Afrique : continent sans espoir ou géant en devenir?

7 Décembre 2013



Cinquante ans après la publication du livre de René Dumont, L’Afrique noire est mal partie (1962), le débat est toujours aussi vif. Pour cette nouvelle édition des Journées de l'Economie, les spécialistes y contribuent à leur manière.


Crédits photo -- Nathalie Boucry
Crédits photo -- Nathalie Boucry
L’onde de choc du discours de Dakar, prononcé par Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 à l’université Cheikh-Anta-Diop, avait été particulièrement violente. L’ancien Président français enjoignait « l’homme africain » de « s’élancer vers l’avenir », « d’entrer davantage dans l’histoire ». Un an plus tôt, Jacques Attali condamnait l’Afrique dans son essai Une brève histoire de l’avenir, du fait de l’absence de « classe créative » (entrepreneurs, financiers, artistes…).

Pourtant, sur l’ensemble de la décennie 2000, l’Afrique a connu un taux de croissance moyen de 5 %. Le continent le plus pauvre du monde a par ailleurs montré une surprenante résilience face à la crise financière et économique mondiale. L’afroscepticisme appartient-il à un passé révolu ? Les Journées de l’Économie étudient la question, pèsent les forces et les fragilités d’un géant en devenir.

L’Afrique, ce géant

L’Afrique va devenir un géant démographique. C’est là le fait fondamental, celui qui commande tous les autres. Si le continent compte aujourd’hui près d'1,1 milliard d’habitants, il pèsera en 2050 autant que l’ensemble de l’Asie du Sud-Est avec 2,4 milliards d’habitants. Sur la base des projections de Nations Unies, Pierre-Noël Giraud explique que dans cent ans, la population africaine se stabilisera aux alentours de 4,2 milliards d’habitants, soit un humain sur trois. Les grandes masses humaines du monde auront alors retrouvé les proportions qu’elles avaient en 1500.

Cette explosion démographique débouchera sur une urbanisation d’une échelle inconnue. Il sera nécessaire de construire en Afrique subsaharienne l’équivalent de 1,7 fois l’agglomération londonienne chaque année. Entre Lagos au Nigeria et Abidjan en Côte d’Ivoire surgira ainsi une conurbation continue de 120 millions d’habitants. L’autre défi sera de gérer les migrations internes qui s’amplifieront. En effet, malgré la médiatisation des évènements de Ceuta et Melilla, des naufrages au large de Lampedusa, les mouvements de population se font majoritairement entre pays africains.

Ces statistiques évoqueront aux pessimistes la vision apocalyptique de la « planète des slums » dépeinte par le sociologue Mike Davis. Mais cette population nombreuse, dynamique (50% de la population a moins de 15 ans), de plus en plus souvent éduquée, est un atout fondamental pour le continent le plus jeune de la planète.

Le spectre de Thomas Robert Malthus

Derrière les données démographiques se pose nécessairement la question de l’agriculture. Comment nourrir 2,4 milliards d’Africains ? C’est Malthus qui revient. Se dirige-t-on vers de nouvelles émeutes de la faim ? Les agronomes sont formels : il y a assez de terres et d’eau disponibles en Afrique pour nourrir les Africains. Mais l’agriculture est un secteur très intense en capital. Elle nécessite des investissements pour augmenter la productivité, des barrages pour l’irrigation, des greniers pour stocker les productions, des routes et des voies ferrées pour les transporter…

La rareté du capital pourrait n’être qu’un obstacle passager. Le regard des investisseurs internationaux sur l’Afrique commence à changer. Mohamed Soual, chef économiste de l’OCP (Office Chérifien des Phosphates), note que toutes les entreprises du CAC 40 sont présentes sur le continent. Entre mythes et réalités, les investissements chinois symbolisent cette nouvelle « ruée vers l’Afrique », pour le meilleur (apports de capitaux, industrialisation) et pour le pire (accaparement des terres, exploitation des travailleurs).

Des lions en cage

Si comme le suggère Achille Mbembé en réaction au discours de Dakar, l’Afrique est en train de sortir de la nuit, les écueils n’en restent pas moins nombreux. Les capitaux qui arrivent en Afrique subsaharienne sont mal répartis, instables. La croissance africaine est amarrée aux économies émergentes, qui se heurtent actuellement à leurs limites. Elle est principalement liée à une vue sur la matières premières. Or, les rentes issues de matières premières sont très faciles à accaparer. Les luttes pour se les approprier engendrent guerres civiles et instabilité. L’enjeu est donc la mise en place d’institutions stables et légitimes pour mettre en place des politiques publiques ambitieuses et libérer « les lions en cage ».

Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce, pointe du doigt le pire des héritages de la colonisation : la désintégration régionale. En 1884-1885, le Congrès de Berlin a marqué le début de la ruée vers l’Afrique des puissances européennes. Le continent a été partagé, disloqué et systématiquement colonisé. En se faisant au nom du nationalisme, la décolonisation a sacralisé ces frontières, perpétuant un modèle économique colonial. L’Afrique souffre à ses yeux d’un manque d’intégration économique.

Ce matin, l’optimisme est malgré tout de mise dans la salle Rameau. Mamadou Diallo, député sénégalais, veut croire que l’avenir de l’Europe est quelque part en Afrique. A son tour, Pascal Lamy annonce d’un ton péremptoire que « le problème de la croissance africaine dans l’avenir est réglé ». Mais la croissance, ce n’est pas le bien-être souligne-t-il un instant après. De fait, les questions sociales et écologiques ont peu été abordées. Or, c’est précisément celles-là qui faisaient dire à René Dumont, ingénieur agronome et premier candidat écologiste à une élection présidentielle en France, « l’Afrique noire est mal partie ». Son livre a été réédité en 2012, de quoi alimenter le débat pour le demi-siècle à venir.


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Journaliste spécialiste des questions économiques. En savoir plus sur cet auteur