Crédit DR
Les élections de mai 2014 étaient censées amorcer la transformation du pays, cependant le système politique reste inchangé un an plus tard. Rongé par la corruption, fragile financièrement, menacé par la Russie, le pays ne semble pas se relever. Ainsi, l’enjeu est double pour le gouvernement de Porochenko. S’il réussit la transition démocratique du pays, c’est toute la région qui s’en trouvera apaisée. Dans le cas contraire, l’instabilité du régime qui dure depuis la chute de l’URSS et empêche toute réforme en profondeur, continuera de déséquilibrer le rapport de force avec la Russie, et renforcera subséquemment les conflits dans la région.
Des acteurs de la démocratie controversés
La population ukrainienne a vu dans les élections post-Maïdan une lueur d’espoir pour cette Ukraine peinant à se débarrasser de ses vieux démons soviétiques. Constamment sujet aux crises politiques depuis la chute de l’URSS et le début de son indépendance, le pays doit réformer ses institutions et lutter contre la corruption. Porochenko, élu à 55,9% à l’issue des élections de mai 2014, a compris l’enjeu que représentait ces réformes tant attendues. Ainsi, il vient officiellement de nommer M. Saakashvili, ancien président de Géorgie, à la tête du Conseil consultatif pour les réformes.
Celui qui était déjà conseiller à « mi-temps » du président ukrainien depuis son élection a désormais pour mission de réformer le pays. Saakashvili est connu pour avoir modernisé la Géorgie, connaissant une situation similaire, durant ses mandats de 2004 à 2007 et de 2008 à 2013. Celui-ci souhaite donc opérer de la même manière en Ukraine. La lutte contre la corruption et contre les lourdeurs administratives propre au régime post-soviétique, et la dérégulation économique - qui consiste en une libération des prix pour encourager la concurrence et l’innovation - ont en effet modernisé les institutions géorgiennes.
Cependant, cela ne sera peut-être pas suffisant pour réformer entièrement le pays. L’Ukraine de 2015 ne présente pas toutes les caractéristiques de la Géorgie des années 2000, et la menace de la Russie doit être traitée comme un problème faisant partie intégrante de la transition démocratique.
De plus, si Saakashvili est considéré comme l’un des plus compétents pour aider les nations de l’ex-bloc soviétique à se relever, sa nomination reste controversée : celui-ci est en effet poursuivi par Interpol en Géorgie pour abus de pouvoir. Il a réussi à réformer le système politique géorgien tout en développant ses tendances autoritaires. Cette situation tend à compliquer les relations entre les deux pays, pourtant liés par leur passé soviétique. L’Ukraine, dans un moment clef de son histoire, n’a pas besoin de se faire de nouveaux ennemis. De plus, les deux voisins interdépendants doivent s'allier contre leur ennemi régional commun, la Russie.
Le conflit régional comme moteur des réformes du pays
La situation démocratique en Ukraine est intimement liée au conflit russe. D’après l’ancien sous-secrétaire général au maintien de la paix Jean Marie Guéhenno, tant que le gouvernement ukrainien n’aura pas réglé le problème de ses provinces séparatistes et de la pression du Kremlin, le régime ne pourra être réformé. Ce constat est aussi valable dans l’autre sens, ce qui rend la situation encore plus complexe.
Pourtant, les accords de Minsk 2 pourraient être une chance à saisir pour Porochenko, s'ils étaient respectés. En plus de demander l’arrêt des combats - pas encore effectif à cette date - et de délimiter les frontières du conflit, Minsk 2 spécifie aussi l’écriture d’une nouvelle Constitution ukrainienne. Cela permettrait au pays d’oublier la Constitution actuelle, écrite en 1996 et fruit de la chute de l’URSS.
La transition démocratique doit aussi se faire au niveau législatif. La Rada suprême, le parlement ukrainien, a récemment fait passer quatre lois visant à « décommuniser » la société ukrainienne. Reconnaître les crimes du soviétisme ne permet pas seulement de s’aligner aux normes internationales ni d’adopter des réformes pro-occidentales, mais aussi d’enterrer le passé communiste pour ainsi se détacher de l’emprise encore prégnante de la Russie jusque dans les mentalités. Pour Alexander J. Motyl, ces lois entrent dans l’ambition plus globale de démocratiser le régime, d’apporter plus de justice face à ces crimes encore sous-estimés.
Contexte de tensions bipolaires
Ces derniers jours ont été marqués par les nombreuses interventions de l’Occident dans la vie politique ukrainienne. L’histoire l’a prouvé, Porochenko a été élu pour obéir aux volontés des manifestations de Maidan, se rapprocher de l’Union européenne et de l’Occident, et logiquement s’éloigner de la Russie. Par conséquent, la transition démocratique ne se fera pas sans les acteurs occidentaux.
L’Ukraine et l’Union européenne ont remis les accords de coopération en vigueur, et les discussions entre les deux partis sont toujours d’actualité. Alors que Jean-Claude Juncker rencontrait Porochenko en début de semaine, la Commission européenne publiait un communiqué de presse stipulant qu’elle allait continuer à aider le pays à se construire, aussi bien de manière financière et économique qu'au niveau énergétique et politique.
Le Canada, derrière Chris Alexander, ministre de l’Immigration, a lui aussi réaffirmé son soutien à l’Ukraine pour une transition démocratique réussie. La Maison-Blanche, quant à elle, a répondu à la demande de Porochenko au sujet des armes létales pour contrer les rebelles pro-russes, par l’envoi de soldats américains censés former les troupes ukrainiennes. Même si le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Pavlo Klimlin, assure ne pas vouloir recourir à l’usage des forces militaires, la menace russe se fait de plus en plus pesante malgré les accords de Minsk 2.
La reprise des discussions avec l’Union européenne a d’ailleurs entraîné un renforcement des violences dans le sud-est du pays, la région pro-russe. Si la Russie tente toujours d’imposer son impérialisme sur le territoire, la transition démocratique en Ukraine sera réduite au statut d’utopie et les États occidentaux tenteront l’ingérence des affaires ukrainiennes pour contrer les menaces du Kremlin. Cette situation aurait presque des allures d’affrontement est-ouest. Certains n’hésitent pas à imaginer une seconde guerre froide si la situation continuait à se détériorer. (Georges Soros, Last chance for Ukraine and Europe, March 30, 2015)