Crédit : Elise Colette
Le 21 mai 2015, le président du Kirghizstan Almazbek Atambaev a approuvé le traité d’entrée de la République kirghize à l’Union économique eurasiatique (UEEA). La dernière étape d’adhésion au niveau national est ainsi close. Désormais, seule la ratification du traité par les autres Etats membres sépare le Kirghizstan d’une entrée effective dans l’Union.
« Je voudrais remercier notre parlement ainsi que le gouvernement pour leur travail colossal. J’ai vu comme notre personnel et nos spécialistes, qui reçoivent un salaire très bas, se sont battus pour chaque ligne des protocoles », s'est félicité le chef d’État du Kirghizistan. Cette ratification est le résultat d’une longue histoire d’intégration eurasienne post-soviétique.
D’un pays uni à un territoire douanier commun
L’idée d’une telle union dans l’espace post-soviétique a été exprimée pour la première fois trois ans après la chute de l’URSS. En 1994, Noursultan Nazarbayev, le président du Kazakhstan nouvellement indépendant l’évoquait au cours de sa première visite officielle en Russie.
C’est en 1995 que les présidents de la Biélorussie, du Kazakhstan et de la Russie ont signé le premier accord sur la création d’une Union douanière, transformée par la suite en Communauté économique eurasiatique (EurAsEC).
La frontière entre le Kirghizstan et le Kazakhstan - Crédit : Nadezhda Volkova
Mais le traité sur l’Union douanière en place aujourd’hui est bien plus récent. Une première déclaration d’intention sur la mise en place d’un espace douanier commun a été émise par ce même « trio » en 2007. Deux ans plus tard, environ 40 accords internationaux sont ratifiés sur la base de cette nouvelle alliance.
La nouvelle Union est inaugurée en 2010, alors qu’un tarif douanier commun entre en vigueur. L’année suivante, les contrôles douaniers sont repoussés au contour extérieur des frontières qui unissent la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie.
Accepter une invitation ne signifie pas participer à la fête
L’accession du Kirghizstan à ce processus d’intégration eurasiatique a traîné en longueur pendant des années. Peu après la signature de l’accord sur l’Union douanière par la Biélorussie, le Kazakhstan, et la Russie, à Minsk en novembre 2009, le président russe Dmitri Medvedev rencontre le président kirghiz Kourmanbek Bakiev. C’est la première fois que le Kirghizstan est invité à rejoindre l’Union.
« Aujourd’hui, trois gouvernements ont signé un document important et j’espère que nos autres partenaires, entre autres le Kirghizistan, sont sur le chemin d’une adhésion à l’Union douanière », avait déclaré Medvedev.
Pourtant, la réponse de Bakiev s’était avérée contraire aux attentes du président russe : le président kirghiz prônait une intégration encore plus large. « Si d’autres Etats-membres de l’EurAsEC rejoignent l’Union douanière conclue aujourd’hui, cela nous ouvrira un énorme marché, un immense territoire. Dans les conditions de crise actuelles, un tel espace serait économiquement stable et permettrait le développement des économies de tous les Etats qui en font partie », avait déclaré le chef d’État du Kirghizistan de manière rhétorique.
Crédit : The Great Excursion
Lors de sa rencontre avec son homologue biélorusse Aleksandr Lukashenko, Bakiev avait tout de même apporté un détail : « Nous sommes prêts à adhérer à l’Union douanière mais étant membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), nous nous devons de prendre en compte certaines conditions sur lesquelles travaillent actuellement nos experts », a-t-il communiqué.
En 1998 le Kirghizstan était le premier Etat centre-asiatique à devenir membre de l’OMC, et par là même un marché-clef pour l’exportation de produits chinois vers l’ancienne Union soviétique grâce à des frais douaniers réduits. La Russie et le Tadjikistan ont rejoint l’OMC en 2012, et le Kazakhstan s’apprête à intégrer l’organisation cette année.
À l’été 2010, le Kirghizistan a derrière lui une seconde révolution, la fuite des Bakiev et le remplacement total de l’élite au pouvoir. Mais sa position quant à l’Union douanière reste inchangée : « Nous sommes résolus à nous associer au territoire douanier commun », déclarait la présidente par intérim Roza Otounbaeva, en ajoutant que la République étudiait encore les conditions de son accession.
Une certaine clarté n’est apparue qu’avec l’enclenchement de la procédure d’adhésion au printemps 2011. En octobre de cette année, l’EurAsEC a formé un groupe de travail afin d’étudier la question de la participation du Kirghizistan à l’Union douanière. Mais la candidature officielle ne date que de mai 2013.
Travaux préparatifs
La préparation de l’adhésion était marquée par le travail titanesque des analystes : quels sont les avantages et les inconvénients, quels sont les risques d’une accession? La préparation d’une « carte routière », le plan d’accession étape par étape, a pris des mois. En parallèle, le Kirghizstan menait des négociations sur les préférences douanières qui lui seraient accordées. Pour l’économie la plus faible de la future Union, il s’agit d’éviter la domination des autres Etats membres.
Début 2010, la Russie se refusait encore d’entendre parler de telles mesures dérogatoires. « Ce sont nos partenaires, mais ça ne signifie pas que nous devons leur accorder un traitement de faveur. Oui, l’Espace économique commun (EEC) c’est la Biélorussie et le Kazakhstan. En ce qui concerne les autres pays, je vais décider en fonction du comportement de leurs dirigeants », revendiquait alors Dmitri Medvedev.
La révolution de 2010 et le changement de régime a adouci la position de la Russie. Le Kirghizstan a obtenu le droit d’importer certaines marchandises de pays non-membres de l’Union douanière, en premier lieu de la Chine, à des tarifs préférentiels. Etant donné que l’adhésion à l’Union douanière signifie une hausse des tarifs d’importation, le Kirghizstan veut éviter par de telles exemptions que son commerce à l’extérieur de l’UEEA ne souffre trop de son accession.
Le président du Kirghizistan Atambaiev - Crédit : Martin Schulz
Initialement, la République avait l’intention d’obtenir des préférences tarifaires sur une liste de plus de 2 500 titres. Suite à des discussions, y compris avec les entrepreneurs kirghiz, cette liste a été réduite à 300 points. Finalement, le Kirghizstan a obtenu le droit d’importer 166 types de produits à tarifs réduits (tarifs nuls pour la plupart) pour les cinq années à venir.
Au-delà de ces dérogations, les partenaires du Kirghizstan lui ont accordé des financements pour faciliter son intégration à l’Union douanière, puis à l’UEEA. La Russie a accordé 500 millions USD pour la création d’un fonds russo-kirghiz, dont la tâche sera le financement de projets dans les secteurs prioritaires pour l'économie du pays. Elle a également soutenu la mise en œuvre de la « carte routière » kirghize à hauteur de 200 millions USD. 100 millions USD pour ces mêmes objectifs ont été libérés par le Kazakhstan.
Ces deux dernières se présentent en partie sous la forme d’équipement et de spécialistes pour entraîner les fonctionnaires kirghiz à vérifier que les marchandises produites au Kirghizstan correspondent aux normes de l’Union.
On vous attend !
Le traité d’adhésion du Kirghizstan à l’UEEA a été signe le 23 décembre 2014, à l’occasion de la participation du Président Atambaev à la réunion du Haut conseil économique eurasiatique à Moscou. « Nos amis kirghiz, les gouvernements du « trio » et la Commission eurasiatique entreprennent de sérieux efforts pour adapter la législation nationale aux exigences de l’Union douanière et de l’Espace économique commun (EEC). Une grande partie des « cartes routières » a été conformément mise en œuvre. Il est primordial de ne pas ralentir le tempo et d’accomplir ce travail ensemble », a commenté le président russe Vladimir Poutine à cette occasion.
Le même jour, la date de l’entrée définitive du Kirghizstan a été fixée : le 8 mai 2015. Le 24 avril, la démission du premier ministre et le changement de gouvernement laissait craindre qu’il faille encore repousser l’échéance. Le soir même, le Ministère de l’économie communique qu’en raison de nouveaux désaccords sur les exemptions du Kirghizstan, les délais de l’ouverture de la frontière avec le Kazakhstan pourrait être repoussés.
Il n’en était rien. Le 8 mai, le Haut conseil économique eurasiatique, réuni à Moscou, a formellement approuvé la candidature du nouveau membre. Mais même après la ratification du traité par le Président, il doit encore être ratifié par tous les autres Etats membres pour que le Kirghizstan devienne membre de plein droit.
Le Ministre de l’économie Oleg Pankratov a expliqué ces délais devant le parlement : « Le contrôle douanier sera supprimé dès que le document sera ratifié par les parlements de tous les pays membres de l’UEEA. Il est difficile de dire quand ce processus s’achèvera mais il est probable que les frontières douanières avec le Kazakhstan ne s’ouvrent pas avant l’automne. Certains médias ont mal interprété nos prédictions et affirment que les frontières ne s’ouvriront qu’en automne. Actuellement, le gouvernement fait tout son possible pour accélérer la ratification de l’ensemble des accords. »
Andrey Krutko, le Consul russe au Kirghizistan a déclaré le 21 mai qu’il n’y aurait pas besoin d’attendre jusqu’à l’automne. « La Douma de la Fédération de Russie a l’intention de ratifier le traité d’adhésion du Kirghizistan à l’UEEA avant les vacances de juillet. D’après mes informations, il en est de même pour les autres Etats membres, » rassure-t-il.
Et après ?
Depuis que le Kirghizistan a d’abord exprimé sa ferme volonté de s’unir au projet économico-commercial de ses « anciens camarades », il y a quelques années, le pays mène une campagne de sensibilisation. Le gouvernement réitère à chaque fois sa réponse à la question « Quels sont les bénéfices d’une adhésion à l’Union douanière et l’UEEA ? ».
Le gouvernement a même mis en place une FAQ afin de mettre en avant les avantages, et d’écarter les inquiétudes liées à l’Union eurasiatique. Comme le souligne le Cabinet des Ministres, le but fondamental d’une intégration économique se résume en quelques mots : le mieux-être économique du Kirghizistan. L’eurasisme élargit les débouchés, améliore l’attractivité du pays pour les investisseurs, le chiffre d’affaire ainsi que le marché de l’emploi. Mais cela fait de nombreuses années que la même formulation est appliquée à tous les projets économiques du gouvernement.