Afrique du Sud : « vous entrez dans une zone dangereuse »

21 Février 2013



La question brûlante du port d'armes n'est pas seulement d'actualité aux Etats-Unis. En Afrique du Sud, le débat, relancé depuis le drame Pistorius, agite les médias. Alors que l'athlète est inculpé depuis hier matin pour possession illégale de munitions, il devient nécessaire de redéfinir la législation en vigueur sur le port d'armes dans un pays où la violence se vit au quotidien.


Afrique du Sud : « vous entrez dans une zone dangereuse »
« Reeva Steenkamp aurait pu être parmi nous aujourd'hui s'il n'y avait pas eu d'arme à feu dans la maison d'Oscar Pistorius ». Une triste réalité, rappelée par la ministre sud-africaine, Lulu Xingwana. Au matin de la Saint Valentin 2013, Oscar Pistorius a abattu sa petite amie Reeva Steankamp, de quatre balles dans le corps à l'aide de son 9mm. L'athlète handisport dit l'avoir confondue avec un voleur et soutient sa thèse de l'accident. Si la question de la préméditation de son acte reste en suspens, c'est bien la possession d'une telle arme qui pose problème. Le drame, très médiatisé, a malheureusement des précédents. Reeva n'est qu'une des 2 500 femmes victimes de meurtres chaque année. En 2004, c'est un ancien joueur des Springbrooks (équipe de rugby), Rudi Visagie, qui abat sa fille de 19 ans. Réveillé par un bruit en pleine nuit, il la confond avec un membre d'un gang voleur de voiture, et loge une balle dans sa tête. Un sinistre exemple parmi d'autres.

1,5 à 2,5 millions de détenteurs d'armes à feu

La tragique histoire du rugbyman fera réfléchir la justice sud-africaine à une nouvelle législation. Avant d'obtenir une arme, le demandeur doit désormais se soumettre à une enquête de police, et des tests de tir. En principe, réussir à toucher 15 fois la cible en stand de tir et ne pas avoir de casier judiciaire devrait suffire pour devenir l'heureux propriétaire d'une arme de poing. Voilà comment 10% de la population est amenée à posséder un revolver ou un fusil en Afrique du Sud. Mais la législation est-elle bien appliquée ? C'est la question soulevée par l'Institut Sud-Africain pour les Relations Raciales dans un communiqué. Oscar Pistorius l'avoue lui-même : il dormait avec un 9mm sur sa table de chevet, et s'entraînait très régulièrement à tirer. Quand on apprend que ce dernier s'était déjà retrouvé derrière les barreaux suite à des altercations violentes avec ses précédentes compagnes, l'interrogation prend tout son sens.
Les détenteurs d'armes brandissent les chiffres du taux de criminalité pour se justifier (il est parfois possible de voir des pancartes au bord des routes « vous rentrez dans une zone dangereuse »), mais oublient que 80% des meurtres par balles en Afrique du Sud ont lieu entre des personnes se connaissant. Et pendant ce temps, les riches blancs s'enferment dans les nouveaux « villages sécurisés » pour échapper aux malfaiteurs et autres tueurs. Ces nouvelles résidences fortifiées et ultra-protégées font fureur dans les grandes villes, jusqu'à représenter 66% des ventes dans l'immobilier. Des précautions poussées à l'extrême, qui ne protègent pourtant toujours pas contre les violences conjugales. Et fait ressurgir l'amer souvenir de l'apartheid.

« A history of violence »

Afrique du Sud : « vous entrez dans une zone dangereuse »
En 1994, la nouvelle Constitution plaçait « la vie au-dessus de la propriété ». En mettant fin à des années d'apartheid, la loi se devait de faire oublier celle qui donnait, entre autre, le droit de tuer à tout citoyen pour défendre sa propriété. Mais difficile d'ignorer un tel climat de violence, généré depuis des années. D'abord par l'occupation coloniale, continuée sous l'apartheid. Le mouvement de résistance de l'ANC de Nelson Mandela luttera, non sans violence (massacre de Shaperville notamment) pour enfin obtenir l'égalité Noirs/Blancs.
20 ans plus tard, la violence reste récurrente dans l'actualité (le meurtre d'un député par balle est monnaie courante mais passe souvent inaperçu). L'instabilité dans les familles est un facteur majeur. Le déséquilibre créé par les migrations forcées sous l'apartheid, mais aussi les enfants issus de familles nombreuses entassés sous le même toit, les jeunes mères... C'est aussi la faute à l'incompétence des systèmes de police, au taux de chômage impressionnant chez les jeunes, et à la circulation d'armes illégales.

(source : rapport du Centre sud-africain de l'étude de la violence et de la réconciliation (CSV) )

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Jeanne Massé
Rédactrice pour Le Journal International, étudiante en journalisme à l'ISCPA. En savoir plus sur cet auteur