Certaines personnalités politiques d'extrême-droite n'hésitent pas non plus à instrumentaliser les peurs liées à l'islam, à l'image du sénateur Tomio Okamura. « Acheter des kebabs est une première étape vers l'imposition de la charia en République tchèque. Chaque kebab acheté finance une burqa », avait récemment déclaré ce dernier. Des propos largement dénoncés, notamment au sein de la sphère politique, qui ont d'ailleurs conduit à son exclusion du parti Aube de la démocratie Direct.
Des peurs attisées par l'ignorance et les événements internationaux
Néanmoins, les discussions sont devenues plus virulentes ces cinq dernières années. « La République tchèque adopte habituellement les tendances économiques, sociales et politiques de ses pays voisins. Comme les débats concernant l’islam ont pris de l'ampleur dans les pays européens ayant une minorité musulmane importante, comme l'Allemagne, et la France, [le pays] a suivi le mouvement alors que la situation est incomparable », explique Adisa Avdic, professeur à l'Université Métropolitaine de Prague.
Pour certains, cette intolérance est liée à l'ignorance qui prévaut au sujet de la religion musulmane et au rôle joué par les médias. « Parler de l'islam comme une menace est absurde, surtout en République tchèque... », estime V. Sanka, musulman. « Mais je peux comprendre les craintes des Tchèques, car ils n'ont que peu de contacts avec la communauté musulmane, dans la mesure où celle-ci est très réduite. Ils n'entendent parler de l'islam qu'à travers les attaques terroristes présentées par les médias. Il y a un manque de connaissances et d'échanges sur la religion musulmane dans ce pays », ajoute-t-il. Pour d'autres, la montée de l'organisation de l'État islamique ou encore l'attaque contre Charlie Hebdo expliquent en partie l'image négative des musulmans.
« Il existe une vraie crainte des politiciens de se positionner sur l'islam »
Si la crainte de l'islam n'est pas encore assez forte pour constituer un enjeu majeur lors des élections, « il y a de grandes chances que de plus en plus de gens mordent à l’hameçon dans le futur », insiste Hassan Ezzeddinen, journaliste libanais basé à Prague.
Selon ce même journaliste, les pouvoirs publics sont hésitants concernant la question de l'islam : « Bien qu'il existe des initiatives, il existe une vraie crainte des politiciens de se positionner sur ce débat. Dans le contexte actuel, c'est une patate brûlante dont personne ne veut s'emparer. »
En 2014, le gouvernement a approuvé un programme appelé Les musulmans vus par les Tchèques, mis en place par des orientalistes et financé par l'ambassade américaine de Prague. Le but est de présenter les bases de la religion musulmane dans les lycées, afin de lutter contrer l'islamophobie. Des protestations ont aussitôt éclaté, dénonçant une « forme de prosélytisme déguisé », et le gouvernement a dû faire marche arrière. Le programme continue néanmoins dans certaines écoles, sans l'aval du gouvernement.
En avril 2014, un raid policier a été organisé dans les deux centres islamiques de Prague. « Des policiers ont débarqué durant la prière du vendredi, lorsque que la salle était bondée. Ils nous ont fait allonger sur le sol, en nous menaçant avec des armes, puis ont saisi des ordinateurs et des documents divers » témoigne V. Sanka, présent ce jour-là. Les raisons officielles avancées concernaient la traduction d'un livre controversé -Les bases du Tawhid : Le concept Islamique de Dieu-, un ouvrage propageant le racisme, l'antisémitisme et des idées xénophobes, selon les autorités.
Ce raid n'était pas justifié pour autant, d'après le journaliste Hassan Ezzeddinen. « Ce livre date de plusieurs années et les autorités savaient parfaitement qui l'avait traduit. De toute évidence, il s'agissait d'un coup de communication durant une période d'élection », estime-t-il. L'incident a fait du bruit dans les médias. L'action a été vivement dénoncée, y compris par les autorités chrétiennes, et une contre-manifestation a été organisée pour protester contre ce raid.
L'islam, une religion ultra-minoritaire en République tchèque
Sur les 10 000 musulmans que compte le pays, 3 000 sont pratiquants, pour la plupart sunnites. Leur présence est très récente, puisque la très grande majorité d'entre eux sont des immigrés venant de Bosnie-Herzégovine, des pays de l'ancien bloc soviétique, du Moyen-Orient ou encore du Maghreb. Ils ont généralement un niveau d'études relativement élevé.
L'islam est enregistré officiellement comme religion en République tchèque depuis 2004, mais a dû attendre dix ans de plus pour être éligible à certains droits et subventions. Ainsi, la communauté musulmane ne bénéficie pas encore des mêmes droits que les autres religions enregistrées par l'État (juive et chrétienne). Elle ne reçoit aucune aide financière publique, n'est pas autorisée à ouvrir des écoles et n'a pas le droit d'envoyer des aumôniers musulmans dans les prisons et bases militaires. Les mosquées sont par ailleurs interdites de construction. Le premier centre islamique, prévoyant des salles de prières, a ouvert ses portes à Prague en 1999, et encore aujourd'hui, les lieux de culte musulmans restent rares dans le pays.