Somalie : chronique d’un Etat failli

14 Juillet 2014


Plongée dans une guerre civile sans fin depuis plus de vingt ans, la Somalie ne semble toujours pas prête à se remettre sur pieds. Archétype de la défaillance étatique, elle survit entre banditisme, seigneurs de guerre et milices islamistes. Retour sur l’histoire d’un « Etat failli ».


Un territoire placé sous le signe du chaos et de la désolation. Résultat de vingt ans d’une guerre civile ininterrompue. La situation de la Somalie semble presque oubliée du monde. Au point que le pays, embourbé dans un gouffre dont il ne semble pas prêt de sortir, vit en marge de la communauté internationale.

Pire, la Somalie est classée l’Etat le plus corrompu et le plus défaillant au monde. Car, comme un symbole du mal-être qui y règne, plus aucun gouvernement effectif n’est parvenu à s’imposer sur l’ensemble du territoire depuis le début de la guerre civile, en 1991.

Et aujourd’hui encore, deux décennies plus tard, le pays reste en proie aux exactions des seigneurs de guerre, pirates et autres miliciens. Au point que la vie des populations locales ressemble à une lutte permanente. A une survie à travers guerre et famine. 

Crédit SGT PERRY HEIMER
Une situation à laquelle Mogadiscio, la capitale, n’échappe pas. Longtemps considérée comme l’une des plus belles cités d’Afrique, elle n’est plus aujourd’hui qu’un champ de ruines. La guerre a là aussi laissé sa trace… Et outre la perte de sa splendeur d’autrefois, la guerre l’a également conduite à devenir la ville réputée comme la plus dangereuse au monde. 

Un conflit profondément ancré

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter au début des années 1980. Au moment où les premiers mouvements de rébellion commencent à voir le jour et à prendre petit à petit le contrôle du territoire. Pourtant rien ne laissait au départ présager une telle dégradation. 

Il faut dire qu’à l’heure de l’indépendance, la Somalie paraissait avoir tout pour réussir : le peuple somali formait une nation unie par une même langue, une même culture, et une même religion. Une unicité unique en Afrique. Mais le complexe système clanique sur lequel repose le pays, et les querelles intestines entre ces différents clans vont amener l’Etat à se déchirer. Et le propulser vers sa chute.

En réaction aux rébellions, Syad Barre, à la tête du pays depuis un coup d’Etat en 1969, va faire régner un régime de terreur n’hésitant pas à massacrer des civils qui iraient à l’encontre de son pouvoir. Mais son impopularité ne va faire que croître, au point qu’au début 1990, insécurité et émeutes plongent Mogadiscio dans le chaos. Finalement, le 26 janvier 1991, Barre fuit la capitale, entraînant le début de la guerre civile.

En réaction à la situation, l’ONU va dépêcher une première mission humanitaire en vue d’endiguer la famine en avril 1992 : l’ONUSOM. Mais celle-ci est un échec cuisant. Les Nations Unies font alors appel à l’aide internationale. Sous mandat onusien, les Etats-Unis vont ainsi lancer en décembre 1992 l’opération « Restore Hope »

Mais c’est là aussi un échec. En témoigne le tristement célèbre épisode des deux Black Hawk abattus à Mogadiscio. Depuis lors, et ce malgré de nombreuses tentatives de conciliation, le pays est resté en proie à la guerre civile et aux rivalités claniques.

Une situation humanitaire inquiétante

A l’évocation de la détresse de la Somalie, nombreux sont encore ceux qui se souviennent des images de l’opération « sacs de riz » de Bernard Kouchner, en 1992. Mais depuis, les feux des médias se sont envolés loin du pays. Bien que la situation humanitaire ne s’y soit jamais améliorée, et n’ait, au contraire, fait que se dégrader.

Les crises alimentaires à répétition, liées à la fois aux conditions climatiques défavorables, et à la persistance de la guerre civile, sont aggravées par le fait que les humanitaires sont fréquemment visés par les miliciens. Des attaques parfois mortelles qui ont conduit de nombreuses ONG à mettre un terme à leurs activités dans le pays pour ne pas mettre en danger la sécurité de leur personnel.

A l’exemple du Programme Alimentaire Mondial qui a été contraint de suspendre ses activités à plusieurs reprises, bien qu’une grande partie de la population dépende des vivres qu’il distribue. En somme, l’insécurité empêche donc le déploiement de l’aide à destination de populations qui en ont cruellement besoin.

Une insécurité omniprésente

Crédit CT Snow
Les milices et seigneurs de guerre sont loin d’être les seuls à venir perturber le paysage somalien… Ainsi, en mer, depuis une dizaine d’années, il est régulièrement fait report d’attaques de pirates au large des côtes de la Somalie. 

Mais dans l’insécurité ambiante qui règne dans le pays, c’est surtout la milice Al Shabaab qui joue un rôle particulier. Ce mouvement islamiste radical proche d’Al Qaida est composé de Somaliens, mais aussi de centaines d’étrangers venus renforcés ses rangs à l’instar de Tchétchènes, de Pakistanais, ou de Somaliens de la diaspora, tous musulmans appelés à combattre au Jihad. Al Shabaab rassemble ainsi en son sein des fondamentalistes qui voudraient prendre le pouvoir sur l’ensemble du territoire et y imposer la charia. 

Au départ, l’arrivée de la milice a été vue d’un bon œil par la population : son apparition coïncidait avec une disparition des viols et pillages dus aux seigneurs de guerre, grâce à l’application de la charia. Mais très vite les islamistes ont entendu imposer des conditions de vie très rigoureuses et ont commencé à tuer tous ceux qu’ils ont pu considérer comme mauvais musulmans, imposant de fait un régime de terreur dans la majeure partie du sud du pays qu’ils contrôlent depuis fin 2008.

Si Al Shabaab a connu des revers majeurs depuis fin 2011, laissant entrevoir un certain espoir de le voir battre en retraite, plus que jamais le groupe fait à nouveau parler de lui depuis quelques mois. Le 8 juillet, le groupe annonçait ainsi avoir pris le contrôle du palais présidentiel comme pour prouver sa toute puissance. Pire, il semble même aujourd’hui parvenir à s’étendre au delà des frontières somaliennes… On se souvient ainsi de l’attentat contre le centre de Westgate à Nairobi en septembre 2013 qui avait fait plus d’une soixantaine de morts.

Un manque cruel d’informations

Mais ces quelques bribes d’informations sur la situation actuelle dans le pays ne masque pas la réalité : ce qui caractérise avant tout aujourd’hui le paysage somalien est le manque cruel d’informations. En effet, au vu de l’insécurité et des nombreuses rivalités qui règnent dans le pays, les journalistes sont très limités dans leurs mouvements et ne peuvent couvrir tout le territoire. 

Rien que dans la capitale ils doivent toujours se faire escorter de miliciens pour assurer leur sécurité, et les occidentaux sont rares à opérer sur place. Les locaux sont quant à eux encore plus limités dans leurs actions, car des pressions permanentes sont faites sur leur vie et celles de leurs proches s’ils soulèvent certains sujets. 

Les journalistes ne pouvant pas pleinement exercer leur métier, peu d’informations libres et indépendantes sont disponibles pour traduire la situation en Somalie. Et peu de médias occidentaux choisissent de se faire l’écho des nouvelles du pays. Comme si le silence était un ultime signe du chaos de l’emblématique Etat failli…