Monte dei Paschi : Scandale autour de la plus vieille banque du monde

Julie Carballo, correspondante à Sienne (Italie)
31 Janvier 2013


Le titre boursier de la « Banca Monte dei Paschi di Siena » (Groupe MPS), la plus vieille banque du monde, a été réservé à la baisse à deux reprises le 23 janvier à la bourse de Milan en raison de rumeurs de presse faisant état d'une perte liée à des produits dérivés. En fin de matinée, Monte dei Paschi di Siena était en repli de plus de 8% sur la place milanaise.


C'est plus qu'une banque, c'est une institution, un monument de l'histoire italienne, le poumon qui fait respirer à lui seul toute une ville et une région jusque-là prospères. Monte dei Paschi di Siena (MPS), le plus vieil établissement bancaire du monde, avait déjà perdu une partie de sa bonne réputation établie depuis 1472, en quémandant, en 2012, plus ou moins sous forme d'obligations, un prêt de 3,9 milliards d'euros à l'Etat pour se renflouer. L'opération menée en 2009 avec la banque japonaise Nomura, devrait lui coûter 220 millions d'euros ; celle nouée, en 2008, avec la Deutsche Bank lui aurait permis de dissimuler 367 millions d'euros de pertes. Une autre, enfin, menée avec un établissement financier dont l'identité n'a pas été communiquée, porterait le total de l'addition à 760 millions d'euros.

Les investisseurs pressent la troisième banque d'Italie de sortir tous les "cadavres des placards". La révélation par le journal Il Fatto quotidiano d'une enquête de la justice sur ces maquillages a eu pour première conséquence la démission de l'ex-directeur de la banque, Giuseppe Mussari, de son poste de président de l'Association bancaire italienne. C'est aussi sous son mandat que MPS a acquis, fin 2007, Banca Antonveneta auprès de l'espagnole Santander pour 9 milliards d'euros, un prix jugé beaucoup trop élevé. Dans la foulée de ce scoop, le titre MPS a chuté de 8,43 % à la bourse de Milan le 23 janvier et de 8,19 % le 24, ce qui ramène la valeur du groupe à 2,725 milliards d'euros.

La Banque d’Italie mise en cause

Le gouverneur de la Banque d'Italie, Ignazio Visco, a réagi depuis le Forum économique de Davos, en Suisse, et rejeté tout soupçon d'incompétence de la part de l'institut d'émission. "Il est faux d'insinuer qu'il y a eu un manque de surveillance de la part de la Banque d'Italie", a-t-il déclaré à la chaîne de télévision CNBC, ajoutant que la BoI n'avait rien à cacher. La Banque centrale surveille le secteur bancaire mais elle n'est pas la police des banques, a rappelé Ignazio Visco, ajoutant que celle-ci collaborait activement à l'enquête qui s'est ouverte sur l'affaire des pertes sur dérivés mais qu'elle ne prendrait pas de mesures immédiates de son côté. 

L’ex-président du Conseil italien, Mario Monti, a redit toute sa confiance dans la BoI pour traiter le dossier, comme l'avait fait le président de la République, Giorgio Napolitano. Mario Monti a toutefois réclamé vendredi une enquête rigoureuse dans l'affaire et jugé que le système réglementaire européen devait être réexaminé. Il a ajouté que les autres banques italiennes n'étaient pas affectées par les problèmes de Monte dei Paschi, et que le gouvernement n'était en rien responsable de la situation de la banque. Le président du conseil d'administration de la banque a assuré vendredi que la situation était tout à fait maîtrisée.

Un scandale qui éclabousse la campagne électorale

Une question est sur toutes les lèvres : l'Etat devra-t-il remettre la main à la poche ? Alors qu'une assemblée générale d'actionnaires s’est tenu vendredi 25 janvier pour valider une augmentation de capital de 4,5 milliards d'euros visant à aider la banque à rembourser ses emprunts et combler ses pertes, cette question empoisonne la campagne électorale en cours. Symbole assez encombrant : les 3,9 milliards de prêts à MPS de 2012 correspondent au montant de la taxe impopulaire sur la résidence principale introduite par M. Monti et payée de mauvais gré par les Italiens.

Mais c'est Pierluigi Bersani, candidat de la gauche et favori des sondages, qui pourrait  être le premier à pâtir de ce scandale. La banque toscane a en effet pour principal actionnaire (à 35 %) une structure à but non lucratif nommée La Fondation. Son conseil d'administration est aux trois quarts composé du gratin politique local. Or Sienne et la Toscane sont gérées depuis de nombreuses années par la gauche dans la plus grande harmonie avec l'établissement. Tous les maires de Sienne, à l'exception du dernier, ont été des dirigeants de MPS. La Fondation et M. Bersani pouvaient-ils réellement ignorer les agissements de la banque ? 

Selon un sondage Piepoli publié vendredi dans La Stampa, l'alliance qui rassemble le Parti démocrate et une petite formation classée plus à gauche, le parti SEL (Gauche, Ecologie et Liberté), obtiendrait sans problème une majorité à la Chambre des députés mais la droite, menée par Silvio Berlusconi, serait en mesure de bloquer les travaux du Sénat. Les 315 sénateurs sont élus sur une base régionale, proportionnellement à la population, et le sondage montre que la droite est en mesure de remporter la Sicile, la Lombardie et la Vénétie, des régions très peuplées. Un tel cas de figure forcerait Pierluigi Bersani à envisager une alliance avec la coalition centriste menée par Mario Monti, actuellement distancée dans les sondages. 

En cette période de campagne électorale, tous recherchent un coupable, et plusieurs hommes politiques se sont empressés d'exploiter l'affaire Monte dei Paschi contre les socialistes et l’ex-président du conseil.

Des élus de droite et d'extrême-gauche ont mis en cause ces liens entre le Parti démocrate et la banque et ont reproché à Mario Monti d'avoir utilisé l'argent des contribuables pour la sauver. "Il y aura certainement un effet négatif sur le Parti démocrate", a déclaré vendredi le vice-président de l'institut de sondage SWG, Maurizio Pessato. "La question est de savoir si cet effet sera durable et profond. Quant à Monti, la majorité des Italiens le voient comme quelqu'un de très lié au monde de la finance. L'homme de la rue s'imaginera facilement qu'il est impliqué dans cette affaire", a-t-il ajouté. "Ça pue la magouille, a estimé le dirigeant de la Ligue du Nord, Roberto Maroni, un allié de Berlusconi. Monti a donné à Monte dei Paschi quatre milliards d'euros et il doit expliquer pourquoi (...) Il ne peut pas nier sa responsabilité dans ce désastre, responsabilité qu'il porte lui et lui seul".

Dans une interview à la radio, Mario Monti, dont la coalition centriste est en perte de vitesse dans les intentions de vote, a également cherché à utiliser le scandale contre le Parti démocrate, qu'il a jugé "impliqué dans cette affaire". "Je ne suis pas ici pour attaquer Bersani (...) mais pour attaquer ce phénomène historique, moins fort ces dernières années, du mélange entre la politique et la banque", a-t-il toutefois ajouté.

Berlusconi a, lui aussi, profité de ce scandale pour faire entendre sa voix. "Il est clair pour tout le monde que si la gauche n’est même pas capable de gérer une banque, elle n’est pas capable de gouverner le pays, a-t-il affirmé lors d’une interview sur la chaîne TG1. Il faut trouver des solutions concrètes pour mettre la banque et ses clients à l’abri des risques. En ce qui concerne les coupables, ils seront désignés plus tard."

Un sondage SWG publié mercredi montre que le centre gauche recueille 34,1% des intentions de vote, une légère hausse par rapport à la semaine précédente, et le centre droit 26,6%. Les centristes de Monti sont crédités de 12,8% des voix. Le scandale pourrait renforcer les positions des partis populistes comme la Ligue du Nord (extrême droite) ou le Mouvement 5 Etoiles (extrême gauche) de l'humoriste Beppe Grillo qui a demandé la nationalisation de Monte dei Paschi.

En attente de futures retombées, ce sont pour le moment les Siennois qui subissent les conséquences des errances de la banque. La Fondation MPS, qui a distribué 2 milliards de financement à la ville et à la région Toscane entre 1995 et 2008, devra veiller à limiter sa générosité. Les clubs de football et de basket verront leur dotation réduite, au même titre que la célèbre course équestre du Palio, si chère aux Toscans.

La Banque d’Italie au secours de MPS

La Banque centrale italienne a donné son accord le 26 janvier à l'octroi de prêts publics d'un montant total de 3,9 milliards d'euros sollicités par la Monte dei Paschi pour son sauvetage. Le feu vert de la Banque d'Italie était la dernière étape nécessaire pour débloquer les fonds demandés.

A l'issue d'une réunion qui a duré une grande partie de la journée, la Banque centrale a publié un bref communiqué pour annoncer que son conseil d'administration avait donné "une opinion favorable" au sauvetage de la banque, sans autre précision. Selon le schéma prévu, la Banque toscane va émettre pour 3,9 milliards d'euros d'obligations qui seront souscrites par le Trésor italien. Un peu moins de la moitié de ce montant remplacera 1,9 milliard d'euros d'aides d'Etat existantes.

Monte dei Paschi a été contrainte de solliciter l'aide de l'Etat l'an dernier pour la deuxième fois depuis 2009, après s'être révélée l'une des quatre banques européennes n'ayant pas pu se mettre en conformité avec les normes de solvabilité plus strictes requises par les autorités de régulation.