Théâtre : ce qu'un dramaturge hongrois nous criait à la face il y a cent ans

Denis de Montgolfier
19 Mai 2016


Liliom (ou la vie et la mort d'un vaurien) de Ferenc Molnár, mise en scène par Jean Bellorini. Au Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne (France) jusqu'au 21 mai 2016.


Crédit : Pascal Victor
Ferenc Molnár débute dans le journalisme au début de 1900 puis écrit des pièces de théâtre à Budapest (Hongrie) qui seront jouées dans l'Europe. Il devient correspondant de guerre pendant la Première Guerre mondiale en défendant avec chauvinisme l'Empire d'Autriche-Hongrie. Au début de la Seconde Guerre mondiale, il émigre aux États-Unis après un passage en France, pour échapper aux persécutions nazies contre les juifs de Hongrie.

« Être à soi-même sa propre cage »

En 1909, il écrit Liliom (ou la vie et la mort d'un vaurien). Cette pièce, mise en scène magistralement par Jean Bellorini, décor, musique, jeux des acteurs, fait un tour de France pour prendre aux tripes les heureux spectateurs. Elle raconte l'histoire d'un amour puissant et chaotique entre une petite bonne et un bonimenteur de fête foraine. Ça dégueule de misère et de sentiments bruts sur une piste d'autos-tamponneuses installées devant le public, bordée de fragiles caravanes. L'écriture de Ferenc Molnár répand la frustration mélangée à la fatalité. Les héros sont pauvres, assument leur destin et s'enferment dans leurs échecs comme on refait cent fois le même tour de manège sans en changer la trajectoire. Et si on a la malchance d'être à soi-même sa propre cage ?

Liliom : – T'oserais pas... devenir ma femme ?
Julie : – Je sais seulement que si j'aime quelqu'un, je pourrai même mourir pour lui.
Liliom : – Tu te mettrais avec un bon à rien comme moi ? Je veux dire... si tu m'aimais ?
Julie : – Même avec le bourreau... Monsieur Liliom.

Le dramaturge Ferenc Molnár. Crédit : Ludas Matyi újság
La pièce nous entraîne dans les bas fonds de la perdition tout en nous envoyant des signaux de gaité. Les deux héros sont bousillés, touchants et dramatiquement humains. Même un séjour au paradis ne permet pas la rédemption à Liliom, car il n'arrive plus à prouver son rôle de géniteur à Julie. La musique et les chœurs diffusés depuis une caravane foraine transpercent le spectateur d'une émotion géante en nous faisant le coup du chaud et du froid, du rire et des larmes, de la caresse et de la gerbe. Clara Mayer (Julie) joue avec une rare intériorité dégageant la posture d'un petit animal blessé qui rend les coups tout en aimant puis s'asphyxiant avec son vaurien d'amant. Ce théâtre reflète notre monde dingo, Liliom ne peut plus revenir dans sa vie, pas plus que les migrants de Syrie atterrir sur une terre de libertés (en Europe).