Dans un rapport remis au Maire de Montréal le 3 octobre 2012 et rendu public le 17 octobre 2012, l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM) constate que l'ampleur de l'agriculture urbaine à Montréal est sous-estimée, tout comme ses avantages pour la santé, le développement durable, l'intégration sociale et la lutte contre la pauvreté, et qu'il serait temps de consolider et de déployer l’activité afin d’optimiser ses bénéfices pour la collectivité montréalaise.
Nous sommes face à un moment historique, car depuis l’entrée en vigueur de la révision de la Charte montréalaise des droits et responsabilités en janvier 2010, c’est la première fois qu’un groupe d'influence se prévaut de cet outil. Pour ce faire, le Groupe de travail en agriculture urbaine (GTAU), qui réunit une quarantaine d’organismes (!), a récolté plus de 29 068 signatures requérant la tenue d'une consultation publique sur l'état de l'agriculture urbaine à Montréal. La pétition a été déposée à l’OCPM le 15 novembre 2011. Sachant qu'il faut un minimum de 15 000 signatures pour déclencher une consultation publique, le nombre de pétitionnaires était sans précédent. Cet engouement pour l'agriculture urbaine représente une grande victoire pour la démocratie civique au Québec, car les citoyens se sont mobilisés avec force afin de prendre en main et de promouvoir un projet de développement qu'ils jugent essentiel pour leur futur. Cette formidable réussite de mobilisation citoyenne n'a pas abouti du jour au lendemain. Il a fallu plusieurs semaines de travail sur le terrain, de mobilisation active et de rencontres avec des membres de multiples organismes éco-citoyens. Pendant plus de 90 jours, les associations, les étudiants, les volontaires et les citoyens ont envahi les salles de cours, les bureaux et les sorties de métro, stylos et carnets de pétition à la main.
Historiquement, l'agriculture urbaine est née à Cuba. Elle fut une solution à la crise alimentaire après l'accession au pouvoir de Fidel Castro et l'embargo américain. L'essor de l'agriculture urbaine apparaît donc comme une évidence, un moyen de survie pour les populations en période de récession et de forte crise, comme on a pu l'observer aussi dans de nombreux pays de l'Est, par exemple en Pologne sous le régime soviétique. C'est donc en toute logique que l'AU s'est développée dans un contexte de crise à Montréal. La crise énergétique est l’élément déclencheur qui a fait naître le souci de sécurité alimentaire. Dans les années 70, ceci constitua la première phase de développement des jardins communautaires, dans le but de lutter contre les graves pénuries de denrées alimentaires dans la capitale économique du Québec. Cependant, les initiatives se sont essoufflées par la suite, faute de soutien de la part des pouvoirs politiques de la ville.
Pourtant, depuis quelques années, l'AU connaît une véritable renaissance, notamment grâce à l'émergence des initiatives étudiantes dans de nombreux cégeps et au sein des universités montréalaises. Leur action résolument militante et dynamique a fait naître ces organismes. C'est le cas pour le Collectif de recherche en aménagement paysager et en agriculture urbaine durable (CRAPAUD) de l'Université du Québec à Montréal (UQÀM) qui « incite à la guérilla jardinière, c'est-à-dire à prendre d’assaut avec des ''bombes végétales" les espaces urbains désoccupés ». En plus d'avoir envahi les toits de l'université, le Collectif a aussi créé un centre d'interprétation de l'apiculture en milieu urbain, où les visiteurs peuvent observer le rucher qui peut réunir jusqu'à 200 000 abeilles. Cette année, la récolte a donné 120 kilos de miel directement mis en vente à la Boutique UQAM. L'initiative fait également preuve d’une forte dimension solidaire, puisqu’elle permet aux étudiants d'acheter à moindre coût leurs légumes. Elle favorise aussi la création de nombreux emplois et le développement d’un véritable pôle d'expert sur la question de l'AU.
Le modèle de solidarité est aussi grandement défendu par l'organisation Santropol Roulant, fondée en 1995 par Chris Godsall et Keith Fitzpatrick qui n'avaient pas trente ans à l'époque. L'organisation participe à la promotion des jardins collectifs en participant activement à l'initiative Des jardins sur les toits, en collaboration avec Alternatives, l'organisation de développement internationale montréalaise, mais aussi en partenariats innovants avec les Universités McGill et UQAM, la ville de Montréal, et avec des partenaires à Cuba, au Mali, en Afrique du Sud, etc. Depuis 1995, l’organisme a livré, grâce à des moyens de transport non polluants, plus de 430 000 repas à des personnes âgées et à des gens en perte d’autonomie, soit aujourd'hui 80 à 90 repas par jour, et a offert près de 300 stages et emplois à des jeunes de la communauté. Le principe de solidarité qui domine l'ensemble des jardins collectifs est à l’origine de ce succès, une partie des récoltes étant remises par des organismes de charités. Nel Ewanè, agronome et coordonnateur technique du réseau de jardins de l’Action Communiterre, a déclaré distribuer en moyenne entre « 30 et 45 % de produits aux organismes à vocations sociales : des banques alimentaires, des associations pour les femmes défavorisées, des personnes démunies ».
Ce qui est encore plus impressionnant et inattendu, c’est le tournant qu'a pris l'AU grâce aux fermes Lufa (Lufa Farms). Après maints travaux et démarches auprès des personnes concernées et compétentes (experts ingénieurs, architectes, biologistes, cultivateurs et administrations), la première serre commerciale au monde en milieu urbain a vu le jour en 2011, sur les toits de Montréal. Et depuis le mois d'avril 2011, les premiers paniers de légumes cueillis le jour même sont distribués aux riverains, ce qui permet de fournir des produits frais à plus de 2000 personnes par semaine. Ce n'est sûrement qu'un début. Le créateur et entrepreneur Mohamed Hage assure qu'il y a assez d'espace sur les toits de Montréal pour rendre la ville autosuffisante ! Celui-ci souhaite déjà exporter ce concept aux États-Unis et en Europe, prônant la « révolution alimentaire ».
Dans un climat mondial de crise économique et politique, où les problématiques urbaines se font plus nombreuses, la mobilisation montréalaise apparaît comme une bonne bouffée d'air frais, alliant préoccupations pour le développement durable, élan solidaire et volonté entrepreneuriale. C’est un fait, nous devrions garder en tête que nos toits sont devenus verts à Montréal !