Municipales à Montréal : Coderre « sans mandat fort »

Jean-Baptiste Viallet, correspondant à Montréal
9 Novembre 2013


Le 3 novembre dernier, les Québécois ont été appelés à élire leurs nouveaux maires dans toute la province. A Montréal, 15e métropole d’Amérique du Nord, où les scandales politico-financiers ont ébranlé l’Hôtel de ville, c’est le libéral Denis Coderre qui a pris ses fonctions. Outre les enjeux de transparence qui se dressent pour la ville, la question de l’identité culturelle francophone demeure toujours aussi fragile.


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485 : c’est le nombre de candidatures validées par le Bureau des élections en vue de l’élection du 3 novembre dernier. Outre les 12 candidats à la mairie, c’est tout un arsenal électoral de 77 candidats aux postes de maires d’arrondissement, 214 aux postes de conseillers de la ville et 182 aux postes de conseillers d’arrondissement.

Quelles ambitions pour l’affirmation de la ville francophone sur le continent nord-américain ? À l’heure où le gouvernement québécois est plus que jamais réticent à toute ingérence du pouvoir fédéral dans la gestion des affaires provinciales, portrait des principaux candidats et des enjeux qui se sont dressés en matière d’aménagement du territoire et de francophonie, piliers de l’identité de la grande métropole québécoise.

Rappel des faits. Le 17 juin 2013, Michael Applebaum, alors maire de Montréal, est arrêté par l’Unité permanente anticorruption. Faisant face à 14 chefs d’accusation de fraude envers le gouvernement, de complot, d’abus de confiance et de corruption dans les affaires municipales, Applebaum démissionne le lendemain.

Son successeur, Laurent Blanchard, alors membre du Conseil exécutif de la ville et membre de Vision Montréal, est élu une semaine plus tard. Applebaum remplaçait lui-même Gérard Tremblay, contraint de démissionner suite à une enquête sur un vaste réseau de corruption gangrenant la ville et l’industrie du bâtiment. La transparence de la vie politique a donc été profondément ébranlée par les derniers scandales en date. Présentations des principaux candidats d’une campagne qui n’a pas suscité un grand enthousiasme.

Mélanie Joly, Le Vrai changement pour Montréal : la « professionnelle des communications »
Avocate de profession, fondatrice du groupe de réflexion politique Génération d’Idées, Mélanie Joly est arrivé en seconde position des municipales montréalaises. Sa posture de professionnelle des affaires assumée, elle n’a pas hésité pas à invoquer un des symboles historiques de la ville. « Je n'ai jamais hésité à affirmer que Montréal, dans sa forme actuelle, était devenue une ville ingouvernable, une ville qui avait besoin d'un nouveau Jean Drapeau moderne pour la relancer et la sortir du bourbier dans lequel elle se trouve », a-t-elle déclaré le 1er juin dans le quotidien La Presse.

Prônant la probité des contrats municipaux, la dynamisation des mouvements communautaires et de l’initiative citoyenne locale, la lutte contre l’exclusion sociale, ou encore la création de véritables artères commerciales vivantes, Mélanie Joly n’a toutefois pas fait mention de la place de la francophonie dans son programme.

Richard Bergeron et Projet Montréal : « intégrité, compétence, audace »
Richard Bergeron, candidat de Projet Montréal, a encouragé le « mieux habiter Montréal ». De nombreuses familles quittent Montréal pour la périphérie (environ 22 000 personnes par an). Sa réponse : une meilleure accessibilité aux grands logements, des cadres de vie et des équipements adaptés. Sa vision de la métropole culturelle : assumer le leadership dans ce secteur, en affirmant le statut de la ville comme métropole francophone des Amériques, cosmopolite, foyer d’innovation et de création.

Marcel Côté et Coalition Montréal : « bâtir le Montréal de demain »
On l’a surnommé le « Bloomberg de Montréal ». À la tête de la Coalition Montréal, le candidat Marcel Côté a prôné tout au long de sa campagne une politique familiale intégrée : l’amélioration de la qualité des écoles, de la mixité des quartiers, des transports en commun, l’apaisement de la circulation et le verdissement de la ville. Les communautés culturelles représentent 40 % de la population. Soulignant l’intérêt de la dualité linguistique propre au pays – la loi de 1969 ayant fixé l’anglais et le français comme langues officielles de l’Etat fédéral canadien -, Marcel Côté a valorisé le bilinguisme et le multiculturalisme propre au Québec et à la ville de Montréal, atout majeur en Amérique du Nord et qui doit, selon lui, être reflété dans les institutions. Ce respect du bilinguisme passe notamment par la défense des droits des anglophones en matière de service public, dans leur langue d’origine.

C’est l’ex-député libéral Denis Coderre qui a été élu maire de Montréal le 3 novembre dernier avec 31,6 % de voix, remportant ainsi la majorité de sièges au Conseil municipal. Il fut notamment ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme entre 2002 et 2003, sous le gouvernement fédéral libéral de Paul Martin, également président du Conseil privé de la Reine pour le Canada entre décembre 2003 et juillet 2004.

« L’empire anglo-américain exerce une hégémonie culturelle presque partout dans le monde »
Michel Brûlé fut le plus souverainiste des candidats à la mairie. Non professionnel de la politique (diplômé en littérature et fondateur de maisons d’éditions) et candidat indépendant, il a encouragé tout au long de sa campagne un Montréal « français, cosmopolite, tolérant et intègre »« L’anglais a toujours été une menace pour le français en Amérique du Nord », a-t-il déclaré dans une vidéo de campagne mise en ligne sur son site officiel. « Je tends la main aux anglophones : unissons-nous pour que Montréal affirme son identité française (…) Il y a une différence entre le bilinguisme individuel et collectif. Que Montréal soit une ville bilingue est un problème, ouvrant la porte à l’assimilation. Les anglophones doivent être non pas impérialistes mais internationalistes, nous aidant à promouvoir le Français, langue menacée en Amérique du Nord ». Un chiffre : dans la ville de Moncton, au Nouveau-Brunswick, seconde ville bilingue du Canada, le taux d’assimilation des acadiens est de 30%.

Une enquête de Léger Marketing menée en 2013 auprès de 1 000 Québécois nous révèle que 8% d’entre eux s’identifient comme étant du Canada uniquement (contre 45% d’Ontariens en 2012), 34% comme « de leur province avant tout, mais aussi du Canada » (contre 5% en Ontario et en Colombie-Britannique), et 17% s’identifient comme provenant « de leur province uniquement ». La vie politique montréalaise, entachée par les scandales Tremblay Applebaum, connaît un profond tournant dans la gestion des affaires urbaines et dans la redéfinition des questions identitaires. Force est de constater que l’accent est mis sur les initiatives locales et la volonté d’en finir avec une classe politique corrompue, en autonomie totale vis-à-vis des pouvoirs fédéral et provincial.

Clé de voûte de l’histoire nationale du Québec, la question de sa place au sein de la fédération canadienne et de son avenir en Amérique du Nord est une priorité moins locale que gouvernementale. Le rôle du maire d’une grande métropole comme Montréal ou Toronto sur la scène nationale n’est que purement représentatif ; pouvoir néanmoins contrebalancé par l’importance allouée aux initiatives locales qui peuvent faire de Montréal une métropole francophone rayonnante en Amérique du Nord. Tant que les questions identitaires ne seront pas clarifiées et précisément réglées au sein de sa population (autonomie du Québec, redéfinition au sein de la fédération, place de la langue française) ni la vie politique locale aseptisée, l’influence de Montréal ne sera pas aussi probante que désirée, malgré tous les atouts économiques, sociaux et culturels dont elle dispose en tant que métropole si singulière et multiculturelle.

À la fois méfiante vis-à-vis du pouvoir fédéral et distante de la ligne gouvernementale de Pauline Marois, essoufflée par les derniers scandales, la ville tente de retrouver sa place dans un système politique hiérarchisé, en affirmant son modèle unique en Amérique du Nord. Avec toujours le risque d’une anglicisation menaçante : un récent sondage CROP réalisé pour le magazine L’actualité et la station 98,5 révèle que plus de 77% des sondés estiment que la métropole deviendra à prédominance anglophone, tandis que le reste du Québec devrait conserver son aspect francophone.

Bien que les identités linguistiques multiples caractérisent de plus en plus la réalité montréalaise, les plus souverainistes soulignent que la progression du bilinguisme est inquiétante, encouragée par la connaissance des deux langues par les immigrants au Québec. Un rapport de 2011 de l’Office québécois de la langue française prédit également que, d’ici 2031, le pourcentage de la population de l’île de Montréal qui parle majoritairement le français à son domicile passera sous la barre des 50 %.