Crédit Jake Lee Yin Wai
Afin d’appréhender la situation actuelle à Hong Kong, il faut comprendre comment le système politique actuel en est arrivé à son état présent. En 1842, après la guerre de l’Opium, Hong Kong devient une colonie britannique, pour une durée de 150 ans. En 1984, lors des discussions sur la rétrocession des territoires, le gouvernement chinois s’engage à maintenir le système économique et législatif, instaurant la Hong Kong SAR (Special Administrative Region) qui garantit à la région des relations semi-autonomes, connu sous le nom de « un pays, deux systèmes » avec la RPC. Et, en théorie, ne gardant quant à elle, que les privilèges de contrôle des Affaires étrangères, et de la Défense.
Depuis lors, les Hongkongais se sont vus attribuer, pour les législatives de 2014, le droit d'élire au suffrage universel la moitié des 60 membres du Conseil législatif, tandis que des collèges professionnels élisaient l’autre moitié. L’exécutif quant à lui est détenu par le Chief Executive. Depuis la rétrocession, la charge de nominer et d’élire ce dernier revient au Election Committee, composé de 1200 membres, et qui représente les intérêts de Pékin.
Une « fausse démocratie »
Les élections de 2017 se rapprochant, certains propos de la Basic Law adoptée en 1990 et qui sert de « constitution » à Hong Kong, ont à nouveau vu le jour. Notamment la partie disposant qu’en 2017, le Chief Executive pourrait être élu au suffrage universel. En effet, l’article 45 indique que « le but ultime est la sélection du Chief Executive par le moyen du suffrage universel après avoir été nominé par un large comité représentatif, en accord avec des procédures démocratiques ». Certains citoyens de Hong Kong ont donc commencé à exiger de la RPC de respecter ceci et d’instaurer un vote du représentant de la région au suffrage universel.
Crédit Lucie Ripoll
Au 31 août dernier, Pékin a officiellement publié que le Chief Executive serait bel et bien élu au suffrage universel, mais que les candidats seront limités à deux ou trois, approuvés par le gouvernement chinois avant de pouvoir se présenter. Cette déclaration a conduit une certaine partie de la population à exiger une « vraie démocratie ».
Ce terme ici n’est pas à confondre avec une démocratie directe ou semi-directe, il s’agit tout simplement de pouvoir choisir librement et sans contrainte leur représentant exécutif. Même si le contrat ne constitue en aucun cas une garantie sur l’avènement du suffrage universel en 2017, ni ne montre la façon dont le suffrage universel devrait fonctionner ; ce terme étant très vague lui aussi et pouvant être interprété de multiples façons ; la population hongkongaise a réussi à se rassembler autour de ces demandes pro-démocratiques et à former un mouvement social considérable.
Le mouvement étudiant et la semaine du boycott des classes
Les unions étudiantes des différentes universités de Hong Kong, formant la Student Union, ont donc décidé, suite aux déclarations de Pékin, de manifester pendant une semaine et d’exiger une « vraie démocratie » de la part de la RPC. Du 22 au 26 septembre, un certain nombre d’élèves ont boycotté les cours pour se rassembler à différents endroits et manifester, notamment devant la Chinese University et au Tamar Park devant le bâtiment gouvernemental.
Crédit Jake Lee Yin Wai
Ces cinq jours ont été marqués par des conférences publiques et des discours durant lesquels ils ont voulu transmettre aux gens les problèmes qui persistent à Hong Kong. Comme le dit Felix, un étudiant en philosophie, « Il y a beaucoup de discours sur le fait que le gouvernement est mauvais, mais pour ma part je ne peux pas apporter plus de précision sur ce point. Mais avec juste une conférence je sais maintenant comment le gouvernement fait de grands bénéfices avec la propriété foncière et que suite à la mauvaise des territoires de la part du gouvernement, beaucoup des gens ont des difficultés d’acquérir des logements. » Il continue en disant que l’Etat ment sur le fait qu’il n’y ait pas assez de territoires constructibles et qu’en gardant un faible nombre à l’accessibilité de ces derniers, il peut ainsi faire augmenter le prix du foncier.
Cela n’est qu’un des nombreux problèmes qui pourrait être résolu par un représentant élu par les Hongkongais. D’autres problèmes comme de fortes inégalités de richesse au sein de la population, renforcés par un gouvernement majoritairement concentré sur la croissance économique sont aussi dénoncés par les manifestants. Le but des de ces manifestations étudiantes était de sensibiliser le public à propos de ces sujets et de les persuader qu'il existe un moyen de protester contre ces problèmes.
C’est pour cela que cette semaine a été marquée par un caractère pacifique. « Il est de notre responsabilité, de notre de devoir ,de nous battre pour notre futur » a confié un étudiant, avant d’ajouter : « si ce n’est pas nous, personne d’autre ne le fera ». Néanmoins les différentes unions étudiantes ont exigé des explications du Chief Executive ou ils se verraient forcer de continuer les manifestations. Ainsi, vendredi soir, les manifestants, encouragés par le soutien de plusieurs milliers d’étudiants du secondaire, ont pris l’initiative d’entrer par effraction dans le hall du bâtiment gouvernemental où, au samedi matin, le 27 septembre, ils ont été arrêtés par la police.
La « révolution des parapluies »
L’organisation Occupy Central with Peace and Love a saisi l’occasion pour se joindre aux manifestations étudiantes. Ses membres se sont rassemblés autour du bâtiment du gouvernement afin de montrer leur soutien aux étudiants, et demander leur libération. Dès leur arrivée, la police a tenté de les repousser au moyen de gaz lacrymogènes. Du fait de la retransmission en directe sur les chaînes de télé hongkongaises, l’indignation est montée rapidement au sein de la population. Pour dénoncer cette violence et montrer un soutien aux manifestants, une partie a rejoint les rassemblements. Dimanche, ils étaient ainsi plusieurs dizaines de milliers de personnes à occuper une portion de l’autoroute devant les bâtiments gouvernementaux, gardés par la police.
Crédit Lucie Ripoll
Le lundi, la diffusion des images de la veille et la violence de la réaction policière, ont entraîné une augmentation de la foule. Elles ont aussi montré l’inefficacité des gaz lacrymogènes contre les manifestants qui sont revenus toujours plus nombreux les bras levés afin de symboliser leur pacifisme. Cette augmentation progressive des manifestants n’est pas sans lien avec la violence policière : beaucoup se sont joints à eux pour exprimer l’indignation contre ces pratiques.
Le lien entre actions policières et manifestants toujours plus nombreux explique l’ordre aux policiers d’adopter une attitude passive, ce qui a permis l’occupation par la foule du Tamar Park et du Civic Square, deux bâtiments gouvernementaux. Lundi et mardi ont vu l’augmentation du nombre de manifestants, toujours dans le calme, avec une présence policière minimale. Les lieux d’occupation se sont aussi diversifiés : les quartiers de Central, Admiralty, Causeway Bay et Mongkok se sont vus pris d'assaut par les manifestants.
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L’organisation est très importante : distribution d’eau et de nourriture pour les manifestants par les étudiants notamment. Le soir surtout les gens se rassemblent pour des « sit-in » un peu partout, occupant ainsi l’espace. Le mardi, des familles ont même été vues sur les lieux, montrant le caractère non-violent du mouvement. Cela est cependant loin d’induire le succès du mouvement.
Pourquoi la situation ne va pas être un nouveau Tiananmen
Pour rappel, Tiananmen est la place, où en 1989, le gouvernement chinois avait mis fin à des manifestations pro-démocratiques en envoyant son armée en direction de cette place. Des étudiants et d’autres manifestants occupaient cette place depuis sept semaines et il y eut une centaine de morts. Les chiffres exacts ne sont pas accessibles et l’événement est démenti par Pékin.
Cet événement, ainsi que les nombreux exemples de prisonniers politiques médiatisés sont ancrés dans les esprits occidentaux. Néanmoins plusieurs facteurs contredisent toute possibilité d’une évolution des événements vers un tel scénario. Le premier est la situation spécifique de Hong Kong comme ville internationale. Parmi ses sept millions d’habitants, un certain nombre sont des gens venus d’à travers le monde entier, ce qui fait de Hong Kong une ville interconnectée à travers le monde, plus que certaines autres villes chinoises.
Cet événement, ainsi que les nombreux exemples de prisonniers politiques médiatisés sont ancrés dans les esprits occidentaux. Néanmoins plusieurs facteurs contredisent toute possibilité d’une évolution des événements vers un tel scénario. Le premier est la situation spécifique de Hong Kong comme ville internationale. Parmi ses sept millions d’habitants, un certain nombre sont des gens venus d’à travers le monde entier, ce qui fait de Hong Kong une ville interconnectée à travers le monde, plus que certaines autres villes chinoises.
Crédit Lucie Ripoll
Le deuxième est l’énorme présence médiatique, aussi bien professionnelle que individuelle. Il y a beaucoup de journalistes présents sur place qui garantissent un certain contrôle de la situation. De plus, Hong Kong étant la ville où tout le monde possède un smartphone, le gens eux-mêmes, sont constamment en train de prendre des photos et des vidéos. On a juste besoin d’analyser le buzz que les images du dimanche a créé et les comparer aux images du lundi et du mardi qui n’étaient plus si présentes pour comprendre que la Chine va dorénavant éviter ce genre d’escalade.
La dernière chose dont la RPC a besoin, c’est d’un martyr qui réussisse à unir la population hongkongaise encore plus et à la mettre en rage, comme c’était le cas en Tunisie. Selon un professeur de l’université de Hong Kong, utiliser la force pour contrer les mouvements sociaux n’est pas la manière de faire en Chine. A part le « dérapage » du dimanche soir, la politique de la Chine est de laisser faire. Les mouvements sociaux, s’ils ne rencontrent personne qui réagit vis-à-vis de ses propos, ont tendances à s’évaporer. Les gens vont commencer à s’en lasser et vont vouloir retourner à leur quotidien. Voilà la politique de la Chine ces dernières années vis-à-vis des mouvements contestataires.
Qu’est-ce que le suffrage universel changerait à Hong Kong ?
Pour les Hongkongais, le suffrage universel ne serait qu’un moyen de résoudre d’autres problèmes. Ils sont las des développements qui ont touché la région ces dernières années. Selon eux, la politique appliquée par le gouvernement de Hong Kong assimilerait de plus en plus la ville avec la Chine. Le gouvernement ne s’occuperait que de la lier de plus en plus avec le reste du pays. La population voit ces développements comme des pas en arrière, et pas en avant. Leurs droits, qui les distinguent foncièrement du reste du pays, seraient en danger. Ce qu’ils veulent, c’est un gouvernement qui se préoccupe de leurs besoins, et qui ne fait pas simplement ce que la RPC lui demande.
L’inégalité de richesse mentionnée plus haut est accrue par la politique pro-chinoise du gouvernement, qui cherche essentiellement à avantager les classes supérieures afin de s’assurer de leur soutien politique, au détriment des plus démunis (pas de sécurité sociale, système de santé inégalitaire, accès au logement toujours plus difficile, etc.). Les gens se sentent comme si leur voix ne comptait pas. Et c’est avec le suffrage universel qu’ils veulent se faire entendre. Le suffrage universel ne serait qu’un instrument pour régler d’autres problèmes. Le pouvoir en place serait dès lors forcer de les écouter ; et peut-être même de faire quelque chose contre ces problèmes pour rester au pouvoir. Il est donc faux de dire que les gens vont manifester « seulement » pour le suffrage universel. En fait, c’est tout un ensemble de crises qui mène les gens à se manifester à « haute » voix.
Pourquoi les manifestations ne vont pas aboutir à une « vraie démocratie »
Crédit Julien Jimmy Muller
Les deux organisateurs principaux de cette manifestation, Occupy Central et la Student Union, revendiquent tous deux l’élection démocratique du Chief Executive de Hong Kong. Mais l’aboutissement de telles revendications est vu comme improbable, même au sein des manifestants, avec lesquels j’ai pu échanger. Mais le problème est que la RPC ne va jamais céder à leurs demandes, et la population hongkongaise le sait. Nombreux sont les manifestants qui se sont exprimés de cette manière.
Le problème est que si la RPC cède aux exigences des manifestants, au suffrage universel et à la « vraie démocratie », le pouvoir du représentant de Hong Kong serait trop grand vis-à-vis de Pékin. Il représenterait le peuple de Hong Kong, et pourrait toujours s’y référer, car élu par leurs voix. Il pourrait se positionner contre ce que le gouvernement chinois veux en toute légitimité. Ainsi la RPC perdrait une grande partie de son pouvoir sur un territoire qui est sien. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle la politique appliquée « un pays, deux systèmes ».
De plus, si le gouvernement chinois cède aux demandes, qu’est-ce qui empêcherait d’autres régions du pays à exiger certains droits de leur part aussi. Des régions tel que le Tibet, mais aussi d’autres territoires au sud de la Chine. Céder à la situation de Hong Kong mènerait à un effet boule de neige, et Pékin a déjà assez peur comme ça que le mouvement se propage en Chine continentale. Ce n’est pas pour rien que, pour parler du cas le plus connu, Instagram a été censuré cette semaine, ainsi que le South China Morning Post, un quotidien de Hong Kong, où AppleDaily, qui transmet des images lives en continu des manifestations.
Le problème de la persévérance du mouvement va donc se poser : de quelle manière le mouvement arrivera t-il à perdurer ? De plus, avec l’apparent désintérêt du mouvement par le gouvernement, les manifestants se sentent ignorés, ce qui risque d’étouffer le mouvement par la lassitude. L’absence de réel leadership pour Occupy Central et la Student Union posent également la question de l’évolution : les rassemblements sont énormes, sans qu’une tête émerge pour canaliser les énergies, ni la prise de décision réelle au sein des manifestants. Cela rend la création d’une tactique d’évolution des protestations peu probable.
Mais ces manifestations ne seront pas vaines, et certaines négociations avec Pékin sont à prévoir concernant les élections de 2017. Cela n’aurait pas été possible sans l’occupation actuelle.