous informons les autorités responsables pour lancer une procédure ».

Mode d’emploi de la « boîte à bébés »

Introduits dans cette boite aux lettres pour bébés, les « babyklapper » sont déposés anonymement sur un lit auto chauffant les maintenant à 37°. Un système de surveillance est activé lorsque la porte s’ouvre. La maman dispose alors de quelques minutes pour s’éloigner. À l’aide d’un écran, une entreprise de sécurité vérifie qu’il ne s’agit pas d’une fausse alerte. Dans le cas contraire, il compose un numéro d’urgence. L’équipe de bénévoles, formée aux soins de premiers secours, arrive sur les lieux dans les 5 à 10 minutes suivantes. Le « colis » est ensuite amené à l’hôpital, puis confié à une famille d’accueil. Après une période de 8 semaines sans manifestations des parents biologiques, une procédure d’adoption est lancée.

Theresa v. Tiedemann insiste sur le fait que « laisser son enfant dans « une boite de bébés » ne signifie pas que la maman souhaite forcément faire adopter son enfant, mais juste qu’elle est dans le besoin et qu’elle souhaite le protéger sans être passible de poursuites. Une femme qui a mis au monde son bébé mérite le plus grand respect ».

Depuis leur réapparition dans les hospices religieux, les hôpitaux ou encore les associations, ces boites se sont multipliées en Europe. Après l’Allemagne, dix autres pays européens en plus de la Russie ont remis ce mécanisme au goût du jour : la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Suisse, les Pays-Bas, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, et la Lettonie. Depuis, plus de 400 nouveau-nés y ont été déposés à travers l’Europe.

42 bébés ont été recueillis à Hambourg. « Heureusement, 16 d’entre eux ont pu retrouver leurs foyers d’origine après que leurs mères aient pris contact avec nous ».

Le problème est que ces « boites à bébés » ne sont pas régies par un cadre juridique. En Allemagne, elles ne sont pas légalisées, mais juste tolérées par les autorités. Le Code pénal allemand prévoit des peines d’un à dix ans de prison pour l'abandon d'un bébé « sans défense ». En revanche, l’abandon, si la vie de l’enfant n’est pas mise en danger, n’est pas réprimé par la loi, ce qui permet de légitimer les « boites à bébés ».

Aujourd’hui, les « boites à bébé » allemandes sont en sursis. La constitution consacre le droit de connaître ses origines. L’enfant abandonné ne pourra jamais jouir de ce droit. Un autre problème se pose, la plupart des femmes décident d’accoucher seules. « Elles sont nombreuses à garder leurs grossesses secrètes ».

Depuis le 3 mai, une nouvelle loi « Vertrauliche Geburt » est discutée au Bundesrat. Elle doit permettre de résoudre le dilemme entre la volonté d’abandonner anonymement son enfant tout en préservant son droit de connaître ses origines. Les « fenêtres de vies » seront encore tolérées pendant 3 ans le temps de mettre en place l’accouchement confidentiel. À la suite de l’accouchement à l’hôpital, les données de la mère seront scellées dans une enveloppe pendant 16 ans. C’est alors seulement que l’enfant pourra avoir accès à l’identité de sa génitrice.

« Donner naissance de manière anonyme est définitivement la meilleure solution. Le système des « boites à bébés » est juste un ultime recours pour les mamans désespérées. Nous conseillons à toutes les mères de venir accoucher à l’hôpital, parce qu’il nous semble très important d’être assistées par une équipe médicale. La « babyklappe » représente une alternative pour éviter l’abandon de bébé dans la rue par exemple ou encore prévenir les meurtres sur les nouveau-nés », nous explique Theresa v. Tiedemann. 

Un débat controversé

Urs Tabbert, même s’il reconnaît le succès de ces boites, n’hésite pas à mentionner quelques réserves comme le fait que les enfants issus de ces boites n’auront aucun moyen de connaître l’identité de leurs « vrais » parents ou de se renseigner sur leurs origines, « Il est difficile d’évaluer le succès potentiel des « boites à bébés » par manque de chiffres exacts ni sur le nombre de bébés retrouvés ni sur le taux d’infanticide depuis l’introduction de ce système d’abandon ».

Même s’il faut reconnaître que de nombreux bébés ont pu être sauvés, « ce n’est pas la solution universelle ». Les structures ne sont pas assez équipées pour répondre à leur objectif premier, celui de sauver ces bébés non voulus. « C’est pour cette raison que je suis pour un régime législatif clair qui règle l’accouchement anonyme pour surpasser le système des « boites à bébés ». Le SPD dans le Bundestag est aussi en faveur d'une telle loi qui doit d'un côté considérer les intérêts des mères dans une situation de crise et - en même temps - les intérêts des bébés concernés. Une telle loi doit permettre d’encourager les femmes concernées à accoucher dans de bonnes conditions et sans risques pour l’enfant ce que ne garantit pas l’existence des boites ». Le régime législatif doit venir en aide à ces femmes en s’assurant qu’elles aient eu à leur attention les conseils nécessaires pour gérer une telle situation. Elles doivent être mises dans les conditions qui permettent de prendre la meilleure décision pour leurs bébés et elles-mêmes. « À mon avis, la possibilité d’accoucher anonymement doit inclure une période de prise en charge après la naissance de l’enfant ».

« Lorsqu’un tel régime sera mis en place, les « boites à bébés » seront devenues superflues ». Dans la plupart des pays européens, les « boîtes à bébé » viennent pallier un vide juridique ou un flou de la législation sur le droit d'abandonner un enfant, voire sur le droit à l'avortement.


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