ÁLVARO URIBE, LE GRAND GAGNANT DES LÉGISLATIVES EN COLOMBIE

MARGOT BAUCHE- Correspondante en Colombie
16 Mars 2014



Elections législatives en Colombie: une absence de renouveau politique pour un Congrès résolument à droite


Colombie - Le 9 mars 2014, se sont tenues en Colombie les élections législatives, visant à élire 102 représentants au Sénat (circonscription nationale) et 166 sièges à la Chambre des Représentants (circonscription départementale). Anticipant la prochaine élection présidentielle en mai 2014, les élections législatives se sont révélées être une véritable guerre de personnalités entre deux individus qui ont collaboré ensemble durant de longues années : l’actuel président, Juan Manuel Santos, et l’ex-président, Álvaro Uribe. 

LE FACE-À-FACE URIBE/SANTOS

ÁLVARO URIBE, LE GRAND GAGNANT DES LÉGISLATIVES EN COLOMBIE
Sans grande surprise, la majorité de centre-droit de l’actuel président Juan Manuel Santos, réunissant le « Parti de la U », le « Parti Conservateur », le « Parti Libéral » et le « Parti du Changement Radical », a remporté ces élections. À lui seul, le « Parti de la U » de Santos a réuni 15,58% des votes au Sénat (et ainsi obtenu 21 sièges) et 16,05% des votes à la Chambre des représentants.

Néanmoins, le grand gagnant de ces élections n’est autre que l’ultra conservateur Álvaro Uribe, prédécesseur de Santos ayant gouverné le pays de 2002 à 2010. Inéligible à un troisième mandat présidentiel selon la Constitution colombienne, Uribe s’est lancé personnellement dans la course pour le Sénat, à la tête de son parti d’opposition récemment créé, le « Centre Démocratique ». Dimanche dernier, Álvaro Uribe est ainsi devenu le premier président colombien à être élu sénateur, suite à son mandat présidentiel. Bien qu’il ait créé un nouveau parti arborant un nom se souhaitant rassembleur, l’idéologie d’Uribe reste dans le fond inchangée, proposant des politiques de droite voire d’extrême-droite comme il le faisait durant sa présidence. 

Malgré les véritables scandales qui ont perturbé ses mandats, comme celui des « faux positifs » en 2008 (assassinats de civils colombiens par l’armée, dans le but de les faire passer pour des guérilleros) et les accusations de la Cour Pénal Internationale mettant en évidence ses liens avec les paramilitaires, la campagne d’Uribe et les résultats obtenus dimanche dernier sont la preuve que l’ex-président conserve un haut niveau de popularité auprès de l’électorat colombien. Le « Centre Démocratique » a ainsi obtenu 14,29% des votes et 19 sièges au Sénat, ainsi que 9,47% des votes à la Chambre des Représentants. 

Après le « Parti de la U » et le « Centre Démocratique », les partis qui s’imposent sont ceux composant la coalition de Santos, la « Unidad Nacional ». La troisième force du Congrès s’avère ainsi être le « Parti Conservateur », le parti de Fernando Araújo, ayant obtenu 19 postes au Sénat avec 13,58% des votes et 13,17% des suffrages à la Chambre des Représentants. Il est suivi du « Parti Libéral » de Simón Gaviria (12,22% des votes au Sénat) et du « Parti Changement Radical », de Germán Vargas Lleras (6,96%).

Ces élections ont ainsi été marquées par un fort face-à-face entre deux individus pourtant issus de la même formation politique et ayant collaboré durant trois années à la tête de l’Etat colombien. En effet, Juan Manuel Santos a été ministre de la Défense de 2006 à 2009, sous la présidence d’Álvaro Uribe.

DES ACCUSATIONS DE CORRUPTION : « UN CONGRESO BASTANTE ILEGÍTIMO » SELON URIBE

Après que les derniers résultats furent publiés dimanche dernier, Álvaro Uribe a dénoncé l’existence de plusieurs cas de fraudes électorales dans le pays en accusant directement le « Parti de la U » et personnellement le président Santos. Selon l’ex-président, le « Congrès entre [en fonction] avec haut degré d’illégitimité ». De plus, selon Uribe, les élections auraient été biaisées par une forte influence des groupes armés et particulièrement par les Farcs. 

Les candidats à l’élection présidentielle, Clara López Obregón du « Pôle Démocratique Alternatif », Marta Lucía Ramírez du « Parti Conservateur » et Óscar Iván Zuluaga du « Centre Démocratique », ont également pointé l’existence de plusieurs fraudes électorales et ont sollicité un examen des élections par « l’Organisation des Etats Américains » (OEA) pour que soit confirmée la transparence des élections. 

La « Fiscalía » (organe judiciaire du pays) a reporté que l’Antioquia, fief électoral d’Uribe (il en fut le gouverneur de 1995 à 1997), est le département réunissant le nombre le plus élevé de plaintes pour fraude électorale, suivi de ceux de Santander et de Bogota. La « Mission d’Observation Electorale » (MOE) a reçu 1001 plaintes pour de supposés délits de fraudes électorales durant ces élections, mettant en question l’ensemble des partis. La MOE a reporté principalement des cas de ventes et de disparition de votes. 

La presse colombienne souligne également des irrégularités dans les contages des suffrages et des tendances de votes suspectes. Il aurait été signalé - dans quatre départements - des problèmes logistiques, qui auraient perturbé l’envoi du matériel électoral.

ET DEMAIN ?

La prochaine échéance électorale pour la Colombie est l’élection présidentielle, dont le premier tour se déroulera le 25 mai prochain. Les législatives ont ainsi été un véritable test pour l’ensemble des forces politiques du pays et particulièrement pour Juan Manuel Santos qui vise la réélection. Ce dernier a lancé mercredi sa campagne électorale avec le slogan suivant : « Hemos hecho mucho, falta mucho por hacer » (« Nous avons fait beaucoup, il reste beaucoup à faire »). 

Quatre autres personnalités politiques ont également fait savoir qu’elles seraient candidates pour l’élection présidentielle, dont deux femmes. Le parti d’Uribe, le « Centre Démocratique », présente la candidature d’Óscar Iván Zuluaga, ancien ministre des Finances et du Crédit Public sous la présidence Uribe. La force d’opposition de gauche, le « Pôle Démocratique Alternatif », se lance dans la course à la présidence avec la candidate Clara López Obregón, après avoir annoncé une alliance avec l’autre parti de gauche, « l’Union Patriotique ». Le « Parti Conservateur » sera quant à lui représenté par Marta Lucía Ramírez, ancienne sénatrice et ancienne ministre de la Défense sous Uribe, tandis que « l’Alliance Verte » présente la candidature d’Enrique Peñalosa, ancien maire de Bogota (1998 – 2000).

Concernant Álvaro Uribe et le « Centre Démocratique », les résultats aux élections législatives lui permettent de devenir la première force d’opposition du pays, ce qui aura sans le moindre doute un impact sur le processus de paix avec les Farcs qui se tient actuellement à La Havane (Cuba). Uribe est, en effet, depuis de longues années un farouche opposant à toute forme de dialogue avec le groupe armé. Depuis que Santos a commencé les négociations de paix en novembre 2012, Uribe accuse l’actuel président de « traitre à la patrie », souhaitant encourager le terrorisme en désirant trouver un accord avec les Farcs. 

Malgré le fait que Uribe et Santos soient bien connus à présent pour leurs forts désaccords idéologiques comme personnels, il n’empêche qu’il peut sembler préoccupant que les cinq partis ayant obtenu le plus de votes au Sénat soient affiliés respectivement à Juan Manuel Santos ou à Álvaro Uribe, deux hommes qui ont mené une politique commune durant de longues années. Il est à regretter que ces élections législatives n’aient pas permis un véritable renouveau du personnel politique, dans un Congrès qui reste résolument très à droite.

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