Mexique : la rue se soulève contre la privatisation du secteur pétrolier

Nicolas Grisoni, correspondant au Mexique
11 Septembre 2013


Ce dimanche 8 septembre, à Mexico, a eu lieu une nouvelle manifestation pour protester contre le projet sur l’énergie défendu par l’actuel président Enrique Pena Nieto.


Crédits photo -- Alexandre Meneghini/AP
Ce projet vise à moderniser et ouvrir le capital de l’entreprise d’État PEMEX, qui détient le monopole de l’extraction et de la vente du pétrole au Mexique. Cette entreprise voit 67 % de ses bénéfices ponctionnés par l’État mexicain, qui est extrêmement dépendant de cette ressource. Ces prélèvements représentent un tiers du budget mexicain. Une modernisation s’avère nécessaire, cette entreprise emploie 160 000 personnes à travers le pays. Ces derniers bénéficient de nombreux avantages offerts par le syndicat majoritaire. Ces avantages sont nés pendant la période où la dictature mexicaine cherchait à s’attirer les bonnes faveurs du peuple par le financement massif des syndicats. Un autre gaspillage est visé par cette réforme : les emplois redondants. En situation de monopole, PEMEX n’a pas eu une stratégie ultra compétitive de réduction des coûts et les Mexicains.

Pourquoi une telle modernisation ?

En premier lieu, cette modernisation est dû à une baisse de compétitivité. Peu d'investissements ont été enregistrés ces dernières années, les capacités de production et de raffinement sont en chute. Le Mexique se voit obligé d’importer la moitié de ses besoins en pétrole. Il n'en importait qu'un quart dans les années 1990.
 
D’autres raisons, sur un plus long terme, justifient la volonté de réformer PEMEX. Les ressources potentiellement disponibles pour le futur sont le gaz de schiste et les champs pétroliers sous-marins. Cependant, l'extraction de ce genre de ressources nécessite d'importants investissements. PEMEX n’a pas les moyens financiers et technologiques pour parvenir à exploiter ces champs pétroliers. Il lui faut donc passer par un partenariat avec d’autres compagnies pétrolières comme Total, BP ou bien Exxon. 

Une mobilisation importante

Samedi soir, veille de la manifestation, l’ampleur de la mobilisation était déjà très remarquable. Des campements avaient été installés tout autour du Zocalo (la place centrale de Mexico, point de départ des manifestations) en dépit de la pluie et du froid, bloquant des rues entières ainsi que la place en elle-même. Des témoins, habitants le centre-ville, rapportent que la circulation a été bloquée toute la journée, même à des kilomètres du cortège. Ces derniers ont également observé un lourd déploiement policier. Les forces de l’ordre étaient équipées d’armes lourdes et de jets d’eau en cas de débordement. Un cortège diversifié, composé de militants du PRD (le parti de gauche) mais aussi de personnes non engagées, de jeunes, de personnes plus âgées. Nombreuses ont été les personnes à faire le déplacement depuis la province.


L'opposition argumente

Ces partenariats avec des entreprises étrangères sont constitutionnellement impossibles. L’article 27 de la Constitution mexicaine a mis en place le monopole d’État de PEMEX. Il interdit l’exploitation des ressources pétrolières à toute compagnie étrangère. C’est une des principales entraves à ce projet et un des arguments avancé par l’opposition. Pour comprendre l’influence et l’importance de la Constitution au Mexique, un bref rappel historique est nécessaire. La Constitution actuelle, qui date de 1917, a été écrite suite à la révolution. Les « vainqueurs » de cette révolution ont ensuite instauré un régime populiste (le parti PRI) soutenu jusque dans les années 1980. Ce régime a su être généreux avec le peuple. Les avantages syndicaux étaient la fierté du système social : l’État prenait la défense du salarié en cas de litige salarié/entreprise. L'histoire syndicale et l'importance de cette Constitution sont très ancrées dans le cœur des Mexicains, ce qui explique une telle mobilisation avec autant de ferveur pour une entreprise d'Etat.

L’opposition considère aussi que cette décision rendrait le Mexique encore plus dépendant du voisin américain. En ayant une entreprise publique sur un tel marché, avec un fonctionnement plutôt « à gauche », PEMEX est un des derniers symbole de l’indépendance et de la puissance du Mexique, qui ne s’est jamais vraiment positionné pendant la Guerre Froide. Voici un exemple de cette ambivalence : le Mexique est membre de l’OMC, signataire du GATT, mais il a été le seul pays, avec l’URSS, à garder des liens avec Cuba. Les Mexicains sont très fiers de ce passé, de ce non alignement. Voir un des symboles de cette fierté balayé sur l’autel du capitalisme, de l’optimisation financière, désole la population entière. Ainsi, le Mexique tomberait encore plus dans le giron américain en perdant sa souveraineté énergétique, 25 ans après avoir perdu son autonomie diplomatique. Il ne fait aucun doute que les géants américains du pétrole vont se ruer sur le Mexique si cette loi est votée.