Les regards de l’Inde du Sud

Florence Carrot, correspondante à Chennai (Inde)
23 Février 2013


Il est évident que la danse indienne est loin de la danse occidentale. La danse en Inde est le yoga de l’âme. Ses interprètes donnent tout, en impliquant tous les sens, pour rendre cet art accessible à tous. Notre correspondante en Inde revient sur deux danses indiennes typiques. Pour un voyage des sens.


« Je n’aime pas la danse, je n’entends pas la musique. J’aime bien cependant celle qui est dansée dans les temples car pour une fois, j’en comprends l’intérêt, c’est pas juste pour le plaisir des yeux mais ça me transporte. Je peux enfin suivre une légende sans que quelqu’un de l’extérieur ne me l’explique avec ses mains » écrit sur un portable Djothia, Indien du Tamil Nadu, sourd et muet. La musique, la poésie, la voix qui porte pour s’exprimer, il ne les entend pas. Ainsi, à travers la théâtralisation des mouvements et du visage, il a enfin un spectacle qui arrive à lui parler.

« Alors que les danses des pays occidentaux essaient d’atteindre le ciel, liant élégance et spectaculaire dans les gestes, la danse indienne est liée aux dieux et pourtant reste les pieds sur terre. C’est une ôde à la planète, c’est pour remercier d’avoir cet espace qui nous a permis de vivre à notre manière » décrit Kumutha. La danse des regards indienne est l’un des arts complexes permettant d’honorer son corps tant spirituellement que dans sa démonstration artistique pour le public. Le Journal International a assisté à ce regard qui reflète les âmes.

Kathakali : suis mon regard et devine qui je suis

Le kathakali est l’un des plus anciens théâtres du monde. Initié dans le Kerala, cette danse du regard, reflétant les humeurs des dieux hindous, a suscité l’intérêt du Journal international. Le kathakali est un art élégant, dont le maquillage qui fait partie intégrante du show révèle les couleurs de la personnalité. Ce jeu d’acteurs est l’un des plus anciens et des plus expressifs sans qu’un seul mot ne sorte de la bouche des protagonistes.

Les visages peints en vert sont le signe d’un personnage honorable, courageux, ce que le dieu Rama pouvait inspirer. La mauvaise face de l’Homme, ses démons, s’inspire de la cruauté du roi Ravana ayant endôssé facilement le rôle des diables indiens. Ravana est représenté par des marques rouges sur la peau uniformisée en vert et d’une barde proéminente, signe de vice.

La technique du Kathakali inclut non seulement un langage corporel pour dévoiler chaque histoire à travers un seul regard mais aussi un contrôle total de chaque mouvement. Laissant place à une harmonisation de l’esprit et du corps, les danseurs de Kathakali sont soumis à des massages spéciaux pour développer l’expression de leurs muscles, chacun utilisé consciencieusement afin de dévoiler une nouvelle histoire jusqu’à être transcendé par celle-ci. Transportant l’audience par leurs immenses costumes colorés et par la performance orchestrale générée, les artistes évoluent pour le public dans une dépossession même de leurs esprits. A travers la technique vocale « Sopaanam », l’acteur multi-tâche et multi-talent se laissent porter par les voix et les effets spontanés de la troupe coordonnée, ce qui rend le spectacle encore plus entier.

Bharatanatyam : fais danser ton corps, je volerai ton esprit

Il y a trois mille ans, l'empereur légendaire Bharat imposait son code de la danse : combinaison de musique, de mouvements du corps et de petites scènes à jouer en les vivant avec son corps entier. Ce Natya Sastra (guide pour les danseurs de Bharatanatyam) détaille le moindre mouvement et sa signification pour interpréter cette danse. Une danse qui a une histoire de plus de 2 000 ans ne laisse pas indifférent. Retour culturel sur l’art fétiche du Tamil Nadu.

Historiquement, le Bharatanatyam est une danse pratiquée dans les temples dédiés à Shiva dans le Tamil Nadu. Tout d’abord dansée par des familles aisées de Tanjore, la danse des temples ne s’est pratiquée tout d’abord qu’en des occasions uniques en l’honneur des dieux. Les princes et les maharajas se feront par la suite un plaisir de se l’approprier. Ce sont eux qui donnent à cette activité religieuse, une dimension plus royale. Elle est désormais pratiquée selon les logiques et perspectives décrites par maître Bharat : désirant une danse comme l’illustration du dramatique, du jeu théâtral et de l’exhibition du corps, Bharat en a fait une danse du dévouement total du danseur.

Le Bharatanatyam reflète le genre classique du sud de l’Inde combinant expression artistique, et spiritualité. Les danseurs s’entraînent intensivement afin de se perfectionner notamment dans la gestuelle, dans la fluidité de chacun de leurs mouvements, la coordination de leurs pieds selon le rythme, mais surtout à travers un visage expressif et actif. Les danseurs sont habillés des vêtements traditionnels : un sari, des bijoux et les ornements à mettre dans les cheveux. Maquillés, leurs visages colorés annoncent également l’importance de l’esthétique. Spirituelle également dans la beauté, cette conquête de valorisation du corps permet aux danseurs de faire passer chaque message des autres cieux avec dignité. 

La danse est généralement pratiquée avec une musique carnatique pour la rythmer. L’orchestre pour l’accompagner est constitué d’une voix, de percussions et d’une flûte comme si aduler pouvait se faire aussi dans la simplicité.

La difficulté de Bharatanatyam réside dans la soixantaine de mouvements principaux à retenir. Les mains ouvrent le spectateur qui se laisse alors guider par ses propres émotions au fil de la performance. Les pas du danseur sont une démarche physique importante puisqu’il ne faut en aucun cas que celui-ci ne perde l’équilibre en honorant les dieux et en imitant leurs formes initiales.

Si l’artiste veut danser correctement le Bharatnatyam, il a également intérêt à savoir ses principaux codes : les trois éléments. Nritta, Nritya and Natya (respectivement, la danse pure comme art physique, l’expression corporelle rythmique stylisant l’esprit de la danse, et enfin l’élément qui donne tout son sens à l’art d’une danse théâtrale) représentent l’élément dramatique qui en fait non plus un sport mais une œuvre où le corps et l’âme ne font plus qu’un. Le Bharatanatyam est ainsi la parfaite image de personnification du rôle, le danseur n’étant plus livré à lui-même mais au fantôme de son rôle…