A la découverte du Nordeste brésilien

Geneviève Lodovici, Correspondante à Rio de Janeiro-Brésil
3 Juillet 2014



Partir vivre au Brésil presque six mois est une chose, mais le connaître en est une autre. Un pays aussi vaste et varié demande du temps pour le connaître. Etant depuis janvier à Rio de Janeiro, j’avais très envie de voir plus loin et notamment de voyager dans le Nordeste, cette partie de la terre de braise où l’héritage colonial se ressent à chaque instant. Cette région du Brésil marquée par la culture afro-brésilienne dont j’avais tant entendu parler dans mes cours d’anthropologie m’attendait, je le sentais. Je suis donc partie à la découverte du Nordeste, de ses paysages et de ses habitants dans une aventure mémorable.


Crédit Geneviève Lodovici
Crédit Geneviève Lodovici
L’idée était de rejoindre Recife dans l’Etat du Pernambuco en avion puis de descendre jusqu’à Salvador dans l’état de Bahia, en bus. Dix jours pour découvrir les terres, loin de notre Rio d’accueil. Prendre l’avion était une évidence si l’on voulait profiter du voyage, car Rio-Recife correspond à peu près à la distance Lyon-Kiev, soit un peu moins de 2000 kilomètres.

Dès notre arrivée, l’atmosphère est différente et la chaleur rappelle la saison estivale du mois de janvier, lors de mon arrivée dans la cité merveilleuse. L’ambiance est conviviale, l’accent est différent et rapidement nous découvrons quelques spécialités culinaires nordestines près de la plage. Il est assez impressionnant de voir la rapidité de la marée qui monte et qui descend, faisant apparaître le large récif le long du littoral, accès privilégié pour les requins. Bien sûr très peu de gens se baigne. La plage semble surtout un lieu de détente où passe les musiques populaires brésiliennes, où l’on peut faire une soirée entre amis, faire un churasco ou encore déguster un poisson fraîchement pêché accompagné de riz et de feijão. Le lendemain de notre arrivée n’est pas un jour comme les autres puisque c’est le lancement de la Coupe du Monde. Dans le centre de la ville, un écran géant est accroché au-dessus d’une scène où siège une farandole de journalistes, l’objectif prêt à mitrailler. La musique semble sortir de partout, des marionnettes géantes aux figures de journalistes connus ou de footballeurs défilent de devant la scène et la foule toute vêtue de jaune est dense. L’ambiance est à son comble, le spectacle peut commencer. L’écran projette des images des différentes villes du Brésil puis de Recife. Tout le monde hurle, tout le monde danse et chacun semble fier de représenter le lieu face aux caméras. A cet instant je réalise l’importance du moment que je suis en train de vivre. Pourtant pas brésilienne et ne connaissant rien au foot, je me laisse prendre par l’émotion de ce moment magique et je ne suis pas la seule. Alors que quelque mois auparavant le peuple brésilien manifestait, à juste titre, contre l’oppression financière que représentait cette Coupe, à ce moment-même où les images présentent le Brésil à l’écran c’est comme si toutes les revendications s’envolaient. Comme si finalement, le plus important était de vivre ce match et peu importe les conséquences : nous sommes au Brésil et la Coupe du Monde commence.  

Un but, deux buts, trois buts… Chacun est un festival où des confettis verts et jaunes pleuvent sur la foule pendant que les journalistes s’en donnent à cœur joie. Quand le match est fini tout le monde se disperse et va dans des bars ou danser le forró toute la nuit. Le lendemain nous partons pour Olinda, au nord de Recife. La ville tient son nom d’un navigateur qui en découvrant la terre s’est écrié « Oh linda ! », linda signifiant « belle » en portugais. Ancienne capitale du Pernambuco, Olinda a gardé son architecture coloniale, ses maisons colorées et donne une importance primordiale au carnaval. Un guide nous raconte des anecdotes sur la ville. Il explique par exemple que les maisons sont colorées pour se repérer car historiquement il n’y avait pas de numéro sur les façades. Il nous montre également la place où étaient vendus les esclaves, devenu aujourd’hui un repère pour les costumes et marionnettes du carnaval. J’ai le plaisir de découvrir les costumes et lances du fameux Maracatu Rural, que j’avais étudié à l’université. La Maracatu rural est une forme de défilé carnavalesque né dans les plantations de cannes à sucres au 16ème siècle mettant en scène des affrontements plutôt violents entre esclaves. Hérité de l’histoire afro-brésilienne, le Maracatu rural a été admis au carnaval de Recife lorsque la violence s’est effacée (le carnaval d’Olinda est lié à celui de Recife). Il est un élément important de la culture traditionnelle afro-brésilienne et voir ses éléments de défilé m’a transporté. 
Crédit Geneviève Lodovici
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Notre voyage s’est poursuivi à la découverte des plages du Nordeste et ce ne fut pas sans surprises. Dans un guide, il était conseillé de nous rendre à Tamandaré pour voir la plage dos Carneiros, dite l’une des plus belles plages du Brésil. Nous sommes ainsi partis de Recife pour prendre un bus. Arrivés à l’endroit pour prendre le bus, nous avons senti que nous allions vivre une sacrée aventure tant ce fut compliqué de trouver la station. Endroit perdu au fond de Recife, nous restions là, à attendre le bus. Quand celui est arrivé nous avons eu la chance de vivre la fameuse expérience du bus « pourri » à la brésilienne : vieux, qui sent mauvais et qui n’a pas l’air très confortable. Mais c’est le deal, nous voyageons et nous savons que certains bus au Brésil sont atypiques et c’est d’ailleurs ce qui donne son charme au voyage. Le trajet est bien plus long que prévu. Nous passons par des routes mouvementées et les lumières se font de plus en plus discrètes dans les villages par lesquels nous passons. 

Crédit Geneviève Lodovici
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A Tamamdaré nous sommes guidés par une dame et sa fille jusqu’à la rue où se situait une pousada pour passer la nuit. Ne trouvant rien, nous interrogeons un homme assis devant une maison. Le regard dans le vide, l’aveugle indique que la pousada était à côté. L’atmosphère ressemblait de plus en plus à un film d’horreur. Un village perdu, un aveugle étrange, l’auberge fermée, la nuit sombre et personne à l’horizon. C’est alors que la femme du bus est revenue nous voir pour nous proposer de nous héberger dans l’église de la pasteure, de l’autre côté de la rue. Ravis d’une telle gentillesse nous emboitons le pas de Paula jusqu’à la maison de la pasteure où nous retrouvons la petite fille entourée d’autres personnes. De toute évidence la présence est exclusivement féminine. Nous sommes reçus comme des rois avec du café, des pains au fromage et de l’eau. La fatigue tend ses bras vers l’imagination et nous commençons à inventer les pires scénarios.  On s’interroge sur tant de gentillesse, on imagine des reventes d’organes, on ne comprend pas pourquoi on nous fixe ainsi et on se demande si l’église existe vraiment. On découvre finalement l’église Baptiste juste en dessous de la maison mais la nuit n’est pas tranquille pour tout le monde. On entend du bruit autour de l’église qui ressemble à un garage aménagé. Des pétards, des voitures… Le moindre bruit devient une tentative d’attentat. 

Le lendemain, nous découvrons que les terroristes aux pétards ne sont autres que des enfants de six ans qui s’amusent plus que nous à 3h du matin. Missionnaire accomplie la pasteure nous prépare le petit déjeuner et nous laisse les clés de la maison pour la journée, car elle part en mission aider des gens pauvres. On prend le temps d’observer la situation. Nous sommes là, dans un village perdu du Nordeste, face à une femme qui donne son cœur comme elle peut, qui donne tout ce qu’elle a alors qu’elle n’a pas grand-chose. On se sent presque ridicule d’avoir douté face à une générosité si grande. Nous partons à la plage en espérant trouver une merveille du monde, mais nous nous trouvons déçus. Rien à voir avec les photos et les descriptions. Soit le taxi s’est moqué de nous, soit Photoshop est réellement un outil extraordinaire. Nous restons une nuit de plus, ne pouvant rejoindre la prochaine destination avant le lendemain. Pour remercier de l’hospitalité, nous cuisinons des crêpes pour toute la maison. En discutant avec Elisabete, une des filles qui aide la pasteure et qui ne doit pas dépasser les 25 ans, nous découvrons le privilège que nous avons de voyager. Lorsqu’on lui demande si elle connait Rio, elle lève les yeux au ciel pour dire non et les baisse lorsqu’on lui parle d’un futur voyage à Brasilia… En avion. J’ai presque honte d’être là, d’être blanche et d’avoir la chance de voyager. Lorsqu’on va faire un tour dans le village, tout le monde nous regarde avec curiosité. Le guide de voyage conseillait d’aller à Tamandaré, pourtant tout portait à croire qu’on était les premiers visiteurs. Nous reprenons un bus en direction de Maceió très tôt le matin. Ces instants forts à Tamandaré restent dans nos mémoires et nous savons que nous ne reverrons probablement jamais la pasteure. Ces moments uniques n’appartiennent qu’à nous. 

Crédit Geneviève Lodovici
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Durant le voyage je dors et chaque fois que je me réveille je vois un paysage différent. Des pâturages, des champs de cannes à sucre, des maisons collées les unes aux autres, des enfants qui jouent... Maceió offre une plage plus charmante mais devient finalement juste une étape en attendant le bus de nuit. La journée du lundi 16 juin reste mémorable pour son inutilité. Toute une journée entre les bus et la gare routière de Salvador à chercher des billets pour les prochaines étapes, face à un fonctionnaire peu pressé qui a manqué de nous faire rater notre bus pour Praia do Forte. Considérée également comme l’une des plus belles plages du Brésil, Praia do Forte nous a laissé de sacrées cartes postales en tête. Il s’agit d’un petit village très touristique qui offre une large plage turquoise, un sable fin, des eaux de coco bien plus savoureuses qu’à Rio, un parc de tortues de mer et un soleil délicieusement traître. Le temps semble s’arrêter. 

A l’heure du déjeuner nous nous retrouvons autour d’une table pour manger un des plats nordestins les plus savoureux. J’avais eu la chance de goûter la Moqueca lors de mon arrivée à Rio, mais je rêvais de la déguster dans le plat en terre cuite traditionnel. La Moqueca est un plat typique Bahianais hérité de la culture noire, à base de poisson et bien évidemment accompagné de riz et de feijão. Les rues prennent rapidement des allures de drapeau brésilien en vue du match Brésil-Mexique. Lorsque le Brésil joue c’est un véritable jour férié où seuls les bars sont ouverts. Par chance, au moment où l’on veut visiter le Projeto Tamar, site de protection des tortues de mers, une équipe de télévision thaïlandaise arrive pour faire un reportage et nous permet de passer avec eux, sans payer alors que c’était fermé. Après le reportage, un guide du lieu nous laisse seuls faire la visite et cours rattraper les minutes de match qu’il a perdu. Le Projeto Tamar protège différents types de tortues de mer en voie de disparition qui font le périple depuis le littoral brésilien jusqu’en Afrique. Depuis 1980, le projet permet la pérennité des tortues et invite les touristes à faire connaissance avec elles. Des plus imposantes aux plus petites, la visite nous plonge dans un univers marin peu connu qui ne laisse pas indifférent à la survie de ces animaux. 

Crédit Geneviève Lodovici
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Avant de rejoindre Salvador, nous faisons une avant dernière étape dans les terres de Bahia pour découvrir la Chapada Diamantina, cet immense parc nationale qui propose de nombreuses randonnées perdue dans la nature. Nous arrivons à 4h du matin dans la petite ville de Lençois et directement on se fait alpaguer par différents hôtes d’auberges, qui ne sont pas bêtes et savent pertinemment qu’après une demie nuit dans un bus on est prêt à tout pour un peu plus de sommeil. La seconde partie de la nuit commence bien jusqu’à ce que le coq chante l'aube. Nous visitons cette jolie petite ville de l’intérieur, toute pavée et colorée, qui n’est pas sans rappeler Olinda. Des ruelles qui montent et qui descendent, de petits restaurants collés les uns aux autres qui empiètent sur la rue et toujours un commerçant qui discute ou interpelle les touristes devant sa boutique. Un peu caché en bas du village se trouve un coin de paradis où coule une cascade sur de grands rochers qui semblent se fondre dans la forêt au loin. Lieu parfait pour ne plus penser et profiter de l’instant présent en écoutant l’eau qui ruisselle sur les pierres. Cette eau rougeâtre, spécificité du lieu, inspirerait autant un conte fantastique qu’un roman noir. Le lendemain est consacré à la trilha dans la montagne. Après deux heures de route on se sent encore plus à l’intérieur des terres et l’on s’apprête à découvrir des cascades enfouis dans des rochers et des panoramas à couper le souffle, sur des hauteurs majestueuses. La taille des montagnes rappelle la grandeur du Brésil. Impression vertigineuse d’être une coccinelle dans un champ.

Mais le temps passe et arrive la fin de notre périple. Nous découvrons Salvador, découpée entre la ville haute et la ville basse. Celle-ci semble complètement abandonnée par le temps lorsqu’on l’observe d’en haut, de la vieille ville. Des maisons vides, des ruines et des couleurs maussades qui s’opposent à la fraîcheur de la partie historique de Salvador, juchée sur une colline, toute rénovée. Cette partie semble être la plus touristique, à l’exception de l’Eglise Nosso Senhor de Bonfim un peu excentrée dans la ville basse, très connue pour ses bracelets porte-bonheur de toutes les couleurs. Difficile de savoir si nous avons vraiment connu Salvador puisque la ville était aux couleurs du match (France-Suisse) et remplie de touristes, mais l’on retient ce contraste qui paraît durer depuis toujours dans la capitale de Bahia.  

Crédit Geneviève Lodovici
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Le voyage se termine sur une victoire pour la France. Pour moi c’est surtout la rencontre avec une région du monde qui porte une histoire particulière que je voulais à tout prix découvrir et qui m’a transporté. Les couleurs du Nordeste sont à l’image de la chaleur des nordestins. De Recife à Salvador, cette aventure humaine m’a permis de connaître un bout du Brésil et une partie de son histoire même s’il y a encore tout à apprendre de cette immense terre dont les cultures multiples ne cessent de m’intringuer. 

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