Typhon Haiyan : une réaction politisée ?

Thomas Clavet, correspondant à Manille, Philippines
19 Novembre 2013


La semaine dernière, le typhon Haiyan a ravagé les Philippines, ne laissant derrière lui que destruction, pauvreté et tristesse. La catastrophe a particulièrement touché les îles du centre du pays, le territoire des Visayas. Les bilans sont loin d’être définitifs, mais les interrogations fusent.


Crédits photo -- Charism Sayat/AFP
La catastrophe est sans précédent. Haiyan est arrivé suite au tremblement de terre de magnitude 7,2 qui a eu lieu il y a de cela un mois à Bohol, et dont les répliques se font encore sortir. La dernière en date, de magnitude 4,5, a touché cette même région dévastée par le typhon, il y a quelques jours.

La région, très pauvre, est difficile d'accès pour les rares équipes qui tentent de parvenir aux zones sinistrées. Le peu d’infrastructures (aéroports, routes, etc) présentes ont été entièrement détruites, rendant difficile l’accès aux réfugiés. L’ONU estime le nombre de morts à 3 600, près de 1 million de déplacés et évalue le besoin pour venir en aide aux réfugiés à 301 millions de dollars. Une réaction de la communauté internationale apparaît dès lors primordiale pour aider une population en pleine détresse. Mais, est-elle seulement appropriée ?

Une réaction unanime face à la catastrophe ?

Il y a 3 jours, une commission exceptionnelle a été mise en place par le gouvernement de Hong Kong. Cette ville est connue pour être l’un des endroits où la communauté philippine est la plus importante, principalement des domestiques et des ouvriers du bâtiment. La raison ? Prévenir les violentes réactions des citoyens hongkongais face à la catastrophe sur les réseaux sociaux. Celles-ci ont fait suite aux plaintes de la faible dotation de la Chine à cette période : 100 000 dollars. La dotation a depuis été revue et atteint aujourd'hui les 1,9 million de dollars, bien que l’ONU ne l’ait pas encore reconnu. Un citoyen de Hong Kong commente : « (…) N’avez-vous jamais eu cet ami qui dépense tout son argent dans la drogue et demande de l’argent pour manger ? ».

Cet exemple reste cependant isolé et l’ensemble de la communauté internationale s’est très rapidement activée pour débloquer des fonds pour les Philippines et diverses ONG, comme le montre le graphique ci-dessous (source).

Crédits photo -- Dair Massey
Les pays anglophones que sont l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis sont les plus gros donateurs, aux côtés du fond central d’intervention d’urgence de l’ONU. L’Union européenne se situe loin derrière. La France et l’Allemagne ne font aucun don de façon personnelle alors que l’Espagne, l’Autriche ou encore l’Italie s’investissent personnellement en supplément de la dotation de l’Union européenne. Cette dernière, deuxième organisme le plus donateur après les États-Unis, se situe bien loin dans le cadre de la catastrophe aux Philippines.

Cependant, la véritable question concernant les fonds qui affluent sur les territoires dévastés n’est pas celui du montant de chacun des donateurs, ce n’est pas de savoir qui donnera le plus, mais bel et bien de savoir où va cet argent et comment il est utilisé. Car une telle catastrophe n’est pas sans rappeler le tremblement de terre meurtrier à Haïti, situation au cours de laquelle une partie des fonds n’était jamais arrivée aux réfugiés.

Corruption ou désespoir ?

Les Philippines ont la réputation d’être l’un des pays les plus corrompus d’Asie du Sud-Est. Selon une étude de la Banque mondiale datant de 2008, ce pays est effectivement le pays le plus corrompu des économies en développement de l’Asie du Sud-Est. Néanmoins, le classement actualisé de l’ONG Transparency International de 2012 classe les Philippines au 105e rang mondial sur 176 pays listés, plaçant ce dernier devant l’Indonésie et d’autres pays d’Europe de l’Est tels que l’Ukraine, le Belarus ou encore même la Russie.

Dès lors, une dotation financière quel qu’elle soit apparaît dangereuse car elle n’irait potentiellement pas vers ceux qui en ont besoin. C’est pour cette raison que l’ONU a décidé d’annoncer que l’ensemble des fonds donnés ne devraient pas passer par le gouvernement et l’État philippin et devraient directement être donnés à des organismes reconnus tels que la Croix Rouge philippine. Là encore, le problème de la corruption reste entier car aucune donnée ne permet d’affirmer sans doute que la Croix Rouge philippine n’est pas corrompue.

Cependant, malgré le fait que la grande majorité des fonds reversés passe par des organismes et non pas par le gouvernement, ce dernier aide évidemment aussi aux efforts notamment avec des envois de nourriture. Néanmoins, ce dernier utilise l’action humanitaire à des fins politiques. En effet, l’ensemble des paquets de nouilles distribués par le gouvernement a été empaqueté aux couleurs et avec le sigle du gouvernement (la couleur jaune et le ruban renversé du parti libéral). Seules les communes qui sont à majorité de ce parti se voient reversés des biens de première nécessité, alors que les autres sont délibérément abandonnées. De même, il n’est pas rare de constater que des présidents d’association de quartier payent pour obtenir la liste des électeurs ayant voté pour eux afin de ne distribuer des biens qu’à ces derniers.

Au problème de la corruption s’ajoute un problème d’insécurité dans les régions sinistrées. Les pillages sont monnaie courante dans les différentes villes dévastées. Une grande partie de la population quitte les zones densément peuplées pour fuir la criminalité grandissante. Certains camions transportant les biens de première nécessité, telles que l’eau ou la nourriture, tombent dans des embuscades. Les pilleurs en profitent alors pour revendre ces biens. Malgré que le besoin immédiat soit important, il n’est pas le seul qui importe.

Quelle course ?

Crédits photo -- Reuters
La réaction de la communauté internationale a été unanime face à la catastrophe. De nombreux fonds et diverses aides : terrestre, maritime et aérienne, ont rapidement afflués au sein du pays après le typhon meurtrier. Néanmoins, la question de la nature de ces biens reste un mystère. Les besoins en nourriture sont indispensables. Mais comment est-il possible d’utiliser ces derniers sans eau, sachant que la plupart sont des biens faciles à conserver tels que du riz ou des nouilles.

Cependant, d’autres problèmes se posent de la même façon. Les zones sinistrées sont, pour la plupart, entièrement détruites et aucun établissement n’est encore debout. Les problèmes hygiéniques deviennent alors tout aussi primordiaux et les besoins en médicaments et autre matériel ne sont pas négligeables. Une bonne partie des pays donateurs ont conscience de l’ensemble des problèmes et savent que ces derniers ne sont pas uniquement des problèmes liés à la nourriture ; à l’image des États-Unis qui ont mobilisé un hôpital maritime pour venir en aide aux blessés et essayer de régler les problèmes d’hygiène.

Les besoins immédiats nécessaires après la catastrophe sont indéniables et la réaction des différentes nations et de l’ONU va dans ce sens. Mais l’ampleur des dégâts laisse évidemment à penser que la reconstruction de la région touchée sera un processus long, complexe et coûteux. Celle-ci prendra probablement plusieurs mois voire plusieurs années. Dès lors, la question des besoins de longue durée se pose. Les gouvernements étrangers seront-ils toujours prêts à aider le peuple philippin quand le sujet ne sera plus médiatisé ? La course dont les zones ravagées ont besoin n’est pas un sprint, mais bel et bien un marathon.