Quand le design se met au solidaire

28 Mars 2013


La 8e édition de la Biennale internationale du design fait virevolter le paysage stéphanois du 14 au 31 mars. Même si certains pensent encore le design comme réservé à quelques BCBG collectionneurs aux maisons épurées, ils se trompent. Bien à eux de se déplacer jusqu'à Saint-Etienne pour comprendre un peu mieux ce qu'est le design. Il y révèle toute son essence : la création empathique. Si cette dernière est prise comme leitmotiv pour l'ensemble de l'événement, l'orchestration est quelquefois si bien réalisée que l'on en oublie l'essence.


@Mailys Facchi
18 jours, 50 expositions, 3 parcours dans la ville, ce sont là les chiffres que la tornade design occasionne actuellement dans la ville de Saint-Étienne et ce jusqu'au 31 mars. Si elle avait fait plus de 85 000 victimes en 2010 lors de la huitième édition de la biennale internationale, on attend encore quelques cars de photographes-amateurs de plus cette année.

Tout juste sortie de la douceur de l'hiver, la biennale met la Stéphanoise sans dessus-dessous. Si elle est victime de ses atouts, c'est qu'elle sait mêler industries et urbanisme au point qu'on lui attribue en novembre 2010, le titre de « Ville UNESCO du Design ». La suivront ensuite dans un style plutôt éclectique (vous en jugerez par vous-même) Santa Fé, Berlin ou encore Nagoya, et neuf autres destinations de rêve pour les pros du design. Avec la création d'une Cité du design et d'un événement international qu'est la biennale, Saint-Étienne se révèle terre d'inventeurs et laisse carte blanche au design jusqu'à ce qu'il se réapproprie entièrement les lieux. Vous pourrez alors, en vous baladant tranquillement dans les vieilles rues, tomber nez à nez avec des créations originales d'artistes dont la notoriété n'est plus à faire, comme par exemple, Assan Smati et ses chevaux bleus devant la gare Chateaucreux. De même, quand les vitrines sont laissées au bon sort du passant, les artistes designers les prennent sous leurs ailes en bons samaritains, et d'un coup de pinceau, redonnent au lieu le souffle de la vie. C'est ainsi que le design se mêle à la ville et lorsqu'il s'y fond au point qu'on ne le remarque plus pour lui-même, le pari est gagné.

Comme à l'époque de Xeusis (Grèce antique), les oiseaux continuent à se prendre au piège. Les grains de raisins représentés sur la toile dans un but illusionniste sont aujourd'hui des art-objets fonctionnels : des tabourets métalliques que les oiseaux escamotent comme perchoirs.

Seulement, si certains mortels ont tendance à souhaiter voir déguerpir ces volatiles, dont, reconnaissons-le, les pattes ne sont pas toujours propres, ils agissent dans une optique contraire à la philosophie des créateurs. S'ils souhaitent voir leur travail se fondre dans le milieu et servir à tous alors, pourquoi pas aux oiseaux?
Si l'on peut faire ce constat et mettre ce partage en avant, c'est que, cette année, la biennale se pare d'une empathie avouée. Cela permet de révéler la question de l'événement et du design dans son ensemble, c'est-à-dire créer selon son propre trait, tout en répondant aux besoins de la vie quotidienne et au confort des acheteurs. Autrement dit, comment les concepteurs parviennent-ils à concilier la diversité de nos usages avec l'évolution de nos envies ? C'est par cette empathie que le philosophe allemand Théodore Lipps désigne l'orientation des créateurs selon laquelle « un observateur se projette dans les objets qu'il perçoit ». Le design veut donc appréhender les sentiments et les émotions de l'Autre pour sa production.

Le design comme conception de la politique ou de l'érotisme

Ettore Sottsass disait : « Le design ne signifie pas donner une forme à un produit plus ou moins stupide, pour une industrie plus ou moins sophistiquée. Il est une façon de concevoir la vie, la politique, l’érotisme, la nourriture et même le design ». Même si certains pensent encore le design comme intouchable et réservé à quelques collectionneurs, bien à eux de se déplacer jusqu'à Saint-Etienne pour comprendre un peu mieux ce qu'est le design. Il y révèle toute son essence : la création empathique. La réflexion des designers place l'empathie entre l'objet, l'utilisateur et le créateur ; c'est ainsi qu'ils en font l'essence de leurs œuvres. Ainsi, nous sommes tous à même de toucher un jour au design, mais aussi d'en être ses victimes parce que lorsque l'on s'y adonne, comment parvenir à s'en détacher ?

Car oui, si l'empathie propose de regarder et de construire autrement le monde, elle prend place dans le débat actuel qui veut que l'individu soit partie prenante de son environnement. Il s'agit en fait de dévoiler la place de l'empathie dans les différents domaines de notre quotidien et de se demander comment les créateurs et les entreprises répondent à cette exigence-là. Il est donc naturellement question de réappropriation de l'espace social et de lien social.

Comme la thématique traverse l'ensemble des domaines du quotidien, on peut sans problème rencontrer subitement un stand d'EDF, mêlant design et énergie, et proposant des solutions écologiques. Contrairement à ce qu'il nous a donné l'habitude de vivre, EDF répond ici rapidement et esthétiquement à un projet citoyen. Il se propose par exemple, de créer un dispositif appelé « Eau de Ciel » visant à la récupération des eaux de pluie dans une structure de miroirs vêtue. Cela lui permet de se fondre dans son environnement tout en étant esthétique. Ce projet concilie les questions d’énergie et de design puisqu'il vise à faciliter l'attribution en eau de pluie d'un geste méticuleux et soigné, et si l'on suit la philosophie d'Engels, on comprend rapidement que « l’Homme se transforme lui-même en transformant la nature » ; il devient autosuffisant.

L'exposition Exo invite goulument le passant dans sa maisonnette. Non pas pour une bonne tasse d'expresso comme chez Krups un peu plus loin, mais pour réaliser un parcours autour duquel on suit un scenario spécifique, emmenant de pièces en pièces à comprendre comment produire cette énergie. On y apprend qu'il est possible de générer de l'énergie à travers nos gestes quotidiens... Sortir Médor sera bientôt incontournable si on ne veut pas rater la fin de Touche Pas à Mon Poste.

D'ailleurs si les Hommes sont placés sur un podium dans les créations design, n'oublions pas pour autant nos amis les bêtes. Si certains dépensent quelques billets pour les bichonner, d'autres partagent leur paye avec leurs animaux, design oblige. Entre le très intelligent « sur-oreille » de vache pour éloigner les mouches, et le kit de sécurité pour les petits animaux contenant masque à gaz ou gilet de survie. Tout a déjà été pensé pour donner à nos vieux amis une existence quasi-humaine, sinon simplifiée. Reste à savoir si cela n'est pas un peu trop surfait, et si agir avec empathie avec des créatures d'une autre espèce comme on peut le faire avec autrui est tout à fait réalisable. Il suffirait de placer des croquettes à côté d'idées brillantes et nous verrions qui l'emporte.



Etudiante en Histoire de l'art à Lyon 2, toute l'actualité artistique internationale passe sous ma… En savoir plus sur cet auteur