Ciudad Bolivar, Bogota. Crédit photo Simon De Bergh
Alliant à la fois pauvreté, insalubrité et insécurité, ces quartiers représentent un véritable défi pour nos sociétés contemporaines. Comme un grand nombre de capitales latino-américaines, Bogota se caractérise aujourd’hui par l’importance de ces constructions informelles, d’origine illégale lors de leurs premières étapes de construction, qui furent la réponse des populations locales face au manque de logements dans la capitale.
L'héritage d'un lourd passé
La capitale colombienne, réunissant aujourd’hui près de 7 millions d’habitants, est une ville qui a subi d’importantes évolutions tout au long du XXème siècle, étroitement corrélées avec le conflit armé prenant place dans le pays depuis les années 1960 et opposant l’Etat colombien au groupe armé des FARCS. « Les occupations informelles des terres ont commencé essentiellement dans les années 1970, puis se sont consolidées dans les années 1980 », explique le professeur Oscar Alfonso. « Ce développement si rapide des habitats insalubres est naturellement lié à l’essor démographique naturel de la capitale, mais il est également le résultat de la violence en Colombie qui a provoqué une urbanisation brutale du pays ».
A partir des années 1960, des milliers de Colombiens ont fui les zones rurales et notamment le conflit armé pour s’installer au sein des villes. La conjoncture politique a ainsi fait de Bogota une ville de refuge pour un grand nombre de ruraux, espérant trouver dans la capitale une terre pacifiée et une amélioration socio-économique de leur condition. Néanmoins, cette explosion urbaine est progressivement devenue un facteur de pauvreté et d’inégalités au sein de la capitale. « Les logements proposés par la ville étaient inaccessibles pour les populations les plus défavorisées désirant s’installer à Bogota. Indéniablement, il y a eu un échec des politiques de logement à l’époque et un vrai manque de politique active pour trouver une solution à ce problème qui se généralisait », conclut-t-il.
Ciudad Bolivar, Bogota. Crédit photo Simon De Bergh
Des quartiers marginalisés
Les noms de localités telles que « Ciudad Bolivar », « Usme » ou encore « Suba » évoquent des zones au sud ou à l’ouest de Bogota, présentant des indices de pauvreté importants ainsi que des taux d’insécurité préoccupants. Depuis plusieurs décennies, les occupations informelles des terres sont progressivement légalisées, permettant ainsi la mise en place de certains services publics dans ces zones. Néanmoins, les habitations se caractérisent par un système d’auto-construction qui met directement en danger la sécurité des habitants de ces quartiers. Selon le professeur Oscar Alfonso, la thématique de la violence est liée au manque d’infrastructures publiques et au manque d’intervention de l’Etat dans ces zones. « Ces localités ne bénéficient pas du même accès à l’éducation ou à la santé que les autres localités de Bogota. Il est apparu progressivement que les populations qui résident dans ces quartiers évoluent dans une extrême précarité économique, associée à ce que nous pourrions dénommer une précarité « morale » ou de valeurs. Certaines valeurs d’éthique et de vie en société sont tout simplement inconnues par une certaine frange de la population de ces quartiers. Sans le moindre doute, ces localités ont été oubliées et abandonnées pendant trop longtemps par l’Etat colombien ».
Dans l’imaginaire de la majorité des Bogotanais, ces quartiers n’évoquent rien de plus qu’une extrême pauvreté et une importante insécurité au point qu’ils ne désirent généralement pas s’y rendre sans être accompagné par un individu connaissant parfaitement les lieux. Cependant, une meilleure gestion de la ville reste urgente avant tout pour les habitants eux-mêmes de ces quartiers davantage vulnérables aux épidémies, aux éboulements de terrains et relativement isolés du reste de la capitale notamment à cause du manque d’infrastructures routières, celles-ci étant fréquemment conçues de manière artisanale.
Ciudad Bolivar, Bogota. Crédit photo Simon De Bergh
Les enjeux pour les années à venir
Malgré l’urgence de la situation, une politique d’urbanisme sur le long terme au niveau national n’a toujours pas été proposée pour faire évoluer la précarité au sein de la capitale colombienne. Selon le professeur Oscar Alfonso, la solution doit à présent se trouver au niveau local : « Bien que les logements informels soient un problème de très grande envergure, il est essentiel que des projets soient construits par les municipalités, au niveau local ». Au-delà du simple développement des villes, Oscar Alfonso souligne l’importance de penser des espaces de qualité, accessibles à l’ensemble de la population et adaptés en fonction de la position géographique de Bogota, qui se trouve à 2 600 mètres d’altitude. Le manque de planification explique en grande partie pourquoi, encore aujourd’hui, Bogota est une ville qui souffre de profondes et dangereuses inégalités et qu’elle est une ville extrêmement ségréguée. « Les politiques réactives de court terme sont beaucoup plus coûteuses et ne sont pas suffisantes pour trouver une solution à long terme à ce phénomène. Au niveau local, de nouveaux projets innovants doivent maintenant voir le jour pour améliorer la présence des services publics notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation ».
Ciudad Bolivar, Bogota. Crédit photo Simon De Bergh
La persistance et l’incessante expansion des bidonvilles sont sans aucun doute des défis majeurs pour un grand nombre de pays latino-américains au XXIème siècle. La Colombie est à présent un pays apaisé, souffrant d’une image internationale en inadéquation avec la réalité de la situation dans le pays. Il reste néanmoins fondamental à présent qu’elle mette en place de véritables projets pour lutter efficacement contre la pauvreté dans les zones rurales, comme au sein des villes, si elle désire devenir dans les prochaines décennies une puissance de poids aux niveaux régional et mondial.