Entrée du ministère russe des Finances (Crédits : Flickr @ФотоМосквы Moscow-Live.ru)
L’objet de la dispute est un prêt de 3 milliards de dollars contracté par l’Ukraine en décembre 2013, moins d’un mois après le refus du président Viktor Ianoukovytch de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. Lorsque, renversé en février 2014, ce dernier est remplacé par un nouveau gouvernement, celui-ci critique immédiatement un prêt alors perçu comme un « pot-de-vin » donné par la Russie afin de garantir la loyauté de Viktor Ianoukovytch.
Le gouvernement ukrainien continue aujourd’hui de dénoncer ce prêt contracté auprès d’un « pays agresseur ». En novembre, Kiev a ainsi refusé la proposition du président russe Vladimir Poutine d’étaler la dette sur trois ans. Quelques jours plus tard, ce dernier ordonnait de « poursuivre en justice » l’Ukraine si Kiev ne remboursait pas les 3 milliards d’ici au 20 décembre, Kiev répondant quelques semaines plus tard en votant un moratoire sur le paiement de la dette. Les relations entre l’Ukraine et la Russie n’ont ces dernières semaines cessé de se tendre : Moscou a annoncé la fin de la zone de libre-échange entre les deux pays, conduisant l’Ukraine à interdire l’importation de produits alimentaires russes. Or, la date fatidique du 20 décembre, puis les 10 jours de grâce supplémentaires sont passés sans qu’aucun paiement ne vienne : après le nouvel an, le ministre russe des Finances a alors annoncé que l’Ukraine se trouvait « en état de défaut sur sa dette », et que la Russie entamait des poursuites judiciaires pour obtenir le remboursement du prêt.
Un procès très inhabituel
Ce procès pourrait s’avérer particulier à bien des égards. Le fait même qu’il ait lieu serait inhabituel : les différends entre États sur des questions de dettes sont normalement réglés directement d’État à État, selon un ensemble de règles dictées par le « Club de Paris », un groupe informel de créanciers publics dont la Russie est membre. Mais bien qu’émis par un État, le prêt contracté par l’Ukraine en décembre 2013 prend une forme privée, permettant à la Russie d’aller défendre sa cause devant la justice britannique puisque que le contrat a été réalisé sous la juridiction britannique. Moscou peut aussi décider de faire appel à un arbitrage international.
Surtout, le différend a lieu alors qu’aux yeux du droit international et des pays de l’Ouest, la Russie occupe illégalement une partie du territoire ukrainien et soutient des groupes armés en guerre contre Kiev. Dans une tribune pour Bloomberg, l’éditeur et écrivain Leonid Bershidsky considère que cette situation inédite pourrait être à l’avantage de Kiev : « Les juges ne pourront pas ignorer le contexte global et l’argument de bon sens qu’un mouton ne peut pas devoir de l’argent à un loup qui a déjà dévoré une de ses jambes ».
Crédit tOrange.us
« L’Ukraine pourrait évaluer le coût de l’annexion de la Crimée et de la guerre dans le Donbass, et réclamer une compensation à la Russie qui serait équivalente ou même supérieure au prêt réclamé par Moscou », confirme Przemysław Roguski, professeur de droit international à l’université de Kiev. « Je crois que c’est ce que Kiev aimerait vraiment faire, aussi bien pour des raisons légales que de politique intérieure. » Seul problème : Moscou s’est montré « particulièrement intelligent » en réalisant le contrat du prêt, spécifiant dans ce dernier l’impossibilité d’avoir recours à toute « clause de compensation ».
Autre possibilité pour l’Ukraine : demander à ce que le prêt de 3 milliards signé par le président Viktor Ianoukovytch soit classé comme « dette odieuse », un terme employé pour désigner des dettes ayant servi à financer l’activité de régimes dictatoriaux contre l’intérêt des citoyens, ce qui pourrait conduire à un effacement de la dette. Une stratégie hasardeuse, le concept de « dette odieuse » ayant dans les faits été peu utilisé en droit international.
« Ca va être compliqué pour l’Ukraine », note Przemysław Roguski. « Politiquement, le gouvernement ukrainien ne peut pas se permettre de rembourser un pays qui a envahi son territoire, la population n’accepterait jamais. Mais la Russie ne faisait pas confiance à Ianoukovytch lorsqu’ils ont réalisé ce contrat et lui ont imposé des conditions sévères, qui rendent aujourd’hui toute tentative d’effacer la dette beaucoup plus problématique. »