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Une nouvelle version du code électoral burkinabé a été adoptée sans appel, avec 75 voix pour, 10 contre et 3 abstentions, le 4 avril 2015. Si le vote s’est déroulé sous une importante protection policière due à la tension politique et sociale des jours précédents, le CNT a signalé qu’aucun incident majeur n’avait eu lieu le jour du vote ou suite à l’annonce des résultats. Il faut malgré tout signaler que les CRS ont gazé une centaine de manifestants rassemblés contre le changement de code électoral. Ils ont aussi procédé à cinq arrestations. Mais depuis l’adoption du texte, il apparaît que ces voix dissonantes ne sont pas le fait d’une infime minorité puisqu’elles s’élèvent graduellement dans la sphère politique, afin de s’opposer à un texte jugé discriminatoire.
Opération « mains propres »
Trois principaux articles du code électoral ont été modifiés, tous relatifs aux conditions d’inéligibilité des futurs candidats potentiels aux diverses élections. Si les conditions peuvent varier selon le type d’élection, elles disposent toutes d’une nouvelle close commune. À présent, « toute personne ayant soutenu un changement inconstitutionnel qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de soulèvement » est inéligible.
En d’autres termes, toutes les personnes ayant supporté, en 2014, la volonté de modification de l’article 37 de la Constitution burkinabée, qui limite les mandats présidentiels au nombre de deux, sont écartées de toute élection. Cette tentative de l’ancien président burkinabé Blaise Compoaré de briguer un nouveau mandat s’était heurtée à un soulèvement populaire sans précédent. Cette insurrection avait d’ailleurs provoqué, le 31 octobre 2014, la démission de l’ancien président et sa fuite en Côte d’Ivoire ainsi que la fin de la quatrième République burkinabée. Le CNT, organe de transition créé en attente des élections présidentielles d’octobre prochain, a donc jugé nécessaire de modifier le code électoral pour écarter ceux qu’il considère comme les traîtres de la démocratie burkinabée.
Cette loi semble supporter l’idéal démocratique défini par la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance, qui, selon l’article 25-4, stipule que « les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur État ».
Une volonté de renforcer la démocratie ?
Pour les supporters de ce changement, c’est donc un véritable aboutissement de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. E. Traoré, premier vice-Président du parti pour la Démocratie et Socialisme/Parti des bâtisseurs (PDS/Metba) et membre du CNT, insiste sur le caractère courageux d’une telle mesure. Pour lui, elle n’est pas discriminatoire dans le sens où les hommes politiques concernés doivent assumer leurs erreurs puisqu’ils « se sont, eux-mêmes, exclus de la marche de la démocratie en conduisant le pays dans cette situation ». Finalement, cette mesure permettrait d’approfondir la démocratie et d’éviter un retour vers le passé qui pourrait, à long terme, avoir des résultats néfastes sur le système politique du pays.
Cette modification du code électoral n’est pas uniquement soutenue par les opposants politiques de l’ancien gouvernement, si l’on en croit la composition du CNT. Cet organe de transition est effectivement composé de diverses forces politiques, civiles et militaires : 30 représentants des partis politiques affiliés au CFOP, chef de file de l’opposition de l’ancien gouvernement, 25 représentants de diverses organisations de la société civile, 25 représentants des forces de défense et de sécurité ainsi que 10 représentants des autres partis de, ou affiliés à l’ancien gouvernement. D’après les résultats du vote, 75 ont approuvé le nouveau code électoral. La preuve que ce projet est soutenu par les opposants politiques de Compaoré mais aussi en grande majorité par la société civile, ce qui lui donne un poids populaire et symbolique considérable.
Cette volonté de chasser les hommes politiques considérés responsables de la fin de la quatrième République s’illustre aussi sur le terrain judiciaire. Récemment, sept cadres de l’ancien régime, dont trois ministres, ont été interpellés pour « malversations présumées ». Une huitaine de personnes, dont le rôle dans l’ancien régime n’a pas encore été précisé, ont été arrêtées pour « activités politiques illégales » ainsi qu’ « incitation à des troubles à l’ordre public ». Pour Chérif Sy, président du CNT, « l’Histoire est en marche » et toutes ces opérations politiques et judiciaires marquent une renaissance de la démocratie soutenue par le peuple.
« Chasse aux sorcières » ?
Cette transformation est toutefois fortement contestée par la nouvelle opposition qui dénonce une manœuvre d’exclusion à la limite de la légalité. Djibril Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères, est directement concerné par cette modification. Il est de fait exclu de la prochaine course à la présidence alors qu’il était considéré comme l’un des favoris. Il insiste d'ailleurs sur la mauvaise image que ce changement véhicule à propos de la transition et du pays lui-même. Dans cet ordre d'idées, il souhaite l’organisation d’élections « équitables et transparentes », pour permettre au peuple burkinabé d’exclure ou d’inclure, par le processus électoral, les hommes politiques qu’il juge compétents et ainsi faire aboutir les aspirations de l’insurrection populaire.
Ce changement soulève également des inquiétudes au sein même de la communauté internationale, comme le souligne le communiqué publié par les États-Unis le mardi 14 avril. Celui-ci insiste sur des modifications qui apparaissent « incompatibles avec les principes démocratiques de la liberté d’expression, de la liberté d’association et des élections libres, équitables et pacifiques ». Cette réaction n’est pas isolée et de nombreux diplomates occidentaux ont émis leurs réserves quant à ce changement. Pour clarifier sa position, le gouvernement de transition a rencontré le corps diplomatique le 13 avril dernier. Il souhaite réexpliquer les raisons de cette loi modificative, tout en soulignant sa conformité et son respect de l’esprit de la Charte de Transition et de la Charte africaine de la Démocratie, fait qui écarte l’inconstitutionnalité parfois évoquée de la loi. Aussi, s’il estime que l’appréciation des pays étrangers est à prendre en considération, le système politique burkinabé doit être construit par les citoyens eux-mêmes. Il doit donc refléter les aspirations de la majorité.
Finalement, cette idée d’exclusion qui fait tant débat reste encore floue. La loi n’a aucune portée personnelle dans le sens où les personnalités supposément exclues ne sont pas nommées directement dans le texte. Le juge en charge de la validation des candidatures devra donc rendre son verdict pour chaque candidature déposée. Si la loi est par nature impersonnelle et générale, ce texte ne semble pas aller à son encontre puisqu’il paraît sanctionner des comportements politiques jugés déviants et non des individus particuliers. En définitive, le vrai débat autour de cette loi modificative se fera sur le terrain judiciaire, quand le juge, gardien des droits fondamentaux, rendra son verdict sur les futurs candidats pouvant concourir aux prochaines élections présidentielles.