Crédit Auriane Guiot.
Comment définir la réalité virtuelle ? Il ne faut pas la confondre avec la réalité augmentée, dans laquelle on ajoute des éléments au réel. La réalité virtuelle constitue un monde totalement à part du nôtre. Aujourd’hui, les développeurs et experts tentent de concilier réalité virtuelle et augmentée dans ce que l’on nomme « réalité mixte » : un univers distinct du nôtre, mais avec lequel il entretient une constante interaction.
Que ce soit dans le cadre d’un film, d’un jeu vidéo ou encore d’une chorégraphie, réalité virtuelle et augmentée permettent d’améliorer l’expérience en rendant l’immersion totale et en faisant interagir les éléments des deux mondes. Jusque-là, Internet a permis la démocratisation de l’information ; aujourd’hui, les casques 360 degrés et autres outils de la réalité virtuelle permettraient de « démocratiser l’expérience ». Cette expression, utilisée par l’écrivain de science-fiction Alain Damasio, semble cependant contestable. Comment parler de démocratisation alors que ces technologies restent aujourd’hui très rares ? Selon Adrien M., cofondateur avec Claire B. du projet AM-CB (chorégraphies et spectacles en réalité augmentée), leur accessibilité va se développer à une vitesse comparable voire supérieure à celle du téléphone portable.
Créer des émotions en renvoyant au vécu
La réalité virtuelle n’est pas seulement le prolongement des avancées technologiques réalisées jusqu’à présent. Elle ouvre de nouvelles portes. « La technique n’est plus un outil du langage, elle devient le langage », affirme Claire B. Incomparable donc avec le cinéma en trois dimensions. « [La 3D] devait relancer l’industrie du cinéma, mais c’est en train de s’écrouler » constate Alain Damasio, soulignant que la technologie 3D ne s’est jamais imposée comme annoncée dans le milieu du cinéma. La faute à une utilisation qui n’offrait pas plus d’émotions qu'auparavant. Une fois s’être amusé des effets de surprise de la 3D, trop utilisés pour Damasio, le public s’est rapidement lassé.
S’ils sont plus optimistes pour l’avenir de la réalité virtuelle, c’est parce que celle-ci s’est d’ores-et-déjà inscrite dans un schéma différent de celui de la 3D : la chaîne de production a été fortement impactée. Aujourd’hui, les ingénieurs du son, développeurs et autres intervenants dans le processus d’élaboration sont concertés beaucoup plus tôt, dès la réalisation du scénario. On passe de la verticalité traditionnelle à une horizontalité qui permet de mettre en valeur les spécificités qu’offre chaque métier de la chaîne de production.
Le but est donc d’aller plus loin qu’une simple amélioration des technologies existantes. Par le biais de nouvelles sensations, les experts tentent de créer des émotions. Pour cela, il faut se référer au réel, renvoyer l’utilisateur à des expériences vécues. Il est vrai que l’expérience est frappante : une fois le masque enfilé, il suit chacun de vos mouvements, vous plongeant dans un monde si proche du nôtre que l’on y perd la notion du temps.
Seul hic, après un quart d’heure de visionnage, les yeux fatiguent et un mal de tête apparaît. Les intervenants de l’Institut Français nous rassurent : c’est normal les premiers temps, le cerveau n’y est pas habitué. Antoine Cayrol, d’Okio Studio, rappelle que les premières personnes à avoir pris les trains à grande vitesse en étaient également malades, alors qu’aujourd’hui cela ne provoque plus rien chez la plupart des gens pour qui c’est une expérience totalement commune. Pour l’instant, les mouvements sont donc limités dans les productions, mais il espère que les cerveaux s’y habitueront vite afin de ne plus être limités dans les mouvements, et par conséquent les scénarios.
Des professionnels conscients des enjeux socio-politiques
Non limitée au simple champ du divertissement, la réalité virtuelle ouvre également des perspectives sanitaires et sociales. Dessiner dans l’espace avec la possibilité de se déplacer et d’observer son travail sous tous ses angles pendant son élaboration pourrait faciliter nettement le travail des architectes et des urbanistes. Antoine Cayrol avance qu’elle permettrait de lutter contre Alzheimer, des scientifiques ayant récemment montré que la réalité virtuelle était le premier médium à stimuler le cortex limbique. Elle offrirait par ailleurs des expériences à des individus qui ne pouvaient les réaliser dans le réel à cause d’une contrainte physique (handicap ou éloignement).
Il ne faut cependant pas que des individus se réfugient dans le virtuel en se coupant du collectif. La réalité virtuelle deviendrait alors une addiction néfaste, privant des humains de rapports sociaux. Elle risquerait même de perdre les émotions qu’elle transmettait, puisqu’elles interagissaient avec d’une réalité avec laquelle l’individu perd le contact. Tyron Rubin, fondateur Sud-Africain de la plateforme de projets de réalité virtuelle Sense Virtual, relativise : « je joue au ping-pong avec un Australien ». Le risque d’isolement est donc connu et les professionnels luttent à leurs moyens, en rendant un maximum possible l’intégration de plusieurs personnes à la fois dans un même programme.
De gauche à droite : Tyron Rubin, Antoine Cayrol et Alain Damasio lors de l'European Lab 2016, « table ronde : comment la réalité virtuelle peut-elle augmenter l'expérience culturelle ? ». Crédit Auriane Guiot.
Être plusieurs utilisateurs n’est pourtant pas une protection suffisante. Antoine Cayrol réclame l’ouverture d’un débat politique et juridique sur l’encadrement de ces technologies. Selon lui, si les inégalités continuent de se creuser, les personnes délaissées risquent de se réfugier dans la réalité virtuelle. Elle pourrait aussi devenir un moyen de contrôle politique, par l’isolement. C’est par ailleurs une opportunité d’enrichissement culturel et social pour ces mêmes personnes délaissées. Il estime qu’il serait dommage de simplement la proscrire.
Si l’encadrement de la réalité virtuelle apparaît donc impératif, ce n’est que peu abordé. Pourtant, Antoine Cayrol met en garde : une fois la réalité virtuelle démocratisée, il sera trop tard et nous en subirons les méfaits, comme nous avons par exemple subi ceux d’Internet. Le débat ne concerne d’ailleurs pas seulement le politique mais toute la société : dans la sphère du privé, il faudra aussi veiller au respect des lois. Les parents devront notamment contrôler et maîtriser les pratiques virtuelles de leurs enfants.
La question n’est plus de savoir si la réalité virtuelle va s’imposer ou pas dans la société, mais de comprendre comment elle va le faire et de chercher des solutions pour en garder le contrôle.