Manifestations au Vénézuela : une mobilisation sans précédent

Eliane Martinez-correspondante à Caracas, Venezuela et Baptiste Goursaud
24 Mars 2014


Cela fait plus de deux mois que le Venezuela se déchire aux rythmes des manifestations dans les grandes villes et dans sa capitale, Caracas. En attendant d’éventuelles négociations, le pays semble dans l’impasse et de plus en plus clivé.


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 C’est le 12 février dernier, journée de la jeunesse au Venezuela que le mouvement a connu son apogée : des milliers d’opposants au gouvernement de Nicolas Maduro se sont réunis sur la « Plaza Venezuela » pour montrer leur mécontentement.Des heurts ont eu lieu alors que des groupes de motards, soupçonnés d’appartenir à une milice armée pro gouvernement appelée « Collectif Tupamaros », ont commencé à prendre à parti les manifestants et la presse présente sur place en leur volant leurs caméras. Un étudiant de 24 ans a été tué par balle, ce qui a déclenché la colère des manifestants présents sur la place, qui se sont ensuite dirigés en direction du parquet général dans le but de demander la libération des personnes arrêtées lors des précédentes manifestations. C’est à la suite de cet assaut que la mort d’un membre des milices pro-Chavez a été constatée. C’est dans la soirée qu’un troisième mort fut comptabilisé, tué par des hommes armés en moto, les « motorisados ». Le bilan des manifestations du mercredi s’élevait ainsi à 3 morts, 60 blessés (certains par balles) et une centaine d’arrestations. 

Dès lors, dans certaines parties du pays, des barricades visant à empêcher la circulation des voitures ont été érigées. Une répression importante et violente de la part des autorités s’est mise en place pour essayer d’empêcher les manifestants de protester librement. Le bilan serait passé à 34 personnes décédées depuis le 12 février, certaines dues aux répressions exercées par les forces de l’ordre ou les collectifs armés, d’autres liées aux accidents dans des barricades.

52 ONG nationales et internationales de défense de droits de l’Homme tel que HumanRights Watch, Amnistie International et « Forum pour la Vie » ont dénoncé publiquement des violations aux droits de l’Homme. Le « Forum Pénal Vénézuélien » a déposé également la dénonce de 43 cas de torture depuis le début des protestations auprès du Procureur General de la République. 

QUELLES SONT LES RAISONS DE LA MOBILISATION ?

Malgré une baisse significative, le taux de pauvreté et le taux de pauvreté absolue restent élevés au Venezuela. Source Center for Economic and Policy Research
Le Venezuela fait face à une situation complexe qu’il est important de décortiquer avec précision. 

 
- La souffrance du pays
 
Premier postulat, le Venezuela souffre depuis 15 ans d’une détérioration économique dû aux prix élevés du pétrole à travers le monde. C’est le problème économique qui est le plus important dans le pays. En effet, il n’y a pas moins de cinq taux de change, l’économie est minée par l’inflation, le ralentissement de l’activité et par une pénurie de biens. Une importante dollarisation a eu lieu dans le pays il y a 11 ans, car la monnaie nationale, le bolivar, n’inspirait plus confiance depuis longtemps. Les autorités ont ainsi mis en place un système financier nommé CADIVI pour avoir accès à des dollars régulés par un taux de change officiel. Ce taux existe encore, celui de 6,30 Bolivar, mais il est uniquement utilisé pour financer des biens basiques, des études à l’étranger et des pensions de retraite.

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Au-delà de l’aspect économique, c’est plusieurs pans de la société vénézuélienne qui posent problème. La sécurité est une des premières demandes mise en avant par les manifestants. Le taux de criminalité a augmenté de 10% depuis 2004, c’est un chiffre bien plus haut qu’un pays comme le Mexique par exemple, lui aussi gangréné par la criminalité. A la fin de l’année 2013, 24 763 morts violentes ont été enregistrées, chiffre qui place le Venezuela en tant que deuxième pays le plus meurtrier du monde selon Le Monde. La violence n’a pas de visage, elle touche tout le monde et la justice elle-même supporte l’impunité par son inefficacité : seuls 8% des homicides sont résolus et nombreux ne sont même pas sujet à une enquête.

Autre problème, l’économie familiale fait face au manque de produit basiques comme le lait, le poulet ou les médicaments. Les services publics tels que l’eau et l’électricité sont en panne constamment depuis plusieurs années, notamment dans les villes de l’intérieur du pays. Les infrastructures se dégradent, les hôpitaux publics, les routes, les prisons et même la sécurité routière sont le reflet d’une cruelle défaillance de l’État dans l’exercice de ses fonctions premières.

Au niveau du pouvoir, la légitimité présidentielle est remise en cause, des doutes subsistent encore après l’élection de Nicolas Maduro, d’une part sur les votes, mais aussi sur le lieu de naissance de l’actuel président qui pourrait ne pas être né au Venezuela, ce qui le disqualifierait de l’exercice de ses fonctions. 

Enfin, le quatrième pouvoir subit de forts contrôles de l’État, une des chaînes les plus anciennes et prestigieuses fut fermé par Chavez en 2007 ainsi que de 34 radios. Autre problème important : l’autocensure dont les médias usent par peur de fermetures et de pressions, la couverture des mobilisations en étant l’exemple : la plupart des chaînes de télévision vénézuéliennes se sont abstenues ces derniers jours de diffuser les images de ces incidents, craignant les avertissements du Conseil national des Télécommunications qui a menacé de sanctions les médias qui feraient «la promotion de la violence».

- Les efforts conséquents du gouvernement
 
Le second postulat présente une vérité tout à fait différente de l’engagement de l’Etat auprès de ses citoyens : en décembre dernier, le chômage a chuté à 5,6%, c’est le chiffre le plus bas enregistré par le gouvernement bolivarien, le chômage atteignait en effet 11% en 1998.
De 1999 à 2013, l’économie vénézuélienne a décollé notamment grâce aux investissements publics et grâce au rôle moteur de l’État permettant à plus de 4 millions de personnes de trouver un emploi (la population vénézuélienne compte 28 millions d’habitants). Le travail « informel » a reculé lui aussi.
De mai 2013 à janvier 2014, le salaire minimum a augmenté de 54%, il atteint désormais 3,270 bolivars (env. 380€ selon le taux de change officiel), le salaire minimum étant en 1999 de 120 bolivars (env. 200 dollars).
De grandes politiques de pensions, de réductions des marges, d’investissements sociaux permettent à la pauvreté de baisser de 21,6% en 2012 à 19,6% en 2013. L’objectif étant d’atteindre pour 2019 la pauvreté zéro.

Ce sont donc deux vérités qui s’opposent selon les camps, l’État subit une inflation difficilement gérable en essayant d’atteindre ses objectifs et l’opposition voit en Maduro un pseudo-dictateur au pouvoir trop étendu. 

QUELLES SONT LES REPONSES DU PRESIDENT MADURO ?

Le président Nicolas Maduro qui a succédé à Hugo Chavez, fait face à la plus importante mobilisation depuis son élection en avril 2013. Le gouvernement dénonce la planification d’un putsch comme celui d’avril 2002 contre Chavez,orchestré par les dirigeants d’opposition. Ils affirment que le parti VoluntadPopular paie aux manifestants de la Plaza Altamira 5000 Bolivars par semaine (50 euros) pour rester dans le combat.

En février, il a annoncé la suspension de la diffusion de la chaîne de télévision NTN24, chaîne dirigée par l’ancien président conservateur Alvaro Uribe, seule chaîne vénézuélienne qui avait prit le parti de relayer les événements. Pour Maduro, l’ancien président « finance et dirige les mouvements fascistes » accusés de semer le trouble. Après les mobilisations du week-end, il a réaffirmé qu’il ne laisserait pas les manifestants bloquer le pays, en lançant par le même temps un appel à la mobilisation de ces partisans. 

Une des portées possibles du conflit, si la situation continue de s’envenimer est le durcissement du régime. En effet, le bruit court que les partisans du Chavisme et donc partisans du gouvernement, attisent la violence dans ce but. Le président a par ailleurs proposé un plan anti-violence. 

Enfin,Maduro a ordonné l’expulsion de trois agents consulaires américains en les accusant d’avoir rencontré des étudiants protestataires. Le gouvernement vénézuélien accuse les Etats-Unis d’essayer de « soutenir et légitimer des tentatives de déstabilisation de la démocratie vénézuélienne ». De plus, les relations diplomatiques et économiques avec le Panama ont été rompues le 5 mars, le jour de l’anniversaire de la mort de Chavez.

UN OPPOSANT EN LIGNE DE MIRE : LEOPOLDO LOPEZ

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Leopoldo Lopez est un ancien maire de Caracas, interdit d’élections suite à des affaires de corruption qu’il a toujours niée. En collaboration avec deux députés, membres du parti d’opposition « VoluntadPopular », Maria Corina Machado et Antonio Ledezma, ils ont fait appel a la concentration organisée le 12 février, étant considérés comme les leaders politique du mouvement connu en tant  que LaSalida (La Sortie). Suite aux morts violentes du 12 février, il est accusé d’homicide par le gouvernement. Leopoldo Lopez utilise les réseaux sociaux pour montrer sa mobilisation auprès des étudiants et interpelle lui-même le président pour se défendre : "Nicolas Maduro, tu as le courage de venir m'arrêter? Ou bien tu attends des ordres de La Havane?", avait-il lancé quelques jours avant sa détention sur Twitter. Après quelques jours, il a décidé de se rendre de lui-même à la suite d’une manifestation, déclarant qu’il préférait aller en prison que de rester dans la clandestinité ou de fuir le pays comme un coupable.

En outre, une vidéo publiée sur les réseaux sociaux montrait des fonctionnaires du SEBIN (Service Bolivarien d’Intelligence) en train de tirer contre les civils. Cette vidéo a été analysée par le journal « UltimasNoticias », démontrant ainsi que la mort de deux manifestants du 12 février avaient en fait été perpétrée par les forces de l’ordre. Nicolas Maduro a déclaré  "c’était un groupe de fonctionnaires qui n'a pas suivi les ordres de son chef, j'ai envoyé le SEBIN à la caserne dans la matinée". Malgré cette déclaration, Leopoldo Lopez est en prison depuis presque un mois.

Henrique Capriles, autre opposant au gouvernement, ex-candidat à la présidentielle de 2013 et actuel gouverneur de l’État du Miranda, était lui aussi présent à la manifestation lors de l’arrestation de Leopoldo Lopez. Il avait fait part dès le début des mobilisations de ses réserves  estimant que « les conditions [n’étaient] pas réunies pour forcer le départ du gouvernement ». Il a toutefois réaffirmé après l’arrestation de Lopez: « nous sommes différents mais nous sommes tous solidaires ».

Une question se pose alors : qui à droite est capable de fédérer les énergies débordantes des manifestants ? Le MUD (Mesa de la Unidad Democratica) de Henrique Capriles semblait capable de faire jeu égal avec le parti de Nicolas Maduro, mais de nombreuses dissensions ont rendu l’opposition fragile. Ainsi, les mobilisations actuelles permettent le regroupement de mouvances plus radicales dans les deux camps. 

LA LUTTE SUR INTERNET

La mobilisation se joue aussi grâce à internet et les réseaux sociaux, plus pacifique que dans les rues et utilisant Twitter et Facebook. Ils ont rassemblé et donné du courage aux partisans de l’opposition pendant ce mois de protestation autour du hashtag #SOSVenezuela et #ElQueSeCansaPierde (Celui qui se fatigue, perd). Du côté des pro-Maduro, c’est le hashtag #VzlaUnidaContreElFascismo (le Venezuela unit contre le fascisme) qui est utilisé.

Ce sont aussi les ministres eux-mêmes qui se mobilisent sur le site de micro-blogging : la ministre de l’information, Delcy Rodriguez a cité le président Maduro critiquant par ce biais la couverture du conflit par l’AFP et les comptes-rendus de la « presse bourgeoise ». Chacun y va de sa photo ou de son montage pour dénoncer un parti ou l’autre.
 
Les dirigeants de Twitter ont par ailleurs annoncé que les images étaient bloquées, notamment chez l’opérateur Cantv, qui de son côté a catégoriquement démenti imposer une censure. Twitter a proposé aux utilisateurs de charger les images grâce à l’envoi de SMS.

Les réseaux sociaux ont aussi joué un rôle essentiel pour rester informés sur le déroulement d’évènements dans les rues. Des nombreuses vidéos des clashs entre police et manifestants sont postées tous les jours par des internautes. Les pirates d’internet profitent aussi de la lutte pour agir, le groupe de hackers Anonymous a déclaré lundi avoir attaqué des sites gouvernementaux tels que celui de la Fondation GranMariscal de Ayacucho qui distribue des bourses doctorales ou encore des adresses e-mails de responsables du gouvernement. Le groupe LulzSecPeru a de son côté piraté le compte Twitter du parti politique de Nicolas Maduro, le Parti Socialiste unifié du Venezuela (PSUV). 

La tension était particulièrement palpable samedi dernier alors que manifestants de l'opposition et Chavistes se faisaient face à Caracas. Le pays semble de plus en plus clivés et la situation est dans l'impasse en attendant l'ouverture éventuelle de négociations entre l'opposition et le pouvoir.