À Londres, bilan d'un an de campagne pour sauver l'Undercroft

Morgane Heuclin-Reffait
17 Mars 2014



En mars 2013, le centre culturel de Southbank dévoilait son projet d'expansion. Pour financer le projet, l'Undercroft, ensemble architectural devenu de facto un skatepark, sera sacrifié. C'était sans compter sur la mobilisation de la communauté. Retour sur un an de campagne pour sauver les lieux.


En un an, la mobilisation pour empêcher la transformation de l'Undercroft en petites boutiques, semblables à celles qui prolifèrent autour du Royal Festival Hall, n'a pas faibli. Pour les défenseurs du skate park, l'enjeu est de préserver un lieu représentatif de la culture underground : que celui-ci devienne le support d'une marchandisation, c'est remettre en cause l'essence même que les skateurs ont conféré au lieu. Le projet du Southbank Centre cristallise l'incompréhension mutuelle qui subsiste entre culture traditionnelle et underground.

Un territoire pour deux conceptions de la culture

Le projet de Southbank Center est ambitieux : il s'agit de rénover et étendre les trois bâtiments dont est composée la Festival Wing, construire un pavillon de verre flexible assez grand pour abriter un orchestre complet, créer un nouveau bâtiment et utiliser l'espace de l'Undercroft. Selon le centre, l'extension permettra également de créer 700 postes et d'offrir des opportunités éducatives pour près de 150 000 jeunes. Un tel développement a évidemment un coût : 120 millions de livres devant être déboursées, le centre a besoin d'un prêt de 35 millions de livres. Or ce dernier serait grandement facilité si l'Undercroft était remplacé par des boutiques, assurant des revenus complémentaires.
« Je pense qu'ils ne s'attendaient pas à une telle mobilisation et à un tel soutien » souligne Greg, membre de la campagne Long Live Southbank (LLSB), en souriant. Il est vrai que le projet s'est heurté à un mur, du même béton que celui dont est fait l'Undercroft. La communauté des skateurs et grapheurs est consciente du poids de la communication. Depuis un an, elle a organisé une campagne massive d'information auprès des touristes et habitants : c'est sur leur site web, facebook ou derrière leur stand, que s'est fait le relais de leur cause. Des appels aux dons ont été lancés pour financer la campagne.
Les actions pour protéger l'Undercroft sur le plan légal se sont multipliées. LLSB a réussi dans un premier temps à faire recenser le site comme outil de bien public par le Lambeth Council (équivalent d'une mairie d'arrondissement). Une demande a également été déposée pour faire reconnaître l'Undercroft dans le cadre des Common Acts de 2006, qui lui conférerait une protection légale en tant que site d'héritage culturel. Le 2 janvier, après avoir nettoyé les vestiges du Nouvel An, près de 200 personnes se sont rendues au Lambeth Council pour remettre 27 286 objections individuelles à la disparition du lieu. La constance de la pression exercée par les skateurs a eu un certain impact. Le Southbank Center a en effet annoncé le mois dernier reporter la demande de permis de construire et se donne trois mois pour tenter de trouver un financement alternatif à son projet. Néanmoins, les membres de LLSB ne crient pas victoire trop vite : comme le souligne Greg, ce n'est pas la première fois que le projet est reporté, jusque là sans changer quoi que ce soit au résultat. 

« Juste » un skate park ?

Si un tel front s'est formé pour empêcher la destruction de l'Undercroft, c'est avant tout en raison du statut culturel que celui-ci au fil des ans. Boris Johnson le dit lui-même : « ce skate park est l'épicentre du milieu du skateboard anglais et fait partie du tissu culturel de Londres ». L'Undercroft, c'est quarante ans d'histoire, de skates raclant les parois et de concours de figures BMX. Le site est le plus vieux skate park au monde encore utilisé aujourd'hui. Depuis les années 1970, il est devenu une attraction à part entière, avec des démos organisées régulièrement. Au quotidien, il n'est pas rare de voir habitants et touristes arrêter leur balade le long des quais pour assister aux répétitions de figures ou transformation permanente des murs.
L'Undercroft se définit en effet par son apparence éphémère. Tout y est évolutif. Les graffitis sont renouvelés constamment, si bien qu'en l'espace d'un mois, il est parfois impossible de reconnaître un quelconque pan de mur. La cohabitation entre artistes de rue et skateurs se fait naturellement, car les deux groupes se sont appropriés l'Undercroft en même temps, fusionnant ainsi en une seule communauté. Les skateurs viennent des quatre coins du monde, mêlant professionnels et amateurs. Lorsqu'on demande à Filip, qui vient tous les week-ends avec un ami grapheur, ce qu'est l'Undercroft pour lui, il souligne l'importance des individus : « les gens sont essentiels, on partage un même état d'esprit ici ». Dans cet espace partagé par différents acteurs de la street culture, l'unité est d'ailleurs maître mot face au projet du Southbank Center.

Preservation, not relocation

Face à la mobilisation, le Southbank Center a proposé la relocalisation du skate park sous l'Hungerford Bridge, situé à une centaine de mètres de l'emplacement actuel de l'Undercroft. Mais les skateurs ne sont pas prêts à faire des concessions, d'autant qu'ils ont déjà accepté en 2005 de perdre les deux tiers de la surface de l'Undercroft, au profit d'une première extension du Southbank Center. Sur le site web de LLSB, on considère que construire un lieu spécialement conçu comme skate park n'est qu'une version falsifiée de l'environnement urbain, incompatible avec l'ethos et la valeur des arts urbains qui ont pris possession de l'Undercroft.
Ce dernier ayant été façonné depuis près d'un demi-siècle par la communauté qui le rend vivant encore aujourd'hui, il a un poids historique qui est difficilement transférable à un autre lieu. D'autant que celui proposé par le Southbank Center n'a été que temporairement l'abri d'un faible nombre de skateurs, incomparable donc avec l'Undercroft qui est considéré comme un des berceaux du skateboarding anglais. En parallèle, il y a une certaine amertume due au manque de consultation : les membres de LLSB estiment que si le Southbank Center les avait intégrés au projet, ils auraient pu participer à rechercher d'autres sources de financement. Il y a donc une scission assez forte entre les deux parties. La campagne LLSB a acquis un large soutien au sein de la population et de représentants politiques, et est parvenue à faire reculer l'adoption du projet en ses termes initiaux. Pour l'heure, l'attente est reine : ce n'est qu'au terme des trois mois de réflexion consentis par le Southbank Center que les skateurs sauront s'ils ont obtenu gain de cause ou non.

http://www.youtube.com/watch?v=iFaKN98Xg3E#t=877

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