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Malgré des relents traditionalistes, la législation russe compte parmi les plus libérales au monde en termes de droit à l’IVG. À l’heure où les Espagnoles se heurtent à un durcissement des conditions d’avortement, le droit russe l’autorise jusqu’à 12 semaines de grossesse (comme en France), 22 pour raison médicale ou en cas de viol.
Dans la pratique, l’avortement est monnaie courante. Masha, étudiante à Moscou, raconte : « Une amie de ma mère s’est fait avorter parce qu’elle n’avait pas de conjoint. En Russie, avorter, c’est facile, presque normal. On a le choix entre hôpital public (gratuit) et cliniques privées. Dans aucun cas le médecin n’a le droit de refuser. » Bien sûr, une fois les délais dépassés, certaines n’hésitent pas à pratiquer l’IVG clandestine (5 à 12 millions par an d’après Elena Mizoulina, Présidente de la commission pour la famille, les femmes et l'enfance à la Douma)... Mais pas besoin de franchir les frontières, il suffit de se rendre dans les petites villes de province.
Masha n’a jamais eu de cours d’éducation sexuelle ; une fois seulement une gynécologue est venue distribuer des livres aux filles de sa classe. Bien que les jeunes connaissent l’utilité du préservatif et de la pilule, un rapport de l’ONU publié en 2002 révèle que seule une Russe sur quatre utilise un contraceptif. Anatoly ajoute : « Mais parfois, l’ignorance est totale… Certains n’en ont tout simplement rien à faire ! »
C’est que la révolution socialiste a fait de l’URSS l’un des premiers pays à légaliser l’avortement. Mais malgré cet héritage, la ligne idéologique actuelle a changé. La volonté politique aussi.
Une politique démographique timorée
Lors de la campagne présidentielle de 2004, Vladimir Poutine propose un plan de relance démographique. Il s’agit de donner à la Russie les moyens d’exercer sa puissance alors que le taux de natalité est en chute libre depuis l’implosion de l’Union soviétique.
Ainsi, en 2011, la Douma rejette un projet d’interdiction de l’IVG sans raison médicale ou viol. À l’automne dernier, une proposition de loi visant à supprimer la gratuité de l’acte dans les hôpitaux publics est bloquée. À ce jour, la seule mesure restrictive demeure l’interdiction de publicité pour l’avortement depuis octobre 2013. Une goutte d’eau.
La pression de la politique démographique ? Les jeunes ne la sentent pas. Darya nuance : « L’avortement reste stigmatisé, c’est la punition d’un comportement irresponsable. »
Le poids de l'église orthodoxe
Pourtant, ce n’est pas l’opinion publique qui fait obstacle à la politique du gouvernement. D’après la Rossiyskaya gazeta, en 2011, 46% des russes se déclarent hostiles à l’IVG, contre 25% des Français. Masha confie : « La jeunesse russe a du mal à l’avouer, mais elle est largement influencée par l’église orthodoxe. Pour moi, personne n’a le droit de tuer un être humain. Mais je ne condamne pas les femmes qui avortent : c’est un choix personnel qu’il faut laisser à l’appréciation de chacune. »
Il ne s’agit donc ni d’un sujet clivant pour les partis, ni d’un tabou : si les médias en parlent peu, c’est plus par désintérêt que par interdit. Darya s’amuse : « Ma mère prétend que le sexe n’existe pas ! En URSS, c’était une idée répandue ; heureusement, ce n’est plus le cas aujourd'hui ! »
Finalement, malgré une opinion à demi réfractaire, l’avortement n’est pas un sujet de dissensions au sein de la société russe : le libre-arbitre est roi. Daria a beau considérer l’avortement comme un meurtre, elle n’en ajoute pas moins : « L’IVG, reste un choix qui ne concerne que toi, personne ne peut prendre cette décision à ta place. »