Serbie : Nova stranka, nouvelle couleur sur l’échiquier politique

Rada Petrovic
5 Septembre 2013


En avril 2013, un nouveau parti politique, Nova stranka a fait son entrée sur la scène politique serbe. Le Journal International a rencontré son fondateur et président, Zoran Živković, ancien Premier ministre après l’assassinat de son prédécesseur, Zoran Đinđić, qui s’explique sur les raisons de la formation de ce parti, l’actuelle situation politique ainsi que sur la signification du concept d’« ouverture ».


Crédits photo -- Tanjug
Zoran Živković a été actif en politique entre 1992 et 2004, date à laquelle il s'est retiré, persuadé que les fondations d’un État démocratique avaient été posées. Neuf ans plus tard, il a cependant décidé de revenir en politique, expliquant qu’après le chaos des années 90, durant lesquelles ont eu lieu les événements les plus marquants de l’Histoire moderne de la Serbie, qu’ils soient heureux ou tragiques, il s’était retiré en pensant que la transition continuerait. Il pensait ne revenir que dans un seul cas de figure, « qui s’est malheureusement réalisé aujourd’hui : la Serbie est redevenue le pays qu’elle était dans les années 90 ».

Lorsqu’on observe l’actuelle scène politique serbe, on se rend compte que les principaux acteurs sont restés les mêmes que durant les années 90, avec parmi eux le Président Nikolić, le Premier ministre Dačić, le vice-Président du gouvernement Vučić, Jorgovanka Tabaković, M. Mrkonjić ainsi qu’au moins autres 20 autres personnes. Ce régime a eu un impact négatif sur les jeunes générations qui vivent ainsi dans des conditions anormales par comparaison au reste de l’Europe de la fin du XXème siècle et du début du XXIème. « La même inaction, la même absence de réformes nécessaires et de fermeté », ont contribué à l’idée de former ce parti, a déclaré Zoran Živković« un parti qui essayera d’avoir la même énergie, les mêmes compétences et le même courage qu’a eu le Parti Démocrate (DS) de Zoran Đinđić, sous lequel j’ai eu le privilège d’être vice-Président ».

Nova stranka s’adresse principalement aux électeurs pro-européens qui, après avoir été embarrassés et déçus par leurs choix, se sont rabattus sur l’abstention, très élevée lors des dernières élections. Il explique : « Il existe environ 2,5 millions d’électeurs qui pourraient potentiellement voter pour une Serbie européenne et libérale, et 2,5 millions de plus qui pourraient voter pour une Serbie des Balkans et conservatrice. Notre objectif est de convaincre 300 000 votants (environ 10 % de l’électorat), par notre travail, notre campagne et nos actions, de voter pour nous ».

Qu’est-ce qui différencie Nova stranka des autres partis ?

Les partis ont été formés à partir de ceux déjà existants il y a plus de vingt ans auparavant, et trois ou quatre principaux parties composent l’actuel échiquier politique. La principale différence est que Nova stranka est un parti totalement nouveau, dont la majorité des membres n’étaient pas engagés en politique avant, d’où son nom Nova stranka (en français : nouveau parti). C’est un symbole de l’idée phare de modifier l’actuelle perception de la politique grâce à une énergie propre et fraîche et à de nouveaux individus, car les anciens ont été particulièrement ternis, souillés par le populisme, et privilégient leurs intérêts personnels.

Sur la gauche de l’échiquier politique, les partis « se noient » dans la démagogie et radotent à propos de l’État providence, alors que les faits montrent que les leaders se sont enrichis de manière criminelle sur les 10 dernières années. A droite, les partis se disent conservateurs, et continuent aujourd’hui, au XXIème siècle, à pratiquer la forme la plus primitive de chauvinisme. Zoran Živković précise : « Nous nous définissons comme un parti du centre, ce qui nous différencie des autres ; nous sommes catégoriquement pour le capitalisme et le libéralisme du marché, la protection des Droits de l’Homme, la nomocratie, pas simplement sur le papier comme la majorité des partis mais également dans la réalité. Nous avons adopté des programmes et des réformes politiques, économiques et légaux nécessaires à un fonctionnement « normal » de l’État ».

Dans le pays où le Kosovo semble être l’unique question, certes importante mais qui sera réglée progressivement, aucun des sujets importants de la vie quotidienne des citoyens n’est abordée : l’économie, la culture, l’éducation… Nova stranka semble prendre l’initiative sur ces sujets : « Dans nos programmes et réformes, nous proposons notre vision des résolutions stratégiques de ces questions. Il est crucial de renforcer le vrai secteur de notre économie, le secteur privé, d’achever le processus de privatisation (question inabordable en Serbie) et de faire de notre pays, un État capitaliste et libéral. Chose qui entraînera par la suite la liberté de création, et le cadre légal offert par l'État qui doit également arbitrer ce marché. Il est clair que nous sommes pour le libéralisme du marché et le renforcement de la concurrence dans l’éducation, l’assurance maladie et la culture, secteurs dans lesquels l’État devrait investir plus ».

En ce qui concerne le Kosovo, Živković rappelle qu’il s’agit d’une question sensible et douloureuse mais presque résolue. Il reste cependant très difficile de résoudre d’autres questions importantes ; Zoran Živković déclare que le nouveau gouvernement, qui « a changé de vêtements, ôté son šajkače (1) et s’est rasé la barbe », n’avait traité aucune question hormis celle du Kosovo l’année passée. Il remet en question sa fonction et son organisation, car chacun des 20 ministres qui forment le gouvernement s’est uniquement impliqué sur ce dossier, alors que certains d’entre eux, tels que le ministre de l’Agriculture ou de la Culture, n’en avaient pas nécessairement besoin. Sur les autres sujets, Zoran Živković indique qu’il n’y a eu aucune avancée probante, excepté la lutte contre la corruption, bien que sélective, et un accord passé avec Priština.

Les conséquences de l’héritage des années 90

Afin de mieux comprendre la complexité de l’actuelle structure politique et le rôle d’un public critique dans la vie politique, il faut d’abord se replonger dans les années 90. À l’époque du régime de Milošević, l’élite intellectuelle en a été le complice, de manière active ou bien passive : le vice-Président du parti de Milošević en était issu, et cette élite a toléré des crimes qui ont réduit les rangs du parti adverse, le Parti Démocratique, les opposants au régime étant pro-européens. De plus, le sentiment de dégoût vis-à-vis de la politique et une certaine saturation ont provoqué l’actuelle absence d’une élite intellectuelle et du contrôle exercée par celle-ci sur les leaders politiques. Par conséquent, on peut maintenant observer la formation d’une « caste » protégée de toute influence nationale extérieure.

Zoran Živković va plus loin : « Durant les 10 dernières années, l’impact de Bruxelles, Washington ou de Moscou a été plus important que celui de la critique de l’opinion publique nationale. Parmi les rangs de Nova stranka, on compte de nombreux intellectuels qui n’étaient pas engagés en politique auparavant, mais qui ont reconnu la possibilité et le besoin d’exprimer leur activisme et leur volonté. Des intellectuels appréciés ont créé l’ensemble de notre programme. Il est important qu’une opinion critique indépendante existe, qu’elle émane d’intellectuels, de professionnels ou d’autorités morales, pour donner un avis critique sur les leaders politiques. Sans cela, sans médias indépendants, sans une opposition sérieuse, cohérente et non corrompue, notre société ne peut faire aucun progrès ». Cependant, le constat est amer : avec l’absence d’une élite intellectuelle, les médias sont à 99 % sous l’influence de certains partis politiques ou sont achetés par des oligarques selon les orientations politiques de ceux-ci.

« De nouvelles personnes pour que Niš soit une ville meilleure » | Crédits photo -- Page Facebook officielle Nova Stranka


La corruption vue par Nova stranka

L’idée phare a, pendant longtemps, été la lutte contre la corruption. Le taux de corruption a cependant extrêmement augmenté et a même dépassé celui, déjà très élevé, de l’époque Milošević. La corruption est devenue un véritable mode de vie, socialement acceptable. Zoran Živković développe : «  Il est courant d’apporter un « cadeau » lorsqu’on se présente dans une institution, une école, un hôpital ». Comme le programme du parti le suggère, de sérieuses mesures doivent être prises pour lutter avec succès contre cette corruption. La première d’entre elles est la tolérance zéro : « Durant l’exercice de ma fonction de Premier ministre, pendant lequel trois mois étaient dédiés à la campagne pour l’élection, trois mois à l’ « opération Sablja » (2), et donc trois mois au gouvernement « normal », j’ai renvoyé trois ministres et quatre autres personnes sur simple suspicion, même si leur innocence a été prouvée par la suite ».

En tant qu’exemple limpide de corruption, il cite l’entreprise publique de distribution d’électricité, EPS, dont « le directeur verse 10 millions d’euros à ses conseillers alors que ses locaux emploient plus d’experts que les instituts serbes ». La deuxième mesure est la transparence en toutes circonstances, toutes les procédures et les acquisitions devant être rendus publiques et totalement transparentes : concours, offres, conditions sous lesquelles une personne ou une entreprise est désignée meilleur acheteur… Cependant, cela semblerait simple si l’exception qui confirme la règle n’existait pas. De plus, cette mesure exempt les petits achats de procédure publique d’acquisition, ce qui permet de diviser tous les achats en plusieurs petits achats afin d’éviter la procédure.

L’autre sujet au cœur de l’actualité serbe est relatif aux perspectives européennes. La question mérite cependant d’être posée : la société serbe et l’organisation actuelle sont-elles suffisamment préparées au processus d’intégration européen ? Depuis 1804 (le premier soulèvement serbe), le pays a toujours été divisé entre conservateurs orientaux et libéraux occidentaux, les premiers l’ayant le plus souvent emporté. Il peut être surprenant d’apprendre que durant la même période historique, les personnalités les plus influentes du siècle des Lumières serbe, Dositej Obradović et Vuk Stefanović Karadžić, ont étudié à Vienne, Trieste, Berlin, ainsi que bien d’autres intellectuels et étudiants qui ont acquis leur savoir à l’Ouest : en Allemagne, France, Suisse.

Aujourd’hui, le monument d’amitié franco-serbe se dresse au cœur de la capitale serbe. Après la Seconde Guerre mondiale, les citoyens se sont tournés vers l’Ouest pour chercher du travail. Ainsi, la Serbie et ses citoyens ont toujours penché plutôt vers l’Ouest, mais l’administration publique du pays vers l’Est. Zoran Živković souligne que des réformes doivent impérativement être menées, ce qui est facilement réalisable, à condition d’avoir la volonté politique de les mener, mais l’absence de réformes remonte à 2001-2002, lorsque le groupe dédié à la réforme de l’administration publique a mis fin à ses activités du fait de la cessation de fonction de Zoran Živković. Depuis lors, l’administration a doublé, l’efficacité a diminué et la corruption est quatre fois plus répandue. Au vu des plans militaires et de sécurité et de l’implication dans des organisations internationales, la suite logique du rapprochement vers l’Ouest est donc d'obtenir une place à l'OTAN. Le cas serbe présente une spécificité : les bombardements de l’OTAN sur le pays en 1999, une blessure qui ne s’est pas refermée pour la société serbe. « Bien que je sois l’un des plus farouches opposants au régime de Milošević, cela n’était en rien une réponse adéquate à sa politique, car les citoyens serbes, ceux opposés au régime, ont été punis et pas lui. Les coûts engendrés et le caractère récent de cette expérience vont repousser l’adhésion permanente pour un temps encore. »

En fin de compte, l’un des sujets les plus essentiels décrit par Zoran Živković est la jeunesse serbe. Pour lui, ils sont ceux qui ont le plus de raisons de s’engager en politique car ils ont été l’une des plus grandes victimes des événements de ces 20 dernières années. Ces générations sont celles de la guerre, celles qui sont nées et qui ont grandi au milieu des sirènes, des bombardements, de la pauvreté, des sanctions, de la destruction de l’héritage culturel serbe et de l’anéantissement des systèmes de valeurs. C’est pourquoi nombre de jeunes présentent un dégoût logique de la politique, perçue comme sale, indécente, corrompue et primitive. Zoran Živković insiste sur le fait qu’il est dans l’intérêt des jeunes de commencer à prendre part à la vie politique et de changer de direction pour améliorer la situation, de remplacer les vieux politiciens usés et corrompus. « C’est pourquoi le message que j'adresse aux jeunes est de participer à la vie politique, et d’essayer d’améliorer la société avec leur droiture, en faisant passer l’intérêt général avant l’intérêt personnel », invite Zoran Živković en précisant qu’un forum de la jeunesse, où ils peuvent exprimer leur activisme politique, existe au sein du parti.

Reste à voir quel chemin cette nuance tracera dans la vie politique serbe.

(1) šajkače: la šajkača est le chapeau traditionnel serbe et est symbole de nationalisme.

(2) Operacija Sablja en serbe, « opération sabre » en français : opération lancée après l’assassinat du Premier ministre Zoran Đinđić en 2003, ayant instauré l’état d’urgence dans le pays pour retrouver les auteurs du crime. Elle a notamment conduit au démantèlement de groupes mafieux.