Crédits : Photo: Haitham Moussawi
Le cheikh Ahmad al-Assir est un personnage haut en couleurs, faisant le buzz à chacune de ses déclarations. Quand il décide d’aller skier, et de faire sa prière en plein bastion chrétien, c’est un comité d’accueil décidé à en découdre qui l’attend. Quand il exige des chiites, supposés opérateurs du Hezbollah travaillant près de sa mosquée, de quitter leurs appartements, c’est l’armée qui encercle le quartier. L’opération ayant le plus marqué les esprits reste sans doute sa tentative de forcer le Hezbollah – la puissante milice chiite- à déposer les armes, en bloquant les routes d’accès à Saïda pendant plusieurs semaines à la fin de l’été.
Jusqu’en 2011, Ahmad al-Assir était un religieux peu médiatisé. Charismatique, il attirait les foules à la mosquée Bilal Ben-Rabah de Abra, banlieue de Saïda. S’il s’inscrivait déjà dans la lignée des mouvements de retour à l’interprétation littérale de l’Islam, ou le « salafisme », il affirmait ne pas vouloir s’immiscer dans les affaires politiques. Le tournant s’opère lorsqu’en 2011, il appelle les sunnites libanais à prendre parti pour l’opposition syrienne, elle aussi à majorité sunnite, prenant le contre-pied de la position de neutralité officielle –par ailleurs peu respectée.
Il devient dès lors une figure politique et médiatique incontournable sur la scène libanaise. Comment expliquer la ferveur populaire qu’il suscite, dans un pays où les salafistes sont toujours restés des mouvements marginaux ?
Il devient dès lors une figure politique et médiatique incontournable sur la scène libanaise. Comment expliquer la ferveur populaire qu’il suscite, dans un pays où les salafistes sont toujours restés des mouvements marginaux ?
Tournant politique
Le cheikh Ahmad al-Assir a bénéficié de changements politiques radicaux au niveau national et régional. A partir de 2010, la majorité sunnite menée par Hariri –le fils du Premier ministre assassiné en 2005- se retrouve pour la première fois dans les rangs de l’opposition, face au Hezbollah et ses alliés chrétiens. La rue sunnite a peu à peu le sentiment de vacuité du pouvoir, d’autant plus que son principal leader, Hariri, vit entre Paris et l’Arabie saoudite. La voie est libre pour de nouvelles figures politiques.« Il n’est pas chef, celui qui abandonne son armée sur le champ de bataille et s’enfuit par crainte pour lui-même,» dit le cheikh au sujet de son coreligionnaire Hariri, dans un prêche du 31 mars.
Le discours du cheikh, axé sur le Hezbollah qui serait la cause du marasme économique et social, est qualifié d’«enfantin» par d’autres autorités religieuses. Il s’impose en surfant sur la montée du confessionnalisme exacerbé par le conflit syrien et la situation économique alarmante. Dans la seule ville de Saïda, le chômage touche près de 40% des jeunes, et leurs perspectives d’avenir ne sont pas optimistes. Al-Assir leur apporte une reconnaissance sociale par l’action et par la valorisation dans le groupe religieux. Il propose aussi une solution simple à leurs problèmes : s’en prendre, par les armes, aux armes du Hezbollah, responsables du marasme économique et social. Un premier projet de milice sunnite a déjà été formé, puis annulé en novembre 2012 par le cheikh. Fin mars, al-Assir se rendait au Qatar, dans le but de trouver les financements pour un nouveau parti politique.
A présent que le gouvernement dirigé par le Hezbollah est tombé –suite à la démission du Premier ministre le 22 mars- c’est au cheikh de montrer si ses ambitions se cantonnent à un rôle d’opposition et de critique, minimisé par ses opposants, ou s’il s’impose comme figure politique incontournable lors des prochaines élections.