Turquie : Erdoğan contre les colocations étudiantes mixtes

ÖYKÜ YAĞMUR KARADENİZ
15 Décembre 2013


En Turquie, le discours du Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, lors de la réunion d’évaluation à Kızılcahamam qui était interdite à la presse, le 2 novembre, a été dévoilé. Incompatible avec la structure conservatrice de la société, la colocation entre des étudiants de sexe opposé n’est pas tolérable et Erdoğan ne le permettrait pas.


Recep Tayyip Erdoğan | DR
Après les manifestations de Gezi Park contre les sanctions et les interdictions du parti islamo-conservateur AKP, au pouvoir depuis 11 ans, à l'approche des élections municipales du 30 mars 2014 et avec la détermination de la politique des partis, Başbakan Recep Tayyip Erdoğan a à nouveau créé la polémique lors de la réunion de consultation et d’évaluation réalisée au début du mois de novembre. Il a affirmé qu’il y avait des habitations mixtes à cause d’un manque de foyers d’étudiants et que parfois cette situation entraînait des problèmes, comme par exemple à Denizli. « On l’a vu à Denizli. L’insuffisance des foyers d’étudiants crée des problèmes. Les élèves, les jeunes, habitent dans une même maison. Il n’y a pas de contrôle. Ce n’est pas compatible avec notre structure conservatrice-démocrate. On a donné les instructions à monsieur le maire. On va contrôler avec certains moyens ».

Le lendemain, le vice-Premier ministre Bülent Arınç a déclaré que ces discours étaient mensongers et que le gouvernement ne menait pas une politique qui intervient dans la vie privée. Sur ce point-là, dans le front du gouvernement, les contestations croissantes des derniers mois se font de plus en plus entendre. Erdoğan s’est opposé à Arınç et a déclaré : « Ce n’est pas clair ce qui se passe dans ces maisons. Pardonnez-moi pour cela, mais il nous faut intervenir sur ce cas en tant que gouvernement démocrate-conservateur. Ce n’est pas de l’intervention dans la vie privée ».

Pour une jeunesse plus conservatrice avec des valeurs islamiques

Ces dernières années, les changements basés sur la religion dans les différents espaces de la vie quotidienne touchent sur plusieurs points la privée des gens, surtout celle des femmes, avec des sujets comme l’avortement, la grossesse et la pilule du lendemain. Même chose quant aux relations sexuelles dans la vie quotidienne. Par exemple les camps de jeunesse rattachés au ministère de la Jeunesse et des Sports, ne sont plus mixtes depuis deux ans.

Le gouvernement actuel tente de créer le portrait d’une jeunesse plus conservatrice qui possède des valeurs islamiques, à travers des changements à la fois dans le système éducatif ou dans la vie quotidienne. On peut facilement voir dans les discours du Premier ministre les caractéristiques de la jeunesse qu’il veut créer. L’une des choses que l’on peut voir aussi c’est que ces changements sont associés à la tradition et aux valeurs morales plus qu’aux règles juridiques.

Mise en application de la réglementation

L’un des points les plus importants est la mise en pratique de cette règlementation, et donc la surveillance des maisons. Des questions comme « y aura-t il des policiers ou des interventions dans toutes les habitations, comment peuvent-ils vérifier ? » se posent. La réponse la plus claire vient du vice-président du parti AKP, Nurettin Canikli : « On en a beaucoup parlé. La police ne donnera pas de sanctions. Si on détecte des personnes de sexe opposé qui habitent dans une même maison grâce à la dénonciation des voisins, les policiers téléphoneront aux familles de ces personnes et leur annonceront avec qui leurs enfants habitent. Il y n’aura absolument pas d’autre application ».

Il n’a pas fallu longtemps pour voir la mise en pratique. Les propriétaires, qui avaient déjà des critères stricts, ont en quelque sorte légitimité leur attitude et ont pris des mesures supplémentaires. En Turquie, il y a toujours des perceptions dans les descriptions comme « maison pour étudiant, pour célibataire ou une famille ». Les propriétaires ont commencé à faire des affichages sur les portes des appartements pour avertir les habitations mixtes immédiatement après le discours d’Erdoğan. A Manisa, on est passé à un autre niveau : vers 1h30 du matin les policiers ont fait irruption dans un appartement de trois étudiantes.

Un étudiant raconte qu’une nuit six policiers sont venus pour demander le nombre d’habitants, femmes et hommes, et qu’ils ont dit que les voisins s’étaient plaints à cause du bruit. Il ajoute: « On ne faisait pas de bruit. C’était très clair qu’ils étaient venus pour nous pénaliser. Même si on faisait du bruit, nous auraient-ils demandé le nombre de filles et de garçons ? ». Enfin, chacun des 5 étudiants a dû payer 88 lira (environ 32 euros) pour infraction à un article juridique.

Réactions du peuple

Les recherches sur ces dernières réactions de beaucoup d’hommes politiques, de journalistes et de différents milieux sociaux montrent qu’il y a une grande partie de la population touchée par la politique du gouvernement. Malgré tout, la population continue à soutenir le gouvernement et ses tendances traditionnelles. D’après une enquête de MetroPOLL, 69 % des participants au sondage n’acceptent pas l’habitation mixte. D’après une autre enquête d’une autre entreprise, 75 % des participants sont contre la cohabitation sans mariage ou relation parentale. Mais dans un même temps, la majorité du peuple ne trouve pas les contrôles acceptables. A noter que ces pourcentages ne sont pas le reflet d’une seule partie de la population qui soutient le gouvernement. Des personnes interrogés avec d’autres tendances politiques se déclarent aussi majoritairement contre la colocation mixte. C’est plus une histoire de tradition de la société.

Est-ce un effort pour changer l’actualité avant les élections municipales ou un changement de la ligne politique menée de façon de plus en plus autoritaire vers une politique plus islamique après avoir été élu une deuxième fois ? Au fur et mesure que les discussions continuent, même si ce ne sont que des élections municipales on verra si AKP, ou plutôt Erdoğan, a réussi à gérer les manifestations anti-gouvernementales des derniers mois.